Chemin rural et obligation d’entretien de la commune.

Par Laurent Latapie, Avocat.

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Explorer : # entretien des chemins ruraux # obligations des communes # propriétés foncières # cadre juridique

Lorsque bon nombre de constructions voient le jour aux abords d’un chemin rural, la commune a t-elle la charge de l’entretien dudit chemin rural ?

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Il convient de s’intéresser à la question spécifique de l’entretien des chemins ruraux par les communes.

En effet, il n’est pas rare de remarquer que dans bons nombres de communes, se construisent aux abords des chemins ruraux des résidences, maisons individuelles, pavillons, dont le seul accès demeure le chemin rural jusqu’à la route communale, départementale ou nationale attenante.

Toutefois, se pose la question de savoir à qui revient la charge de l’entretien dudit chemin rural.

Il convient dès lors de savoir si la commune peut se voir imposer une obligation d’entretien desdits chemins ruraux. Il convient en même temps de revenir sur le cadre juridique de ces derniers.

En premier lieu, il convient de rappeler que la cession gratuite a été rendue inconstitutionnelle depuis le 23 septembre 2010 date de la publication de la décision au Journal officiel. Ainsi, aucune cession gratuite ne peut plus être prescrite à partir de cette date.

En outre, les cessions gratuites déjà prescrites et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un transfert de propriété ne peuvent plus être mises en œuvre.

Les terrains doivent donc être achetés par la collectivité aux propriétaires fonciers après avis du service des domaines, soit par voie amiable, soit par voie d’expropriation.

Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales [1].

Ils appartiennent au domaine privé de la commune et leur entretien ne figure pas au nombre des travaux constituant une dépense obligatoire pour les communes. Le Maire est pour sa part, chargé de la police et de la conservation de ces chemins [2].

Selon l’article L 161-2 du Code rural, l’affectation à l’usage du public est présumée, notamment par l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale.

Ainsi donc, il suffirait qu’un chemin puisse être qualifié de « rural » pour que soit exclue l’obligation d’entretien.

Pour ce faire, il doit répondre aux trois conditions suivantes :

- appartenir à la commune,

- être affecté à l’usage du public

- ne pas être classé en tant que voie communale [3].

Le juge a également refusé la qualification de « chemin rural » à un chemin situé en agglomération et présentant un caractère urbain [4].

Le Conseil d’Etat a néanmoins récemment réaffirmé qu’en dépit de sa nature, un chemin rural comporte une obligation d’entretien pour la commune dès lors que celle-ci a procédé à des travaux de viabilisation sur ce chemin, postérieurement à son incorporation dans la voirie rurale : elle en devient responsable à compter du moment où elle a accepté d’en assumer l’entretien [5].

Dès lors, dans l’hypothèse où un goudronnage aurait été entrepris même sur une dizaine de mètre, ou bien encore dans l’hypothèse où aurait été mis en place une desserte en eau, cela serait éventuellement suffisant contraindre la commune à l’entretien du chemin ?

Il convient également vérifier que le chemin n’a pas fait l’objet d’une requalification récente ou s’il n’a pas été prévu la mise en place d’une PVR, En effet dans l’hypothèse où des permis de construire ont été délivrés dans la zone en question, il apparait difficile d’imaginer que ces permis qu’ils soient accordés sans un accès correct. Il convient alors de vérifier si la commune a envisagé ou mis à l’étude une participation pour voie et réseau

Il convient en outre de vérifier si a été envisagé un emplacement réservé grevant les parcelles contigües à ce chemin rural.

Si un emplacement réservé est bien présent au PLU, les propriétaires concernés peuvent mettre en demeure la commune d’acquérir les morceaux de terrain concernés. Si la commune ne peut (ou ne veut) pas le mettre en œuvre, l’emplacement réservé est supprimé, ce qui ne rendra pas le chemin carrossable il est vrai.

Cependant, s’il n’y a pas d’ER, une déclaration d’utilité publique est nécessaire pour que la commune « récupère » du terrain pour élargissement.

C’est une procédure administrative qui permet de réaliser une opération d’aménagement sur des terrains privés en les expropriant, précisément pour cause d’utilité publique ; elle est obtenue à l’issue d’une enquête d’utilité publique.

Cette procédure est nécessaire en vertu du Code civil qui prévoit (article 545) que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant.

Dès lors, si le chemin est bien qualifié de « rural », l’entretien peut rester au bon vouloir du maire, sauf dans le cas où des aménagements ont été réalisés par la commune, alors elle sera dans l’obligation de l’entretenir.

Enfin, il reste la possibilité pour les riverains de ce chemin de entretenir eux même comme le prévoit l’article L161-11 du Code rural :

« Lorsque des travaux sont nécessaires ou lorsqu’un chemin rural n’est pas entretenu par la commune et que soit la moitié plus un des intéressés représentant au moins les deux tiers de la superficie des propriétés desservies par le chemin, soit les deux tiers des intéressés représentant plus de la moitié de la superficie proposent de se charger des travaux nécessaires pour mettre ou maintenir la voie en état de viabilité ou demandent l’institution ou l’augmentation de la taxe prévue à l’article L. 161-7, le conseil municipal doit délibérer dans le délai d’un mois sur cette proposition.

Si le conseil municipal n’accepte pas la proposition ou s’il ne délibère pas dans le délai prescrit, il peut être constitué une association syndicale autorisée dans les conditions prévues par l’article 1er et le titre III de l’ordonnance du 1er juillet 2004 précitée.

Le chemin remis à l’association syndicale reste toutefois ouvert au public sauf délibération contraire du conseil municipal et de l’assemblée générale de l’association syndicale. »

Dès lors, et alors même que bon nombre de communes se développent et élargissent considérablement les zones constructibles et octroient des permis de construire sur des anciennes zones agricoles ou forestières, il importe, tant au promoteur qu’au particulier de s’interroger sur la nature juridique du chemin utilisé pour rallier les constructions en question aux voies d’accès. Car il est bien évident que ce qui peut demeurer, à la construction ou à l’achat, une question secondaire, deviendrait vite une question cruciale si les classiques intempéries hivernales viennent rendre le chemin rural d’accès aux différentes habitations parfaitement impraticables.

Il n’en demeure pas moins que la commune qui a octroyé bon nombre de permis de construire aux abords du chemin rural ne peut s’exonérer de toute obligation d’entretien.

Laurent Latapie,
Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit,
Barreau de Draguignan
www.laurent-latapie-avocat.fr

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Notes de l'article:

[1Code rural et de la pêche maritime, art. L.161-1

[2art. L.161-5

[3art. L. 161-1 C. rur.

[4CE, 14 juin 1972, Chabrol, n°80486

[5CE, 26 sept. 2012, Garin, n°347068

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Discussions en cours :

  • Si le trajet le plus court et le moins dommageable pour désenclaver une propriété apparaît comme l’aménagement par "l’enclavé" d’une portion de chemin rural non entretenu depuis 50 ans, le juge judiciaire peut-il choisir cette solution de désenclavement et donc l’imposer à la commune concernée (attraite à l’instance comme défendeur). Dans ce cas, qui sera responsable de l’entretien et de la sécurité (responsabilité civile) de cette portion de chemin, sachant qu’un seul propriétaire va l’emprunter car les autres propriétés du quartier possèdent leur propre accès à la voie publique ?

  • Bonjour,

    nous avons acquis il y a 32 ans une maison désservie par un chemin rural goudronné. Au fil du temps il s’est détérioré notamment en raison du ruissellement des eaux lié à sa pente et de l’affleurement de racines d’arbres ( depuis 10 ans environ ) sur un terrain mitoyen qu’il ne dessert pas.
    Notre maire accepte de le refaire mais privilégie une restauration en castine. Or, nous craignons que le ruissellement y creuse rapidement des ornières et que la boue entraînée par les pneus soit très salissante.
    Ma question est donc la suivante : y a-t-il contrainte pour la mairie d’effectuer une restauration à l’identique ?
    Merci pour votre réponse.
    Bien sincèrement
    Jocelyne Millot

    • par laurent latapie avocat , Le 27 août 2022 à 10:15

      chère madame
      il me faut plus d’informations, notamment au niveau cadastral ainsi que votre acte de propriété,
      je vous invite à me les adresser par mail à l’adresse électronique suivante :
      latapie.avocat chez hotmail.fr
      dans cette attente
      bien à vous

  • Dernière réponse : 26 août 2022 à 08:59
    par Claudine Nabies , Le 25 août 2022 à 21:29

    J ai une exploitation agricole d élevage de brebis
    La route qui vient chez moi appartient a la mairie se rétréci de plus en plus le livreur de foin de veut plus venir. Comment je peux faire valoir ce qui est de droit

    • par laurent latapie avocat , Le 26 août 2022 à 08:59

      cher monsieur
      j’ai pris bonne note de votre message,
      il me faut cependant plus d’informations
      je vous invite à m’envoyer des éléments à l’adresse électronique suivante :
      latapie.avocat chez hotmail.fr
      dans cette attente
      bien à vous

  • Bonjour

    Je possède un terrain constructible dont l’accès se fait par un chemin rural.
    J’ai fait une demande de permis de construire et le maire l’a refus prétextant que le chemin n’est pas carrossable par tout les temps.
    En sachant que tout mes voisins passent par ce chemin.
    J’ai pris rendez-vous avec le maire pour lui proposer de rendre le chemin carrossable par tout temps comme il le souhaite à mes frais par une société spécialisée dans le TP.
    Il me répond que la mairie ne peut pas me demander de faire les travaux.
    Au final j’ai un terrain constructible et viabilisé mais n’ayant pas d’accès refus de permis
    Que faire ? Est-il dans ces droits ?

    • par Hibert , Le 22 janvier 2021 à 03:06

      J’habite en agglomération. Ma propriété longe un chemin de terre donnant accès au cimetière de la commune.. Je vais vendre ma maison et son terrain mais me garde un morceau de terrain au fond non constructible. Le maire m’a dit qu’il s’agissait d’un chemin communal privé. Ma propriété est clôturée et ce fait le maire ne veut pas l’autoriser une ouverture. Je ne comprends pas. L’échelle est elle mon dernier recours ?

  • par Cheval , Le 13 décembre 2020 à 15:55

    Bonjour je viens d acheter une maison qui est desservie par un chemin communal je suis seul sur ce chemin et le maire de ma commune refuse la réfection du chemin comment faire et me dit que c est a moi de faire les travaux pour que le chemin soit carrossable merci pour votre réponse cordialement

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