Contrat d’égérie : certaines clauses sont à prescrire !

Par Céline Séassau, Juriste.

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Explorer : # vie privée # contrat d'égérie # droit à l'image # comportement prescrit

Chaque grande marque veut son égérie : les acteurs et tops-models sont élevés au rang d’icônes par les marques. Afin de susciter l’achat, les marques en sont aujourd’hui venues à multiplier le recours aux égéries.

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Le contrat d’égérie peut être découpé en deux phases : une première où le mannequin va poser, tourner des publicités, assister à des manifestations au nom de la marque et une seconde où ces supports publicitaires vont être diffusés. Un certain comportement du mannequin va alors être attendu afin de promouvoir l’image de la marque auprès du public.

La première phase constitue une cession de droit à l’image, accordée par le mannequin à la marque, qui pourra utiliser celle-ci à des fins commerciales et publicitaires. Le contrat détaillera alors le type d’utilisation dont l’image va faire l’objet et les supports sur lesquels elle pourra être reproduite, vendue, publiée ou diffusée.

Cependant la marque cherche à promouvoir ses produits auprès d’un public ciblé et pour ce faire va imposer ou interdire certains comportements qu’elle juge contraires aux valeurs qu’elle cherche à véhiculer par cette campagne publicitaire. On n’est plus alors en présence d’un simple contrat de cession d’image mais d’un contrat cherchant à s’immiscer dans la vie privée du mannequin.

L’interdiction prévue au contrat de s’afficher dans des manifestations publiques ou dans des lieux susceptibles d’attirer l’attention avec un produit d’une marque concurrente s’apparente à l’obligation de loyauté du salarié est totalement fondée et n’est pas ici remise en question.
Mais que la marque puisse imposer un comportement au mannequin ou contrôler ses fréquentations est contraire au principe ayant valeur constitutionnelle du droit au respect de la vie privée [1].

Un employeur n’a ainsi aucunement le droit de contrôler ou dicter les relations que peut entretenir son salarié en dehors de l’entreprise. L’employeur ne peut pas s’immiscer dans les affaires personnelles de ses salariés sauf si celles-ci empiètent de manière abusive sur les activités de l’entreprise.

Des contrats d’égérie sont cependant rompus ou suspendus à l’initiative des marques lorsque le mannequin contrevient au comportement attendu par celles-ci. La Cour de cassation a pourtant rappelé, et ce à de nombreuses reprises, que la vie privée du salarié ne peut motiver un licenciement pour faute sauf s’il crée un trouble caractérisé au sein de l’entreprise [2]. Une frontière existe donc entre la vie professionnelle et la vie privée reconnue tant au plan légal [3] qu’au plan jurisprudentiel.

Pourtant lorsqu’elle signe au contrat d’égérie la marque entend encadrer la vie privée de son mannequin, notamment ses relations et les causes qu’il peut soutenir. N’est-ce pas là une ingérence manifeste de l’employeur (la marque) dans la vie privée de son employé (le mannequin) ? Le mannequin en se mariant, décidant de fréquenter telle ou telle personne empièterait-il de manière abusive sur les activités de la marque ?

Comment peut-on imaginer insérer de telles clauses dans un contrat de travail ? Pourtant elles existent parfois bel et bien dans les contrats d’égérie. Les mannequins sont donc amenés à suivre un comportement prescrit par la marque, à être vus en compagnie de certaines personnes au risque de voir interrompu leur contrat.

Il est à rappeler que les mannequins touchent une base fixe au moment où leur présence physique est requise, ainsi qu’une rémunération en contrepartie de l’exploitation de leur image. En cas de non-respect des directives de la marque concernant leur vie privée, les mannequins peuvent alors perdre un part non négligeable de leurs revenus. Les contrats d’égérie étant conclus pour des durées variables allant généralement de 1 à 3 trois ans, le mannequin se retrouve dans l’incapacité de mener comme il l’entend sa vie privée qui durant cette période sera sans cesse contrôlée par la marque.

Logiquement les contrats d’égérie qui comportent de telles stipulations seraient alors contraires au principe du respect de la vie privée qui est, rappelons-le, présent au sein du bloc de constitutionnalité et seraient alors susceptibles de recours devant les tribunaux.
Peut-on seulement permettre qu’un employeur puisse avoir le droit de contrôler la vie familiale de son employé ? Interdire un mariage ? Interdire de soutenir un membre de sa famille publiquement ?

Le contrat d’égérie tel qu’il est aujourd’hui pratiqué par certaines marques est donc contraire à l’une des valeurs qui nous sont chères en France au point d’être élevée au rang constitutionnel.

Céline SEASSAU
Juriste

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Notes de l'article:

[1article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 ; article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies de 1948 ; Article 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ; Conseil Constitutionnel, décision n°94-352 DC du 18 janvier 1995 : « la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle  »

[2Cass. soc. 14 Mai 1997 n° 94.45.473 ; Cass. Soc., 17 avr. 1991, no 90-42.636. ; Cass. Soc. 17 mai 2005 ; Cass. Soc., 14 sept. 2010, n° 09-65675.

[3article 9 du Code civil ; Loi Auroux du 4 août 1982 protégeant les libertés individuelles du salarié quant au règlement intérieur de l’entreprise qui pourrait y atteindre, disposition aujourd’hui codifiée à l’article 1321-3, 2° du Code du travail

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