Arret Cobrason : Google adwords, responsabilité de l’annonceur et risque de confusion.

Par Antoine Cheron, Avocat.

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Explorer : # concurrence déloyale # publicité trompeuse # responsabilité des annonceurs # google adwords

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre le 29 janvier dernier une décision de cassation concernant de nouveau la question du système de référencement Adwords Google (Com., 29 janvier 2013 Solutions /Google, Cobrason n°R 11-21.011 et Q 11-24.713).

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Cette nouvelle décision s’inscrit dans le sillon de celles déjà rendues par la Haute juridiction ces derniers mois en matière de licéité du système de fourniture d’annonces publicitaires de Google. La Cour de cassation semble désormais adopter la même conception depuis l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 23 mars 2010 et de ses propres arrêts datés du 13 juillet 2010 par lesquels elle paraît définitivement fixer sa jurisprudence en ce domaine.

Dans la présente affaire, la société Cobrason spécialisée dans la vente de matériel Hifi haut de gamme avait assigné en paiement de dommages-intérêts devant le Tribunal de commerce de Paris les sociétés Google et Home ciné Solutions, laquelle exerce la même activité de vente que la société Cobrason, pour actes de concurrence déloyale et publicité trompeuse.

Elle reprochait à la société Home ciné Solutions (société Solutions) l’utilisation du mot clé « Cobrason » dans le moteur de recherche Google pour afficher un lien commercial en marge à droite des résultats et renvoyant vers le site exploité par la société Solutions. Elle incriminait également Google pour son système de référencement Google Adwords qui a contribué selon elle à favoriser les actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse.

Le Tribunal a reconnu la responsabilité des deux sociétés sur le fondement de l’article L.121-1 du Code de consommation et les a condamnées in solidum à payer la somme de 100 000 euros à la société Cobrason. La cour d’appel de Paris a confirmé le jugement dans sa décision du 4 mai 2011.

Les pourvois formés par les sociétés Solutions et Google invoquaient notamment la violation de l’article 455 du Code de procédure civile et l’absence de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et L.121-1 du Code de la consommation.

La société Google faisait valoir en effet qu’en omettant de répondre aux arguments développés dans leurs conclusions à propos de l’application de l’article 6 de la LCEN du 21 juin 2004 consacré au régime exceptionnel de responsabilité des hébergeurs, les juges d’appel ont privé leur décision de motivation. La société Solutions critiquait ensuite la décision d’appel en ce que les actes de contrefaçon relèvent de l’article 1382 du Code civil, lequel exige des actes positifs afin de caractériser l’existence d’une faute, ce que les juges du fond n’ont visiblement pas effectué. Enfin, la société Solutions soulevait encore le moyen selon lequel, l’article L.121-1 du Code de la consommation, consacré à la pratique commerciale trompeuse, exige pour son application de déterminer exactement en quoi la publicité est trompeuse, c’est-à-dire de caractériser un des éléments constitutifs limitativement prévus pour cette infraction.

Les questions auxquelles la Cour de cassation était confrontée portent donc essentiellement sur la caractérisation des conditions d’application des actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse. Or, la Chambre commerciale censure justement les juges du fond pour n’avoir pas caractérisé tous les éléments exigés pour la mise en œuvre des textes susvisés.

Au visa de l’article 1382 du Code civil, elle retient qu’en statuant ainsi «  sans relever de circonstances caractérisant un risque de confusion entre les sites internet des deux entreprises et alors que le démarchage de la clientèle d’autrui est licite s’il n’est pas accompagné d’un acte déloyal , la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». Au visa de l’article L.121-1 du Code de consommation elle censure la cour d’appel qui s’est déterminée « par des motifs impropres à caractériser une publicité fausse ou de nature à induire en erreur portant sur un ou plusieurs des éléments énumérés par l’article L. 121-1 du code de la consommation ». Enfin, au visa de l’article 455 du Code de procédure civile, elle désapprouve la cour d’appel qui a retenu la responsabilité de la société Google, sans avoir répondu à ses conclusions portant sur l’application de l’article 6.1.2 de la LCEN : « sans répondre aux conclusions de la société Google Inc. qui revendiquait le régime de responsabilité limitée institué au profit des hébergeurs ».

La Cour de cassation adopte une solution conforme à sa dernière jurisprudence en matière de responsabilité des annonceurs sur Internet et des prestataires du service de référencement. Cette jurisprudence a d’une part clairement délimité les responsabilités incombant à chacun des acteurs de la publicité en ligne et a d’autre part exigé, selon les vœux de la Cour de justice des communautés européennes, d’apprécier précisément et concrètement les éléments des infractions d’actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse.

La délimitation des responsabilités dans le cadre de Google Adwords

Par la présente décision, la Chambre commerciale réitère ce qu’elle a déjà jugé lors de ses décisions du 13 juillet 2010 à propos justement du système Google Adwords (3 décisions du même jour, pourvois n°06-20230 ; 06-15136 et 05-14331). Ces arrêts avaient écarté toute responsabilité de Google pour acte de contrefaçon dans l’utilisation d’une marque et avaient retenu celle des annonceurs Internet qui seuls font une utilisation de la marque « dans la vie de affaires ».

Plus intéressant, ces arrêts avaient également écarté la responsabilité de la société Google en la faisant bénéficier du régime de responsabilité favorable prévu pour les intermédiaires hébergeurs par l’article 14 de la directive du 8 juin 2000 et l’article 6 de la LCEN. Ils avaient ainsi retenu que Google n’exerçait qu’une activité de stockage des informations publicitaires sans jouer de rôle actif. La Cour de cassation suivait en cela les indications dégagées par la décision de la CJUE le 23 mars 2010, selon laquelle l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information doit revêtir un caractère « purement technique, automatique et passif » (CJUE, 23 mars 2010 affaire C-236/08).

Il revient donc aux juges du fond d’examiner dans chaque cas d’espèce si Google a outrepassé ou non son rôle d’intermédiaire technique en apportant une aide active au référencement de l’annonce. Au cas présent, la société Cobrason faisait valoir devant les juges du fond que Google proposait une aide significative au référencement en utilisant notamment le terme « liens commerciaux » pour présenter l’annonce de la société Solutions, ce qui la rendait coresponsable des actes de concurrence déloyale.

Les juges du fond qui avaient retenu la responsabilité de Google ont été censurés par la Cour de cassation mais de manière indirecte. Selon la Chambre commerciale, il est acquis depuis les arrêts de 2010 notamment que le prestataire du service de référencement comme Google n’engage pas sa responsabilité pour l’utilisation d’une marque, elle ne s’attarde par conséquent que sur l’application ou non du régime de responsabilité dérogatoire prévu à l’article 6 de la LCEN. Or en l’espèce la Cour censure les juges du fond au visa de l’article 455 du Code de procédure civile pour n’avoir pas répondu aux conclusions de la société Google sur la question de sa responsabilité au regard de l’article 6 de la LCEN.

Ce faisant, la Cour de cassation ne prend plus la peine de considérer la responsabilité de Google au regard de l’utilisation d’une marque de tiers mais envisage uniquement son statut d’hébergeur afin de déterminer s’il y a lieu de lui appliquer le régime de responsabilité de l’article 6 de la LCEN. En l’espèce, les juges du fond n’ayant même pas procéder à cet examen, la Cour de cassation prononcera une censure pour une question de procédure.

La responsabilité des annonceurs sur Internet

Sur les trois attendus de la Chambre commerciale, deux sont consacrés à la détermination de la responsabilité de la société Solutions pour les actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse. Ici encore, la Cour de cassation reste fidèle à sa jurisprudence antérieure dans la mesure où elle exige des juges du fond la caractérisation précise et concrète des infractions reprochées.

La société Cobrason démontrait devant les juges du fond que la société Solutions en utilisant la dénomination sociale « Cobrason » sous forme de mot clé, entretenait nécessairement la confusion dans l’esprit des internautes qui pouvaient croire à un lien économique ou juridique entre les deux sociétés dès lors qu’elles apparaissaient ensemble sur une même page. Cependant, la Cour de cassation écarte cette argumentation comme insuffisante à caractériser une confusion et donc un détournement déloyal de la clientèle. Les juges du fond n’ont pas précisément montré en quoi l’internaute pouvait croire qu’il existait un lien commercial entre ces deux sociétés.

En effet, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt en date du 25 septembre 2012 que les annonces classées sous la rubrique « liens commerciaux » dès lors qu’elles sont nettement séparées du résultat naturel, c’est-à-dire ceux qui sont gratuits, et qu’elles sont suffisamment précises, elles sont de nature à permettre à un internaute moyen de savoir que les produits ou services visés ne proviennent pas du titulaire de la marque (Com. 25 septembre 2012 n° 11-18.110 Sté Auto IES c/ Sté Google).

Il revient à la Cour de cassation d’avoir suscité la décision de la CJUE en date du 23 mars 2010 en lui posant trois questions préjudicielles portant sur la responsabilité des prestataires du service de référencement et sur celle des annonceurs utilisant la marque de tiers. La CJUE s’était alors montrée favorable à ce que les juridictions nationales saisies d’une action en contrefaçon puissent apprécier au cas par cas si les faits du litige sont caractérisés par une atteinte, ou un risque d’atteinte, à la fonction d’indication de la marque. Par conséquent, la Cour de cassation ne fait qu’user de cette recommandation en exigeant des juges du fond qu’ils se montrent précis dans la caractérisation des actes de contrefaçon reprochés aux annonceurs sur Internet, en procédant à une analyse détaillée de l’annonce litigieuse.
C’est d’ailleurs en ce sens que le TGI de Nanterre s’est prononcé tout récemment en considérant que l’achat d’un mot clé représentant une marque ne constitue pas une contrefaçon si l’annonce qu’il déclenche est de nature à permettre à « l’internaute normalement informé et moyennement attentif d’établir qu’il n’existe pas de lien commercial ou juridique entre le site internet de l’annonceur et celui du titulaire de la marque » (TGI Nanterre 6 septembre 2012 Eurochallenges).

Ainsi, l’arrêt du 29 janvier 2012 s’inscrit dans le sillon des arrêts précédemment rendus en matière de responsabilité des prestataires d’un service de référencement et d’annonceurs sur Internet. Plus généralement il est le signe d’une moindre protection du droit exclusif accordé au titulaire d’une marque et témoigne de la part des juridictions la volonté de favoriser une économie de la concurrence.

Antoine Cheron

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