Procédures collectives et déclaration de créance tardive : la demande en relevé de forclusion depuis l’ordonnance du 12 mars 2014.

Par Matthieu Marzilger, Avocat.

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Explorer : # procédures collectives # déclaration de créance # relevé de forclusion # ordonnance du 12 mars 2014

L’ordonnance du 12 mars 2014 applicable aux procédures collectives ouvertes depuis le 1er juillet 2014 a largement amélioré les chances du créancier retardataire de bénéficier d’un relevé de forclusion.

Elle lui a cependant imposé une nouvelle obligation puisque ce créancier devra désormais déclarer sa créance dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance du juge-commissaire portant relevé de forclusion.

A défaut d’y satisfaire, sa créance sera à nouveau déclarée inopposable à la procédure pour avoir – encore – été déclarée tardivement.

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Le créancier qui n’a pas déclaré sa créance dans le délai de deux mois à compter de la publication au BODACC [1] de l’ouverture d’une procédure collective est forclos [2] (Art. L. 622-24 et R. 622-24 du Code de commerce).

Celui-ci ne pourra dès lors prétendre à être payé dans le cadre de ladite procédure.

Il s’agit là d’une règle constante depuis la loi 1985.

Ce créancier retardataire devra alors passer par une séance de rattrapage et saisir le juge-commissaire aux fins d’être relevé de forclusion.

Cette faculté est prévue par l’article L. 622-26 du Code de commerce, qui, dans sa nouvelle version, prévoit :

« A défaut de déclaration dans les délais prévus à l’article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s’ils établissent que leur défaillance n’est pas due à leur fait ou qu’elle est due à une omission du débiteur lors de l’établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l’article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande.

Les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l’exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Pendant l’exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.

L’action en relevé de forclusion ne peut être exercée que dans le délai de six mois. Ce délai court à compter de la publication du jugement d’ouverture ou, pour les institutions mentionnées à l’article L. 3253-14 du code du travail, de l’expiration du délai pendant lequel les créances résultant du contrat de travail sont garanties par ces institutions. Pour les créanciers titulaires d’une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié, il court à compter de la réception de l’avis qui leur est donné. Par exception, si le créancier justifie avoir été placé dans l’impossibilité de connaître l’obligation du débiteur avant l’expiration du délai de six mois, le délai court à compter de la date à laquelle il est établi qu’il ne pouvait ignorer l’existence de sa créance ».

L’ordonnance du 12 mars 2014 entrée en vigueur le 1er juillet 2014 [3] a modifié tant les conditions posées par le Code de commerce pour bénéficier d’un relevé de forclusion (1), qui sont désormais plus simples, que les obligations du créancier à la suite de l’ordonnance favorable du juge-commissaire (2).

1. L’assouplissement des conditions pour être relevé de forclusion.

Rappelons tout d’abord que le délai « normal » pour exercer la demande en relevé de forclusion n’a pas été modifié par l’ordonnance du 12 mars 2014 : celui-ci est toujours de six mois à compter de la publication au BODACC de l’ouverture de la procédure collective.

L’ordonnance a cependant supprimé le délai « exceptionnel » d’un an pour le créancier placé dans l’impossibilité de connaître l’existence de sa créance avant l’expiration du délai « normal » de six mois.

Désormais, ce créancier devra introduire une demande en relevé de forclusion dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle il est établi qu’il ne pouvait ignorer l’existence de sa créance (Art. L. 622-26 alinéa 3 C.com).

Le délai exceptionnel en relevé de forclusion n’est donc plus limité dans le temps si ce n’est par la clôture de la procédure.

En ce qui concerne les conditions pour en bénéficier, sous l’ancienne législation, le créancier devait démontrer :

• (1) Soit que l’absence de déclaration dans le délai de deux mois n’était pas due son fait ;

• (2) Soit que le débiteur avait omis volontairement de mentionner la créance sur la liste qu’il remet au mandataire dès l’ouverture de la procédure [4].

Cette seconde condition exigeait donc une double démonstration :

- Un élément matériel et objectif tenant à l’absence de mention sur la liste remise au mandataire ;
- Un élément moral et subjectif tenant quant à lui au caractère intentionnel de l’omission.

1. La première condition a été conservée par l’ordonnance du 12 mars 2014.

Le créancier doit dans cette hypothèse apporter la preuve de ce qu’il était dans l’impossibilité de déclarer dans les délais.

Schématiquement, la jurisprudence opère le plus souvent un arbitrage entre le créancier particulier n’ayant pas de relations d’affaires continues avec le débiteur, ni les moyens de surveillance du BODACC [5], et le créancier dit institutionnel (banque, administration).

Le premier sera plus facilement admis au bénéfice du relevé de forclusion à la différence du second, dont l’omission est moins excusable du fait par exemple de l’existence d’un service juridique.

2. En ce qui concerne la seconde condition, celle-ci a été largement simplifiée puisqu’il n’est plus nécessaire dorénavant de démontrer l’intention du débiteur.

L’absence de mention de la créance sur la liste remise au mandataire par le débiteur dans les 8 jours de l’ouverture de la procédure collective sera suffisante [6].

La suppression de la preuve de l’élément intentionnel doit être approuvée dès lors que celle-ci était particulièrement difficile à rapporter en pratique.

Cela est également de nature à inciter le débiteur à mentionner l’ensemble de ses dettes lors de l’ouverture de la procédure à défaut de quoi, le créancier retardataire pourra être automatiquement relevé de forclusion.

Mais si la réforme de 2014 a facilité l’exercice de l’action en relevé de forclusion, elle en a paradoxalement limité son intérêt à la suite de la modification de l’article L.622-24 du Code de commerce.

Avant l’ordonnance du 12 mars 2014, le créancier qui n’avait pas lui-même ou par l’intermédiaire de son mandataire, déclaré sa créance dans les délais, devait inévitablement demander à être relevé de forclusion pour espérer être admis au passif.

Désormais, l’exercice de cette action pourra s’avérer inutile si le débiteur a mentionné la créance litigieuse sur la liste qu’il remet au mandataire.

Il résulte en effet du nouvel alinéa 3 inséré à l’article L. 622-24 du Code de commerce que :

« lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa ».

Il s’agit là d’une innovation majeure de la réforme.

Ainsi, la mention du débiteur de la créance sur la liste remise au mandataire emporte déclaration pour le compte du créancier tant que celui-ci n’aura pas déclaré sa créance.

Cela permettra de rattraper l’omission de certains créanciers retardataires qui, soit ne seraient plus dans le délai pour agir en relevé de forclusion, soit ne seraient pas en mesure de démontrer un motif pour ce faire.

Mais même en cas de déclaration du débiteur pour le compte du créancier, ce dernier devra rester particulièrement vigilant.

En effet, la créance pourra avoir été mentionnée mais que pour partie ou alors sans faire état d’un éventuel caractère privilégié [7].

Il appartiendra dès lors au créancier d’introduire une requête en relevé de forclusion s’il ne veut pas perdre le bénéfice de son rang ou du montant de sa créance.

2. Les suites de l’action en relevé de forclusion

Sous l’empire de la version antérieure de l’article L. 622-26 C.com, la Cour de cassation [8] décidait que le créancier retardataire devait déclarer sa créance dans le délai préfixe de l’action en relevé de forclusion.

Ainsi en pratique, le créancier forclos devait parallèlement à sa demande en relevé de forclusion, déclarer sans créance dans le délai de 6 mois ou 1 an, selon le cas, à compter de la publication au BODACC.

Cette déclaration pouvait intervenir indifféremment avant ou après le dépôt de la requête en relevé de forclusion.

Désormais, l’article L. 622-24 du Code de commerce dans sa nouvelle version prévoit que « lorsque le créancier a été relevé de forclusion conformément à l’article L. 622-26, les délais ne courent qu’à compter de la notification de cette décision ; ils sont alors réduits de moitié ».

Ainsi, le créancier retardataire devra procéder de manière chronologique :

  • Déposer une requête en relevé de forclusion dans les délais et une fois qu’il aura obtenu gain de cause :
  • Déclarer sa créance dans le délai d’un mois à compter de la notification de la décision favorable.

Deux remarques s’imposent :

  • L’éventuelle déclaration de créance faite avant le dépôt de la requête en relevé de forclusion n’aura servi à rien puisqu’il faut alors procéder à une nouvelle déclaration.
  • Cet apport a le mérite d’instaurer une certaine logique élémentaire puisqu’il convient d’être relevé de forclusion avant de pouvoir déclarer.
  • Néanmoins, cela a l’inconvénient de créer un nouveau délai de déclaration « raccourci », ce qui, sauf à raccourcir le délai de vérification des créances, n’était probablement pas utile en telle matière.

Les voies de recours ouvertes au créancier dont la demande en relevé de forclusion a été rejetée n’ont pas été modifiées par l’ordonnance du 12 mars 2014.

Depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 en effet, le recours contre l’ordonnance du juge-commissaire statuant en matière de relevé de forclusion doit être exercé devant le Tribunal (Tribunal de grande instance ou Tribunal de commerce selon le cas) et non devant la Cour d’appel.

Il s’agit en effet d’une « opposition » et non d’un appel.

Ce délai d’opposition est de seulement 10 jours à compter de la notification par le greffe de l’ordonnance.

Le créancier bénéficiera en quelque sorte d’un « triple degré » de juridiction puisque le jugement rendu par le Tribunal pourra le cas échéant faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel dans le même délai.

*************

Si la représentation par ministère d’avocat n’est pas obligatoire devant le juge-commissaire, son assistance n’en reste pas moins fortement conseillée du fait notamment de la complexité de la procédure à suivre.

Un créancier remplissant les conditions de fond pour bénéficier d’un relevé de forclusion pourrait voir sa créance rejetée faute, par exemple, d’avoir respecté l’un des délais imposés par le Code de commerce.

Matthieu MARZILGER
Avocat associé chez LegalAction
m.marzilger chez legalaction.fr
www.legalaction.fr

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Notes de l'article:

[1Bulletin Officiel Des Annonces Civiles et Commerciales

[2Pour les créanciers bénéficiant d’un avertissement personnel d’avoir à déclarer (créancier bénéficiant d’une sûreté ou d’un contrat publié), ce délai est décalé au jour de la réception du courrier adressé par le mandataire judiciaire ou le liquidateur.

[3Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.

[4Article L. 622-6 alinéa 2 du Code de commerce.

[5Ce qui est contestable car il est désormais simple de placer une alerte sur le site officiel www.BODACC.fr.

[6En pratique, et pour en rapporter la preuve, le créancier devra demander communication de la liste litigieuse au mandataire ou liquidateur judiciaire.

[7La tentation pourrait être grande pour le débiteur de réduire le montant ou rang de la créance, ce, afin d’éviter un relevé automatique de forclusion en cas de déclaration tardive.

[8C. Cass com 9 mai 2007 n° 06-10185 ; C. Cass com 23 avril 2013 n° 11-963.

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Discussions en cours :

  • par Madame Suzanne JABLONSKI , Le 22 septembre 2018 à 16:31

    Que pensez-vous d’un avocat qui volontairement ne dépose pas de relevés en forclusion alors que 3 s’imposaient mais il m’en facture quand même un ?
    Je suis contre l’article 41 alinéa 3 de la loi de 1881 : La partie adverse ET mes avocats l’on plusieurs fois utilisée, à mes dépends.
    Je suis également contre l’article 19 de la déontologie des avocats qui ne permet pas à un avocat successeur de plaider contre le prédécesseur.
    Se sont les trois principales causes de la défense de mon dossier qui est aujourd’hui réduit à néant. En y ajoutant l’expert judiciaire qui m’a royalement octroyé 1000 € de réparations alors qu’un ancien expert judiciaire à fait faire une expertise chiffrée à 66 540 €
    C’est à partir de cette intervention que 3 entreprises se sont mises en liquidation judiciaire.
    Quelles économies pour les assurances !
    POURQUOI les problèmes de constructions sont-ils TOUJOURS jugés au CIVIL sans possibilité d’appel ?

  • par Gaetan Jouve étudiant en M1 droit Civil , Le 18 avril 2018 à 15:34

    Au cours de mes recherches sur le sujet j’ ai pris connaissance d’ un articles développant un point de vue sensiblement différent. Ainsi, Depuis 2014, le débiteur peut porter une créance à la connaissance du mandataire judiciaire. Cette faculté ne doit pas être confondue avec l’obligation qui lui incombe de remettre aux organes de la procédure la liste de ses créanciers et du montant de ses dettes, explique Me Lindet - Avocat au Cabinet De Gaulle, Fleurance & Associés. Ce Point de vue est extrait du BRDA 13/15 du 15 juillet 2015.

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