Le tatouage est une pratique artistique ancienne. Celle-ci a été observée pour la première fois à l’époque du néolithique sur Ötzi, un homme des glaces découvert gelé dans les Alpes italo-autrichiennes et vieux d’environ 5 300 ans.
Interdit pendant de nombreuses années, le tatouage a finalement été autorisé dans plusieurs pays au XVIIIᵉ siècle. Longtemps associé à la criminalité (comme les tatouages arborés par les célèbres Yakuzas japonais) ainsi qu’à la marginalité, l’usage du tatouage se répand beaucoup plus largement de nos jours, sous l’influence de nombreuses célébrités qui en arborent. A tel point que le tatouage est devenu aujourd’hui un bien de consommation parmi d’autres.
Le tatouage demeure néanmoins un objet de création singulier, en raison de son support unique : le corps humain. Cette singularité implique des conséquences juridiques très spécifiques, dans la mesure où le corps humain est particulièrement protégé, contrairement à l’ensemble des autres supports de création artistique.
Les seules règles applicables spécifiquement au tatouage sont aujourd’hui d’ordre sanitaire [1] et fiscal. Il a en effet été précisé aux termes d’une réponse ministérielle du 22 décembre 2020 que la TVA réduite aux prestations de création artistique n’était pas applicable aux tatouages, ceux-ci faisant l’objet d’un contrat de prestation de service et non de cession de droits d’auteur [2].
Dans la mesure où le droit d’auteur ne prévoit pas de dispositions spécifiques relatives au tatouage, il convient de s’en référer aux principes généraux afin d’apprécier les différents droits et prérogatives en jeu.
Par ailleurs, le droit ne se préoccupe pas de la liberté de l’individu à modifier son corps de manière artistique, sauf pour ce qui concerne les atteintes physiques pratiquées par un tiers qui pourraient être pénalement sanctionnées. Le principe est le droit d’une personne à librement disposer de son corps, qui fait partie de la notion d’autonomie personnelle [3].
1. Le tatouage est-il une œuvre protégeable ?
La condition fondamentale à la caractérisation d’une œuvre de l’esprit, dégagée au fil des ans par la jurisprudence, est l’originalité. L’originalité se définit notamment par le reflet dans l’œuvre de l’« empreinte de la personnalité » de l’auteur [4].
Pour apprécier l’originalité, le syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT), dans son manifeste pour le 10ᵉ art, a recours aux critères du « dessin d’origine, du style du tatouage, de sa position sur le corps, du choix des couleurs, du traitement des tracés, de la technique et des outils utilisés » [5].
Une telle position est conforme à la jurisprudence de la CJUE, et notamment aux critères posés dans les arrêts Infopaq [6] et Painer, qui exigent que l’auteur ait pu « exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs », c’est-à-dire en y insufflant sa « touche personnelle » [7].
En pratique, plusieurs types de dessins peuvent être réalisés par les tatoueurs. Par exemple, un « flash », un dessin créé à l’initiative du tatoueur et proposé tel quel à sa clientèle. Un tel dessin, sous réserve de refléter la personnalité du tatoueur, est susceptible d’être considéré comme original et par conséquent d’être protégé par le droit d’auteur.
Plusieurs cas de figure viennent cependant nuancer cette analyse :
Ne seront pas protégés les motifs traditionnels ou issus du folklore, lesquels se trouvent généralement dans le domaine public et ne sont pas susceptibles d’appropriation. Par exemple, les motifs traditionnels marins, utilisés depuis de longues années, ont des significations liées au temps passé en mer, aux voyages effectués et aux personnes rencontrées. Ils ne peuvent être appropriés en tant que tels. Toutefois, si des modifications sont effectuées sur ces motifs traditionnels, celles-ci pourront éventuellement donner prise au droit d’auteur, qui portera uniquement sur la modification en cause.
L’originalité pourra par ailleurs être reconnue pour un tatouage isolé mais pas nécessairement pour le corps entier. L’agencement de plusieurs tatouages pouvant en effet être considéré comme une œuvre créée par le tatoué. Dans ce cas il faudrait concilier le droit du tatoué sur l’agencement global avec celui du ou des tatoueurs sur les tatouages séparés.
Enfin, une exception existe dans le cadre d’une commande, si le dessin a été fourni par le client ou si celui-ci a donné des directives suffisamment précises au tatoueur. Selon le cas, il pourrait s’agir d’une œuvre de collaboration (avec un partage des droits entre le tatoueur et son client) ou une œuvre collective (les droits appartenant à la personne ayant initié le projet et fourni des directives).
2. Qui possède les droits sur un tatouage ?
Le tatoueur pourra disposer de droits d’auteur sur sa réalisation s’il est à l’origine de celui-ci, sous réserve d’originalité, dans le cas d’un flash par exemple.
Le tatouage réalisé ne pourra cependant pas être protégé s’il est exclusivement constitué d’éléments du domaine public tels que des motifs traditionnels ou issus du folklore.
Il ne disposera pas non plus de droits s’il a seulement repris un dessin communiqué (par le tatoué ou provenant d’un tiers) ou suivi des instructions, sans marge de manœuvre créative (ce qui peut correspondre au cas de l’œuvre collective).
La personne tatouée, dispose quant à elle du droit fondamental à la libre disposition de son corps, posé par l’article 16-1 du Code civil et consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Une illustration de ce principe peut être trouvée dans une affaire mettant en cause une convention conclue par une femme à l’occasion du tournage d’un film pornographique, laquelle s’engageait à se faire tatouer une tour Eiffel et une rose sur une fesse, et acceptait que le morceau de peau serait prélevé par la suite pour être vendu par la société de production. L’application du principe précité a entraîné l’annulation de la convention et la restitution du morceau de peau concerné [8].
Ainsi, quand bien même la personne tatouée ne disposerait pas des droits d’auteur sur le tatouage qu’elle arbore, l’application du droit à la libre disposition de son corps exclut la conclusion d’une convention qui autoriserait l’auteur du tatouage ou toute autre personne à exposer le corps de la personne concernée.
3. Quels sont les droits concernés ?
Le fait pour une personne de disposer de droits d’auteur signifie qu’elle peut autoriser ou refuser certains actes en lien avec l’œuvre. Les droits d’auteur se décomposent entre les droits d’exploitation (droit de reproduction, droit de représentation, droit d’adaptation) et le droit moral (droit à la paternité, droit au respect de l’œuvre, droit de divulgation, droit de repentir).
Est-il possible de reproduire un tatouage existant ?
Nous partons ici du principe que le tatouage en cause est original et par conséquent protégé par des droits d’auteur.
S’agissant de la reproduction de l’image d’un tatouage, il sera naturellement possible pour quiconque d’en effectuer une copie dans le cadre d’un usage privé.
S’agissant d’une reproduction dans un cadre commercial, la situation est différente. La jurisprudence a précisé, dans le cadre d’une affaire concernant un tatouage arboré par Johnny Hallyday et reproduit sur la jaquette d’un album, qu’il n’était pas possible de reproduire une image centrée sur le tatouage, sans l’autorisation de son auteur. A l’inverse, celui-ci pourrait être reproduit à titre accessoire, c’est-à-dire pour une photographie présentant l’artiste avec un tatouage visible, mais sans se focaliser sur le tatouage [9].
La question avait également été posée dans le cadre d’une procédure aux Etats-Unis ayant donné lieu à une décision de 2020. Les tatouages arborés par des joueurs de basket-ball de la NBA avaient été reproduits dans un jeu vidéo dénommé NBA 2K. La juridiction américaine saisie de ce dossier avait considéré que la reproduction des tatouages était un élément accessoire au jeu vidéo et que celle-ci ne permettait donc pas au titulaire des droits sur le tatouage concerné de s’opposer à sa reproduction [10].
Le droit à l’image pourrait aussi venir limiter cette possibilité. Le TGI de Calais indiquait dans un jugement du 19 juin 1895 une possibilité de « ressemblance par les signes distinctifs qui la (la personne) caractérisait ». Or, les tatouages, sont des signes distinctifs qui permettent d’individualiser une personne.
Est-il possible de modifier ou supprimer un tatouage existant ?
Le droit d’adaptation protège une œuvre contre les modifications non autorisées. Pourtant, dans la mesure où le tatouage apparait sur un corps humain, ce droit entre en conflit avec le principe de libre disposition de soi. Le tatoueur peut difficilement s’opposer aux modifications ou à la suppression d’un tatouage, car cela porterait atteinte à l’autonomie personnelle du tatoué, un droit fondamental consacré par la jurisprudence européenne [Notamment l’arrêt Pretty c. Royaume-Uni de 2002.]].
En principe, la modification d’un tatouage par un autre artiste que le tatoueur initial nécessite l’accord de l’auteur original, ce qui sera très difficile à faire valoir en pratique dans la mesure où la liberté personnelle du tatoué de disposer de son corps prévaut. Pour les tatoueurs, faire valoir un droit de repentir ou de retrait sur un tatouage - c’est-à-dire demander son effacement - demeure impossible en pratique.
Faut-il mentionner le nom du tatoueur sur des reproductions ?
Lorsque la reproduction du tatouage n’est pas accessoire, le droit de paternité exige que l’auteur soit mentionné. Une exception est possible si le tatouage apparaît en arrière-plan ou de manière secondaire.
4. Comment protéger les créations ?
Plusieurs fondements juridiques peuvent être utilisés et cumulés pour protéger les œuvres des tatoueurs, comme le droit d’auteur, le dépôt de dessins et modèles, ou encore l’enregistrement de motifs en tant que marques figuratives.
Les tatoueurs peuvent également prendre des mesures pratiques telles que :
- Le dépôt d’une enveloppe Soleau à l’INPI ou la réalisation d’un constat d’huissier, afin de prouver la date de création et son contenu ;
- La publication des tatouages sur les réseaux sociaux du tatoueur, sous son nom, ce qui en constitue une divulgation au public au sens du droit d’auteur et fait présumer sa qualité d’auteur ;
- La conclusion d’un contrat avec le client tatoué, qui permettra d’encadrer les conditions d’utilisation de l’œuvre.
Conclusion.
Le tatouage, en tant qu’art singulier inscrit dans la peau humaine, soulève des questions juridiques complexes qui interpellent le droit d’auteur. S’il est indéniable que les tatoueurs peuvent revendiquer des droits sur leurs créations originales, ces droits doivent constamment s’articuler avec le droit fondamental des tatoués à la libre disposition de leur corps. Le développement du tatouage en tant que pratique artistique grand public nécessite donc une attention particulière afin de trouver un équilibre entre la protection des créateurs et le respect des libertés individuelles, liées à cette spécificité du support corporel.