Sur la constitutionnalité de la saisine d’office en application de l’article L 631-15 II du code de commerce.

Par Vincent Mosquet, Avocat.

Le Conseil Constitutionnel avait censuré divers cas de saisine d’office retenue par le Code de commerce en matière de procédure collective, le cas de l’article L 631-15 II lui avait jusqu’alors échappé.

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Par arrêt en date du 8 avril 2014, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité préalablement soumise par la Cour d’appel de Caen par arrêt en date du 30 janvier 2014 concernant la possibilité pour le tribunal saisi d’une procédure de redressement judiciaire de se saisir d’office en application de l’article L631-15 II du Code de commerce aux termes duquel à tout moment de la période d’observation, le tribunal, à la demande du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, d’un contrôleur, du ministère public ou d’office, peut ordonner la cessation partielle de l’activité ou prononce la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible.

Le droit à un procès équitable implique que soit garantie l’impartialité du juge, laquelle ne peut s’apprécier qu’au regard des conditions objectives de son intervention.

Or, dès lors que le Tribunal se saisit d’office, c’est qu’il estime qu’il y a lieu de statuer dans le sens pour lequel il se saisit.

Au sens de l’article 6 de la CEDH, le droit à un procès équitable ne semble pas être respecté par la disposition de l’article 631-15 II du Code de commerce

C’est d’ailleurs ce principe d’impartialité qui a amené le Conseil Constitutionnel à annuler les dispositions de l’article L 631-5 du Code de commerce permettant au Tribunal de commerce de se saisir d’office et ce par une décision du 7 décembre 2012, décision n° 2012-286 QPC pour les motifs suivants :

3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « se saisir d’office ou » figurant au premier alinéa de l’article L. 631-5 du Code de commerce ;

4. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles ; qu’il en résulte qu’en principe une juridiction ne saurait disposer de la faculté d’introduire spontanément une instance au terme de laquelle elle prononce une décision revêtue de l’autorité de chose jugée ; que, si la Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et absolu, la saisine d’office d’une juridiction ne peut trouver de justification, lorsque la procédure n’a pas pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère d’une punition, qu’à la condition qu’elle soit fondée sur un motif d’intérêt général et que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le respect du principe d’impartialité ;

5. Considérant que la procédure de redressement judiciaire est ouverte à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu’à toute personne morale de droit privé, qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements ; que cette procédure est destinée à permettre la poursuite de l’activité du débiteur, le maintien de l’emploi dans l’entreprise et l’apurement du passif ;

6. Considérant que les dispositions contestées confient au tribunal la faculté de se saisir d’office aux fins d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, à l’exception du cas où, en application des articles L. 611-4 et suivants du code de commerce, une procédure de conciliation entre le débiteur et ses créanciers est en cours ; que ces dispositions permettent que, lorsque les conditions de son ouverture paraissent réunies, une procédure de redressement judiciaire ne soit pas retardée afin d’éviter l’aggravation irrémédiable de la situation de l’entreprise ; que, par suite, le législateur a poursuivi un motif d’intérêt général ;

7. Considérant, toutefois, que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne fixent les garanties légales ayant pour objet d’assurer qu’en se saisissant d’office, le tribunal ne préjuge pas sa position lorsque, à l’issue de la procédure contradictoire, il sera appelé à statuer sur le fond du dossier au vu de l’ensemble des éléments versés au débat par les parties ; que, par suite, les dispositions contestées confiant au tribunal la faculté de se saisir d’office aux fins d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire méconnaissent les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ; que, dès lors, les mots « se saisir d’office ou » figurant au premier alinéa de l’article L. 631-5 du code de commerce doivent être déclarés contraires à la Constitution ;

8. Considérant que cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu’elle est applicable à tous les jugements d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire rendus postérieurement à cette date,

DÉCIDE :

Article 1er.- Au premier alinéa de l’article L. 631-5 du code de commerce, les mots : « se saisir d’office ou » sont contraires à la Constitution.

La constitutionnalité de la possibilité de se saisir d’office résultant de l’article L 631-15 II du Code de commerce n’a pas fait l’objet à ce jour d’une décision du Conseil Constitutionnel, mais les mêmes principes devraient conduire à la même solution

Au soutien de la conformité de ce texte à la Constitution française, il pourrait être considéré que le principe de prohibition de l’auto-saisine du juge exclut seulement la faculté pour une juridiction d’introduire spontanément une instance aux termes de laquelle il est prononcé une décision revêtue de l’autorité de chose jugée et ne viserait donc que les saisines d’office et qu’elle ne s’applique pas au pouvoir que le juge peut exercer d’office dans le cadre d’une instance déjà ouverte devant lui. Or le prononcé d’une liquidation judiciaire au cours de la période d’observation ne s’analyserait pas comme l’ouverture d’une procédure distincte.

A l’encontre de cette idée que l’arrêt de la période d’observation et le prononcé de la liquidation judiciaire ne constituerait qu’une péripétie ou une étape d’une procédure préalablement ouverte, il convient de rappeler que la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire n’est pas une solution inéluctable et que le tribunal peut s’orienter certes vers une liquidation pure et simple ; mais vers un apurement du passif, voire un plan de redressement en fonction des circonstances.

La liquidation judiciaire n’est pas la seule issue possible et c’est pour cette raison qu’il n’y a pas d’automaticité du prononcé de la liquidation judiciaire et qu’il est demandé au tribunal d’apprécier la situation.

Certes, la période d’observation a en principe une durée limitée, mais la limitation de cette durée n’est assortie d’aucune sanction [1] et la décision d’y mettre fin implique une analyse de la situation de l’entreprise.

Le dépassement du délai de la période d’observation, n’entraîne pas automatiquement la liquation judiciaire

Pour prononcer la liquidation judiciaire, le Tribunal doit juger que le redressement du débiteur est manifestement impossible conformément aux dispositions de l’article L 640-1 du Code de commerce.

Il est donc nécessaire que le Tribunal puisse conserver une situation de stricte impartialité pour choisir entre les différentes solutions possibles, ce qu’il n’a pas s’il se saisit d’office puisqu’il est impensable qu’il puisse envisager de se saisir d’office de l’ouverture de la liquidation judiciaire s’il n’estimait pas le redressement impossible et s’il n’avait pas l’intention de mettre fin à la période d’observation.

Soutenir qu’il ne s’agirait pas d’un cas de saisine d’office est totalement contraire tant au texte lui-même dont la censure par le conseil constitution est demandé qu’à l’interprétation qui en est faite par la Cour de cassation elle-même :

L’article L 631-15 II du Code de commerce, prévoit que la cession partielle de l’activité ou la liquidation judiciaire sont prononcé à la demande de divers intervenant ou d’office.

Il s’agit donc bien d’une demande dont le tribunal est saisi ou dont il se saisit d’office.

La Cour de cassation juge, pour l’application de ce texte que le débiteur doit être convoqué avec la notification d’une note par laquelle le président expose les faits de nature à motiver la saisine d’office, en d’autres termes le prononcé de la liquidation judiciaire [2]

La Cour de cassation juge ainsi que la saisine par lui-même du tribunal pour prononcer la liquidation judiciaire au cours de la période d’observation constitue bien une saisine d’office [3].

Et cette saisine d’office est la conséquence de l’opinion du Tribunal qui estime devoir prononcer la liquidation judiciaire et introduit les démarches nécessaires pour y parvenir.

Il ne s’agit pas d’une issue nécessaire et inévitable de la procédure de redressement judiciaire.

Il s’agit d’une issue délibérément choisie en fonction des éléments appréciés par le tribunal.

La jurisprudence du conseil constitutionnel élaborée dans les autres cas de saisine d’office trouve donc bien à s’appliquer ici également.

Et comme pour les autres cas de saisine d’office censurés par le Conseil Constitutionnel le texte incriminé ne fixe en l’état aucune garantie légale ayant pour objet d’assurer qu’en se saisissant d’office sur cette nouvelle phase de procédure le tribunal ne préjuge pas de sa position lorsque à l’issue de la procédure contradictoire il sera appelé à statuer sur le fond du dossier.

La censure de cette disposition serait donc parfaitement cohérente avec les autres décisions prises par le Conseil Constitutionnel.

Vincent Mosquet

LEXAVOUE NORMANDIE

www.lexavoue.com

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Notes de l'article:

[1Com 10 juin 2008 n° 07-17043 publié au bulletin

[2R 631-3 du code de commerce et Com 22 juin 2013 n° 11-27391

[3Com 22 juin 2013 n° 11-27391

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