La responsabilité pénale des personnes morales en matière d’infractions non intentionnelles.

Par Laurent Vovard, Avocat.

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Explorer : # responsabilité pénale # personnes morales # infractions non intentionnelles # formation sécurité

Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 mars 2014 (n°13-80376) est l’occasion de faire le point sur les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes morales en matière d’infractions non intentionnelles.

-

1/ - Rappel des principes :

Le principe de la responsabilité pénale des personnes morales :

L’article 121-2 al 1 du Code pénal dispose que : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.... »

Une personne morale peut donc se voir imputer une infraction dès lors qu’elle est commise pour son compte par un organe ou un représentant.

A noter que la jurisprudence s’était assouplie sur l’exigence de caractériser l’organe ou le représentant agissant pour le compte de la personne morale admettant, par exemple, que la responsabilité de la personne morale pouvait être engagée au titre d’une « défaillance manifeste du service d’accueil des urgences » sans qu’aucune personne physique ne soit désignée [1].

La jurisprudence la plus récente de la chambre criminelle de la Cour de cassation est revenue à une application plus stricte de l’article 121-2 du Code pénal exigeant que les juridictions du fond caractérisent l’organe ou le représentant de la personne morale et précisent en quoi il avait agit pour le compte de celle-ci [2].

La nature des fautes engageant la responsabilité pénale et le lien de causalité :

En matière d’infractions non intentionnelles, l’article 121-3 précise qu’il y a délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Lorsque la faute non intentionnelle n’a pas directement causé le dommage, l’article 121-3 al. 4 prévoit que la responsabilité des personnes physiques ne peut être engagée, dans l’hypothèse où elles ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, que « s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

Ainsi :

- pour apprécier la responsabilité pénale d’une personne physique il faudra distinguer selon que la faute non intentionnelle est directement à l’origine du dommage (homicide, blessure...) auquel cas une faute simple suffira, ou si la faute est indirectement à l’origine du dommage auquel cas une faute qualifiée sera nécessaire ;

- cette distinction n’est pas applicable aux personnes morales : il en résulte qu’une faute non intentionnelle simple commise par un organe ou représentant de celle-ci, indirectement à l’origine du dommage, peut engager la responsabilité pénale de la personne morale sans que l’infraction ne soit constituée à l’égard de la personne physique pour qui une faute qualifiée sera exigée [3]

2/ - Illustration : Cass. Crim 25 mars 2014 :

Une société avait fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion d’un accident de l’un de ses salariés survenu sur un chantier.

La Cour d’appel l’avait déclarée coupable des délits de blessures involontaires avec ITT supérieure à trois mois dans le cadre du travail et d’embauche de travailleur sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité.

Au soutien de sa décision, la Cour commence par rappeler les règles de droit applicables :

- le délit de blessures involontaires, prévu et réprimé par l’article 222-19 du Code pénal, combiné avec les dispositions de l’article 121-3 auxquelles il renvoie suppose la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence, ou le manquement à une obligation légale ou réglementaire de prudence ou de sécurité, lorsque l’auteur n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses missions, de ses fonctions ou de ses compétences, ainsi que de ses pouvoirs et moyens à sa disposition.

- La personne physique qui n’est pas à l’origine directe du dommage mais qui a seulement contribué à sa réalisation ou omis de prendre les mesures propres à l’éviter, doit avoir commis, pour être pénalement responsable, soit une violation manifestement délibérée d’une obligation légale ou réglementaire de sécurité, soit une faute caractérisée exposant autrui à un risque qu’il ne pouvait ignorer ;

- La personne morale peut, par application combinée des articles 121-2, 221-7, 222-19 et 222-21 du Code pénal être déclarée pénalement responsable du délit blessures involontaires commis par ses organes ou représentants, agissant pour son compte.

En l’espèce, les obligations légales ou règlementaires dont la violation était reprochée à la société concernaient les articles L. 4141-1 et suivants et R. 4141-2 et suivants du code du travail qui prévoient que tout chef d’établissement est tenu d’organiser une formation pratique et appropriée en matière de sécurité au bénéfice des travailleurs qu’il embauche et de ceux qui changent de poste ou de technique.

Or, la Cour relève que plusieurs salariés entendus dans le cadre de la procédure n’avaient pas reçu une telle formation. Si certains d’entre eux avaient effectivement reçu une formation aux principes généraux de sécurité le chef d’entreprise aurait du, à l’occasion de leur changement de poste, assurer ou faire assurer la formation pratique appropriée aux risques particuliers de ce poste. En outre, certaines consignes de sécurité auraient insuffisamment été données.

La Cour en déduit que la société a, par l’un de ses représentants titulaire d’une délégation de pouvoir – à savoir le directeur de la société et le chef de centre - agissant pour le compte de la personne morale, ainsi « créé la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter » engageant la responsabilité pénale de la personne morale.

La société a formé un pourvoi contre cette décision en faisant notamment valoir que (i) le seul fait qu’un salarié de l’entreprise se soit vu confier une délégation de pouvoir en matière de respect des règles de sécurité n’en fait pas nécessairement un organe ou un représentant et (ii) la Cour n’aurait pas suffisamment précisé en quoi les manquements commis par le chef de centre avaient été commis pour le compte de la personne morale.

Réponse de la chambre criminelle de la Cour de cassation :

Sur la notion d’organe ou de représentant agissant pour le compte de la personne morale (art. 121-2 du code pénal), la Cour de cassation relève que :

« la cour d’appel (…), retient que M.F..., directeur de la société, titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité, avait subdélégué ses pouvoirs à M. Y..., chef de centre, et que ce dernier, par ailleurs tuteur de M. X..., disposait, compte tenu de son niveau hiérarchique, de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour assurer sa mission ; qu’ils en concluent que le manquement à l’origine de l’accident, à savoir l’absence de formation appropriée du salarié aux risques liés à l’utilisation d’une pelle mécanique, a été commis par un représentant de la personne morale, agissant pour le compte de celle-ci »

Sur la faute engageant la responsabilité pénale de la personne morale, la Cour de cassation relève que :

« la cour d’appel, qui a caractérisé à la charge de la société poursuivie une faute d’imprudence et de négligence, commise pour son compte par un de ses représentants et en lien causal avec le dommage subi par la victime, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu’en effet, le salarié d’une société titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, et comme tel investi dans ce domaine de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de sa mission, est un représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal, et engage la responsabilité de celle-ci en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique trouvant sa cause dans un manquement aux règles qu’il était tenu de faire respecter en vertu de sa délégation »

Laurent Vovard
Avocat au Barreau de Paris
https://vovard-avocat.com/

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Notes de l'article:

[1Cass. Crim. 9 mars 2010 n° 09-80543

[2Cass. Crim. 11 octobre 2011, Cass. Crim. 11 avril 2012, Cass. Crim. 2 octobre 2012

[3voir par exemple Cass. Crim. 2 octobre 2012, n°11-84.415

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