Récompenser un collaborateur à moindre coût... en donnant des parts de son entreprise.

Par Vincent Pilarczyk et Hubert Mroz, notaires stagiaires.

2076 lectures 1re Parution: Modifié: 2.98  /5

Explorer : # donation # récompense # fiscalité # transmission d'entreprise

Récompenser un collaborateur salarié peut-être une gageure pour le chef d’entreprise. Intéressement, participation, stock-options, actions gratuites,…les outils ne manquent pas pour doubler cette « récompense » d’un geste fort en termes de motivation en l’impliquant aux résultats futurs de l’entreprise. Ces outils sont-ils cependant toujours adaptés ? Y’a-t-il d’autres moyens pour avantager, récompenser un collaborateur tout en lui permettant de prendre à court, moyen ou long terme une participation dans l’entreprise ?

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Au-delà des traditionnels avantages consentis par l’entreprise au profit du collaborateur, il est nécessaire d’envisager les avantages que peut consentir directement le chef d’entreprise. Vendre, "à bon prix", une partie des parts ou actions semble dans ce cas être la solution la plus simple. Mais cela n’est parfois pas possible, sans aborder les pré-requis, conséquences ou problèmes juridiques et fiscaux liés à la vente d’une partIicipation, et au « rabais » consenti d’autre part.

Une idée originale peut-être mise en œuvre, elle consiste, pour le chef d’entreprise, à réaliser une donation de parts ou actions.

Devant les naturels haussements d’épaule, voici quelques explications.

Récompenser au moyen d’une donation

L’idée peut paraître surprenante voire saugrenue, mais il s’agit là d’une réelle piste de réflexion, intéressante et favorable.

Intéressante car la donation permet au collaborateur de participer immédiatement aux résultats de la société et au processus décisionnel au travers des assemblées générales. Compte tenu de la nature de l’opération, le donateur peut maîtriser, mieux que dans n’importe quelles autres circonstances les suites de la donation en imposant des charges ou des obligations particulières (par exemple l’interdiction ou obligation de vendre dans certaines circonstances, non-concurrence etc.). En effet, contrairement aux autres systèmes, le non-respect par le collaborateur des obligations qui pourraient lui être imposées n’est pas sanctionné ici, par le versement d’éventuels dommages-intérêts, mais par la révocation pure et simple de la donation, ce qui paraît nettement plus efficace.

Favorable ensuite parce qu’en fonction de la situation, la donation va pouvoir bénéficier des mesures fiscales mises en place afin de faciliter ou de rendre moins coûteuse la transmission d’entreprise même orientée en dehors du cadre familial.

N’oublions pas, par ailleurs, que le bénéficiaire de la donation qui travaille dans la société peut être un membre, éloigné ou non, de la famille du chef d’entreprise (gendre, nièce, etc), mais que ce dernier souhaite avantager par rapport à des personnes dont le lien de parenté est plus proche.

Une seule difficulté peut se présenter si l’on souhaite mettre en œuvre ce mécanisme dans le cadre d’une politique de rémunération ou de rétribution à moyen ou long terme : il n’est pas juridiquement possible de consentir une promesse de donation. La donation ne vaut qu’au moment où le donateur décide de se démunir définitivement du bien donné.

Pour les petites entreprises : un outil fiscal méconnu

Le Code général des impôts (1) traite avec bienveillance la donation d’un fonds de commerce, fonds artisanal, de parts ou actions de société poursuivant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, détenus depuis au moins deux ans, lorsque la valeur du fonds donné, ou la valeur du fonds exploité par la société dont les parts ou actions sont transmises, est inférieure à 300.000 €.

Dans ce cas, les droits de donation sont purement et simplement exonérés. Cela peut constituer un intérêt non négligeable lorsque l’on sait qu’entre personnes non parentes entre elles, les donations sont taxées à hauteur de 60% de la valeur du bien transmis...

Pour bénéficier de ce régime de faveur, la donation doit être consentie au profit d’un salarié (proche ou non), titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis au moins deux ans exerçant sa fonction à temps plein, ou d’un contrat d’apprentissage en cours au jour de la transmission, conclu avec l’entreprise dont le fonds de commerce, ou la clientèle est transmis, ou avec la société dont les parts ou actions sont transmises. Le bénéficiaire de la donation doit par ailleurs poursuivre, à titre d’activité professionnelle unique, de manière effective et continue, l’exploitation du fonds transmis, ou l’activité de la société dont les parts ou actions sont transmises, ainsi que la direction effective de l’entreprise. Cet engagement doit être pris pour une durée de cinq ans à compter de la donation.

Pour les entreprises grandes et moyennes : une alternative aux stock-options et attributions d’actions gratuites

Pour les sociétés par actions (société anonyme, société par actions simplifiée etc.), il peut être envisagé de mettre en place un plan de stock-options ou une attribution d’actions gratuites. Cependant, ce type d’instruments n’est pas forcément la réponse adaptée au souhait du dirigeant. Certes, ces mécanismes permettent de planifier la récompense des efforts ou de l’ancienneté d’un collaborateur. Mais ils peuvent présenter des inconvénients importants.

Ces mécanismes répondent d’une part à des limites de montant et à des conditions d’application et de mise en œuvre très strictes. Ils font par ailleurs l’objet de mesures de publicité.. D’autre part, le régime fiscal applicable se révèle peu favorable pour le bénéficiaire de l’avantage. Le gain est taxé assez durement dès la levée d’option dans le cadre des stocks options (imposition à 41 %, à la levée d’option puis 29 % s’il y a plus-value de cession). Dans le cadre des actions gratuites, l’attribution est taxée aux mêmes conditions mais au moment de la cession .de celles-ci.

Il ne faut pas oublier non plus que l’emploi de ce type de mécanisme alimente régulièrement l’actualité et peut constituer une question sensible. . Sur ce point, la donation est plus… discrète.

Dans le cadre de la donation, le bénéficiaire est en principe redevable de l’impôt de donation. Mais cet impôt peut être très sérieusement limité, voire éludé, grâce à la conclusion d’un « Pacte Dutreil ».

En effet, le « Pacte Dutreil » permet, s’il est respecté, d’exonérer, à concurrence de 75% de leur valeur, les parts ou actions des société concernées. On rappelait plus haut que le taux de taxation entre personnes non parentes était de 60%.

Ce Pacte le fait brusquement descendre à 15%... et même à 7,5 % en application de réductions de droits dépendant de l’âge du donateur ! Une part ou action d’une valeur de 100 € coûtera dans ce cas 7,5 € au salarié - sans impôt complémentaire à payer.

En quoi consiste ce Pacte ? Il s’agit d’une part d’un engagement de conservation de titres, et, d’autre part, d’un engagement d’exercer des fonctions de direction au sein de la société.

Comment fonctionne t-il ? La nature des engagements pris aux termes de ce Pacte peut varier d’après l’importance et l’antériorité de la participation déjà détenue par le donateur. Plaçons-nous dans l’hypothèse où le donateur dirigeant possède depuis plus de deux ans une participation égale à 34% au moins du capital et des droits de vote de la société non cotée.

Dans le cadre de la donation, le donataire auquel les parts ou actions sont attribués doit prendre l’engagement de conserver les parts ou actions transmises pendant une durée de quatre ans. Enfin, le donataire ou le donateur devra exercer un mandat social, pendant les trois ans qui suivront la transmission.

Si ces conditions sont respectées, le bénéficiaire de la donation profitera du régime de faveur et paiera un impôt allégé s’il n’est pas tout simplement supprimé après application de certains abattements.

Seul un calcul détaillé, adapté à la situation, permettra de se faire une idée précise de ce qu’il en coûtera exactement.

Ne pas léser ses proches grâce à la donation-partage

Bien entendu, consentir une donation n’est pas sans incidence sur le patrimoine de la famille, puisque la donation est regardée sur le plan du Droit civil comme un acte d’appauvrissement. Penser à transmettre, dans des conditions fiscales favorables, est louable, mais cela ne reste pertinent qu’à la condition de satisfaire les aspects civils et fondamentaux de la stratégie adoptée.

Un peu de Droit pour replacer la donation dans son contexte juridique. Si l’on donne un bien, il ne se retrouvera pas dans les biens de succession qu’ont vocation à recueillir les héritiers du chef d’entreprise, c’est presqu’une lapalissade. Il est certain que chacun peut disposer, comme il le souhaite, de ses biens. Cependant, la législation Française considère que certains héritiers (en particulier les enfants et les descendants) doivent recevoir impérativement une partie des biens constituant à terme la masse successorale. On appelle « réserve héréditaire » cette portion de biens qui devra immanquablement revenir à ces héritiers privilégiés. Pour le calcul de cette « réserve héréditaire », on va tenir compte non seulement des biens présents dans la succession du défunt, mais aussi, et c’est là que la réserve prend tout son sens, des biens qui ont été donnés par le défunt.

En termes concis, on ne peut désavantager ses enfants en donnant de son vivant qu’à la condition de laisser suffisamment pour satisfaire cette « réserve héréditaire ».

Pour assouplir cette limite, le Code civil a été modifié (2) afin notamment de permettre de respecter les droits des héritiers réservataires dans le cadre d’une donation-partage, c’est-à-dire une donation réalisant, par avance, un partage de la succession qui interviendra immanquablement.

En effet, dans ces conditions, la donation, comprenant des actions ou parts d’une société d’exploitation dans laquelle le donateur exerce une fonction dirigeante, peut réaliser le partage entre les descendants et une tierce personne (le collaborateur bénéficiaire) à la condition que cette dernière recueille tout ou partie de ces parts ou actions.

La donation-partage offre, par ailleurs, une sécurité au « tiers donataire » car elle lui permet de s’assurer que la donation qui est faite à son profit ne pourra pas être remise en cause au décès du donateur.

Cet outil peut notamment amorcer la transmission de l’entreprise au profit d’un tiers étranger au cercle familial proche lorsqu’aucun membre de celui-ci n’a vocation à en assurer la poursuite. Cela constitue un volet notable de la réforme récente des successions et des libéralités appliquée aux entreprises.

EN CONCLUSION, les nombreuses réformes législatives et fiscales permettent aux conseils de l’entreprise et de ses dirigeants d’être innovants dans la recherche et la mise en oeuvre de solutions pour répondre à la quasi-totalité des problématiques existantes. Faire part à ses conseils de ses attentes et de ses projets afin de pouvoir y réfléchir en amont, voilà qui pourrait être une des premières règles à suivre dans la transmission d’entreprise.

CE QU’IL FAUT RETENIR :

- La donation constitue un mécanisme original et avantageux, selon le cas, d’intéressement de salariés, cadres ou collaborateurs au capital de l’entreprise.
- Pour des raisons civiles et fiscales, elle constitue notamment une alternative intéressante aux plans de stocks options ou aux attributions d’actions gratuites.
- Les outils juridiques et fiscaux permettent désormais aux conseils de l’entreprise de proposer, en toute sécurité, des solutions innovantes dans les problématiques de transmission.

Article paru dans la Gazette du Nord-Pas-de-Calais du 29 mai 2008, www.gazettenpdc.fr


(1) Article 790 A du Code général des impôts

(2) Loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités

Vincent PILARCZYK (vincent.pilarczyk chez notaires.fr) et Hubert MROZ (h.mroz chez notaires-roubaix.fr), Notaires stagiaires, membres de l’INES Nord Pas de Calais (Institut Notarial de l’Entreprise et des Sociétés).

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