Publication en open access : obligations et garanties des chercheurs.

Par Dalila Madjid, Avocat.

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Explorer : # open access # publication scientifique # droits d'auteur # licences creative commons

« Ce qui fait le prix de la science, de la connaissance abstraite, c’est qu’elle est communicable », Arthur Schopenhauer.
Depuis 2018, le Baromètre français de la Science Ouverte évalue la part des publications scientifiques françaises en libre accès.
Ainsi, 67% des publications parues en 2021, selon le Baromètre français de la Science Ouverte impliquant au moins un chercheur français, sont en libre accès.

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1- Les obligations du chercheur qui publie en open access.

En réaction à l’explosion des coûts de l’édition scientifique, les chercheurs ont souhaité développer le libre accès de leurs recherches.

Dans leur carrière, la publication d’articles scientifiques représente une étape importante dans la valorisation de leur travail vis-à-vis de leurs pairs.

L’open access des œuvres scientifiques, né dans les années 1990, et organisé dés le début des années 2000, correspond à un mode de diffusion sous forme numérique, gratuite, des articles de recherche et ce, dans le respect du droit d’auteur.

En effet, à la différence d’une œuvre libre, l’open access d’une œuvre scientifique, consiste à donner un accès gratuit à un article scientifique, avec une autorisation de le copier et de le diffuser librement, mais non de le modifier. Comme le soulève justement certains auteurs, il s’agit d’« œuvre de libre diffusion » ou d’« œuvre de libre copie » [1].

Ce mode de libre diffusion permet aux chercheurs de favoriser la communication entre eux, mais aussi d’accroître leur visibilité et l’identité numérique.

La déclaration de Budapest définit la publication en open access de la manière suivante :

« Par "accès libre" à cette littérature, nous entendons sa mise à disposition gratuite sur l’Internet public, permettant à tout un chacun de lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces articles, les disséquer pour les indexer, s’en servir de données pour un logiciel, ou s’en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet. La seule contrainte sur la reproduction et la distribution, et le seul rôle du copyright dans ce domaine, devrait être de garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités » [2].

Néanmoins, se pose la problématique de « cette mise à disposition gratuite » de ces œuvres qui entre en concurrence avec les pratiques traditionnelles des éditeurs de revues scientifiques.

Quelles sont ainsi les obligations qui incombent aux chercheurs vis-à-vis des éditeurs.

La déclaration de Budapest a identifié deux voies, à savoir « l’auto-archivage », appelé la « voie verte » et la création de revues en open access, appelée la « voie dorée ».

La voie verte ou l’auto-archivage.

La « voie verte », permet d’ouvrir l’accès aux articles scientifiques après un délai d’embargo (de diffusion), dont la durée dépend de l’éditeur de revues scientifiques, de quelque mois à 2 ans, voire plus, et de déposer l’article sur des plateformes d’archivages numériques dédiées, comme par exemple, HAL en France. Avant ce délai, le lecteur doit payer pour lire l’article.

Ce modèle a tendance à être de plus en plus proposé par les revues scientifiques traditionnelles.

En effet, les revues scientifiques permettent « l’auto-archivage » qu’après un délai de diffusion (ou d’embargo) d’une durée variable, qui est en moyenne de 6 mois.

Comme le soulève justement certains auteurs, une telle pratique permet « aux éditeurs de se réserver une période d’exclusivité de quelques mois avant la diffusion en open access ». Ce qui diffère l’accès gratuit aux publications scientifiques.

La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, consacre l’open access mais sans mesures contraignantes ou incitatifs.

En effet, à l’article L112-1 du Code de la recherche énonce seulement que :

« La recherche publique a pour objectifs :
(…)
c) Le partage et la diffusion des connaissances scientifiques en donnant priorité aux formats libres d’accès ;
(…)
e) L’organisation de l’accès libre aux données scientifiques
 ».

En octobre 2016, la loi pour la République Numérique est venue compléter la loi de 2013, en étendant le libre accès des œuvres scientifiques.

En effet, elle précise que si la recherche est financée par l’Etat au moins à 50% et est publiée dans des périodiques paraissant au moins une fois par an, alors les auteurs ont le droit de publier en open access après un délai de 6 mois maximum pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine ou 12 mois maximum dans celui des sciences humaines et sociales, même si des droits exclusifs avaient été accordés à l’éditeur.

La loi numérique précise aussi que la version publiée par le chercheur ne doit pas faire l’objet d’une activité « d’édition à caractère commercial ».

Les dispositions de la loi sont d’ordre public. Ainsi, toute clause contraire est réputée non écrite.

L’article L533-4 du Code de la recherche est ainsi rédigé :

« I.- Lorsqu’un écrit scientifique issu d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’Etat, des collectivités territoriales ou des établissements publics, par des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne est publié dans un périodique paraissant au moins une fois par an, son auteur dispose, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, du droit de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique, sous réserve de l’accord des éventuels coauteurs, la version finale de son manuscrit acceptée pour publication, dès lors que l’éditeur met lui-même celle-ci gratuitement à disposition par voie numérique ou, à défaut, à l’expiration d’un délai courant à compter de la date de la première publication. Ce délai est au maximum de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales.

La version mise à disposition en application du premier alinéa ne peut faire l’objet d’une exploitation dans le cadre d’une activité d’édition à caractère commercial.

II.- Dès lors que les données issues d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne ne sont pas protégées par un droit spécifique ou une réglementation particulière et qu’elles ont été rendues publiques par le chercheur, l’établissement ou l’organisme de recherche, leur réutilisation est libre.

III.- L’éditeur d’un écrit scientifique mentionné au I ne peut limiter la réutilisation des données de la recherche rendues publiques dans le cadre de sa publication.

IV.- Les dispositions du présent article sont d’ordre public et toute clause contraire à celles-ci est réputée non écrite ».

La voie dorée des revues en open access.

La « voie dorée », implique que les revues éditrices rendent leurs articles immédiatement et directement accessibles gratuitement au public. En contrepartie, il est demandé à l’auteur ou à son institution de rattachement par exemple, de prendre en charge les frais de parution.

Les revues éditrices n’ont aucune exclusivité sur l’œuvre et peuvent même prévoir l’obligation de l’auteur de diffuser son œuvre sous une licence creative commons « attribution », à savoir qu’il devra accepter que son œuvre soit modifiée, exploitée à des fins commerciales ou non sous la seule réserve que son nom soit toujours associé à sa création.

Ainsi, avec ce modèle, la revue éditrice n’a plus aucun contrôle sur la diffusion de l’œuvre.

Un exemple de publication en Gold Open Access est la revue Public Library of Science (PLOS), qui est une organisation à but non lucratif utilisant le modèle de financement dit « auteur-payeur », c’est-à-dire l’article est gratuit pour le lecteur, néanmoins sa parution a été payante pour l’auteur ou son institution.

2- Les garanties juridiques du chercheur en open access.

Quelles garanties disposent les chercheurs qui publient en open access.

Autrement dit, est- ce que la diffusion en libre accès implique, pour autant une renonciation au droit d’auteur des chercheurs.

En droit français, l’auteur d’un article scientifique possède des droits de propriété intellectuelle, en tant que créateur du contenu de l’article.

En effet, aux termes de l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle

« l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuelle et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial ».

Si l’auteur peut mettre gratuitement son œuvre à la disposition du public, conformément à l’article L122-7-1 du Code de la propriété intellectuelle, cette mise à disposition gratuite demeure exceptionnelle, en ce qu’elle est d’interprétation stricte.

Comme le soulève pertinemment certains auteurs, « l’open access de données de nature scientifique relève du droit d’usage et non d’une cession translative » [3].

D’ailleurs, la déclaration de Budapest précise la nécessité de respecter le droit d’auteur du chercheur qui publie en open access :

« La seule contrainte sur la reproduction et la distribution et le seule rôle du copyright dans ce domaine devrait être de garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités ».

En effet, l’open access ne fait pas disparaître le droit d’auteur pour autant. L’auteur peut se protéger au titre de droits patrimoniaux et moraux.

Par exemple, la plateforme numérique d’archivage HAL certifie l’auteur et la date de dépôt. Ce qui permet au chercheur de se constituer la preuve de la paternité de sa publication.

Si le chercheur a publié son œuvre en accès libre, il a le droit de faire respecter son droit d’auteur, qu’il n’a pas abandonné, et notamment son droit moral.

Du point de vue du droit moral, « la présentation des travaux vaut exercice du droit de divulgation ». Les droits patrimoniaux restent à l’auteur. « Etant entendu qu’en cas d’exploitation commerciale, la cession gratuite de sa part devrait être exclue et qu’il devrait au contraire jouir d’une rémunération et d’une part du droit de reprographie » [4].

Licences creative commons.

Le principe de la liberté d’accès d’une œuvre scientifique qui peut prévoir les droits de réutilisation et de modification des publications peut paraître antinomique avec le droit de la propriété intellectuelle.

Néanmoins, le chercheur qui publie en open access peut fixer les conditions dans lesquelles son œuvre pourra être réutilisée, dans le cadre d’une licence libre, telle que les licences creative commons, comme le propose la plateforme numérique d’archivage HAL.

Les licences sont en principe applicables à des œuvres protégées par le droit d’auteur sur lesquelles l’auteur détient un droit patrimonial, à savoir le droit d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de son œuvre par des tiers.

L’auteur ne renonce pas à son droit d’auteur, mais il aménage l’exercice de celui-ci en autorisant largement l’utilisation de son œuvre.

En effet, le chercheur peut définir les modalités d’exploitation et de diffusion de l’œuvre par un tiers selon des paramètres prédéterminés.

Les six mentions de licence sont une combinaison de 4 options suivantes :

  • Attribution (sigle : BY) : Paternité attribuée à l’auteur de l’œuvre originale (obligatoire en droit français) 
  • Pas d’utilisation commerciale (sigle : NC) : Impossibilité de tirer un avantage commercial ou une compensation financière de l’œuvre
  • Pas de modification (sigle : ND) : Impossibilité de modifier l’œuvre. Par exemple recadrer une photo, traduire un texte, pratiquer l’échantillonnage (sampling) ne sont pas autorisés
  • Partage dans les mêmes conditions (sigle : SA) : Partage de l’œuvre, avec obligation de rediffuser selon la même licence ou une licence similaire (version ultérieure ou localisée). Si l’œuvre n’a pas été modifiée, la mention ne s’applique pas [5].

Il est à noter que la publication dans le cadre d’une licence creative commons doit être compatible avec les dispositions de l’article L533-4 du Code de la recherche, notamment avec l’obligation selon laquelle, l’accès libre d’une publication ne pourra faire l’objet d’une exploitation dans le cadre d’une activité d’édition à caractère commercial.

En l’absence de licences creative commons, le chercheur conserve son droit d’auteur plein et entier. Ainsi, en cas d’exploitation de son œuvre, son autorisation préalable et expresse est requise.

Par ailleurs, se pose la question de savoir si les publications par les chercheurs sur les réseaux sociaux scientifiques numériques relèvent de l’open access.

En effet les réseaux sociaux scientifiques tels que « Academia », société domiciliée aux Etats-Unis (academia.eu), qui est actuellement le réseau le plus important au monde, ou bien même ResearchGate, société basée en Allemagne, ou alors MyScienceWork, société basée au Luxembourg, appartiennent à des sociétés privées.

Academia par exemple, fonctionne sur le partage de documents selon une démarche de peer-review post-publication (évaluation par les pairs), le dépôt d’une publication scientifique en texte intégral sur un réseau social ne s’apparente nullement à l’auto-archivage de la publication dans une archive ouverte.

En effet, et tel qu’il ressort des « Terms of use » du site Academia, la publication déposée par l’auteur qui détient des droits, devient la propriété du réseau qui peut l’exploiter librement, notamment à des fins commerciales.

Ainsi, les chercheurs devront faire preuve de vigilance en consultant au préalable les conditions d’utilisations de ces sites.

En somme, en dépit de la diversité des modalités de publication caractérisant l’open access et d’un cadre règlementaire qui n’est pas encore stable, l’open access offre néanmoins aux scientifiques « l’impact d’audience » de leurs articles en libre accès [6].

Comme le précise justement certains, « l’objectif est d’améliorer la diffusion des savoirs au sein de la communauté scientifique et plus largement vers l’ensemble de la société » [7].

De plus en plus d’universités, tout comme les organismes financeurs de la recherche invitent les auteurs à rendre leurs travaux en accès libre.

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Notes de l'article:

[1Mélanie Clément-Fontaine, JCP PLA 2021.

[2Déclaration de Budapest pour l’accès ouvert, BOAI (BudapestOpen Access Initiative), adoptée le 14 février 2002 suite à une réunion de l’Open Society Institute.

[3P.Y Gautier, Droit de la propriété littéraire et artistique, LGDJ.

[4P.Y Gautier, Droit de la propriété littéraire et artistique, LGDJ).

[6Rousseau-Hans, Ollendorff, Harnais, Données de l’enquête : Les pratiques de publications et d’accès ouvert des chercheurs français, Zenodo, 2020.

[7Nathalie Reymonet, « L’open access (OA) dans la production des connaissances. Texte et schema », HAL, 2015.

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