Google Adwords : l’utilisation, en tant que mot clé, de la marque de son concurrent pour afficher son lien commercial n’est pas, en soi, fautif.

Par Vanessa Bouchara, Avocat.

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Explorer : # concurrence déloyale # publicité trompeuse # google adwords # démarchage de clientèle

De multiples décisions ont été rendues ces dernières années afin de déterminer si Google et l’annonceur devaient être sanctionnés dans le cadre du service de référencement Google Adwords.

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La Chambre commerciale de la Cour de Cassation vient de rendre un nouvel arrêt (29 janvier 2013) par lequel elle a cassé l’arrêt rendu le 11 mai 2011 par la Cour d’Appel de Paris qui avait condamné Google et l’annonceur, sur le fondement de la concurrence déloyale et de la publicité trompeuse, dans le cadre de la vente de liens commerciaux Google Adwords.

Dans cette affaire, une société concurrente de la société Cobrason, la société Solutions, avait réservé le mot clé Cobrason en tant que lien commercial, ce mot clé lui ayant été suggéré par Google dans le cadre de ce référencement.

La Cour d’Appel, confirmant la décision de première instance, avait considéré que l’apparition du lien commercial litigieux avait généré une confusion dans l’esprit de la clientèle potentielle et provoqué, de ce seul fait, un détournement déloyal de cette clientèle ainsi qu’une utilisation parasitaire de l’investissement effectué par Cobrason au travers de son site et de l’organisation de ses campagnes publicitaires. Elle avait donc condamné la société Solutions sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme.

Google a été considéré comme ayant pour sa part contribué techniquement à la confusion générée dans l’esprit du public en cause.

La société Solutions et Google avaient également été condamnées pour publicité trompeuse dès lors que l’internaute, client potentiel, ne pouvait qu’être porté à croire à l’existence d’un lien commercial particulier entre les sites des deux sociétés et que l’utilisation, par la société Solutions, de la formule « Pourquoi payer plus cher », est aussi susceptible d’induire en erreur l’internaute et d’entraîner un détournement de la clientèle considérée.

La Cour de Cassation en décide autrement et casse l’arrêt qui lui était soumis.

Tout d’abord, en ce qui concerne la responsabilité de Google, la Cour de Cassation considère que Google doit bénéficier du régime de responsabilité limitée institué au profit des hébergeurs par l’article 6-1-2 de la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN).

Par ailleurs, il ne saurait y avoir de détournement déloyal de clientèle du seul fait de la diffusion de l’annonce publicitaire litigieuse lorsque l’internaute effectue une recherche Google. En l’absence de démonstration d’un risque de confusion effectif entre les sites internet des deux entreprises, le démarchage de la clientèle d’autrui doit être considérée comme étant parfaitement licite.

L’affichage du site « homecinesolutions.fr » de la société Solutions à la suite d’un clic sur le terme Cobrason n’est pas non plus constitutif d’une publicité trompeuse selon la Cour de Cassation. Il en est de même de l’utilisation de la formule « Pourquoi payer plus cher ». Pour qu’il y ait publicité trompeuse, ou de nature à induire en erreur, il faut qu’une telle publicité porte sur un ou plusieurs des éléments énumérés par l’article L. 121-1 du Code de la Consommation.

La cohérence de cette décision avec les arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne :

Dans trois arrêts du 23 mars 2010 concernant Google Adwords, la CJUE avait considéré que :

  • les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers ;
  • le prestataire d’un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 ou de l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement n° 40/94.

Concernant le premier point, il apparaît que la question essentielle est de savoir si la publicité sera perçue comme provenant du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celle-ci, ou d’un tiers.

Le seul référencement sous la marque d’un tiers n’est donc pas, pour les Tribunaux, fautif puisque, comme l’a relevé la cour de cassation, le démarchage de la clientèle d’un tiers est licite s’il n’est pas accompagné d’un acte déloyal.

Concernant la responsabilité de Google, il apparaît que la jurisprudence de la Cour de Cassation soit conforme à celle de la CJUE même s’il semble que l’activité de Google ne se limite effectivement pas à une seule activité de stockage d’informations qui lui seraient fournies par les publicitaires, mais va au-delà puisque Google suggère des mots clés, se charge de la rédaction de l’annonce publicitaire, décide de leur présentation et de leur emplacement, et propose aux annonceurs des outils informatiques pour gérer ces annonces et pour améliorer leur positionnement.

A ce sujet, la Cour de Cassation s’était déjà prononcée le 13 juillet 2010 et avait considéré, sur le rôle de Google, qu’une Cour d’Appel ne pouvait écarter l’application du régime favorable des prestataires techniques sur le seul motif de l’activité de service publicitaire de Google sans examiner l’existence d’un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données stockées.

L’utilisation en tant que mot clé de la marque d’un concurrent est dorénavant possible, si aucun acte déloyal n’est relevé, le démarchage de la clientèle de tiers étant licite. Les Tribunaux examineront notamment si le site proposé ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.

La question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si les marques de renommée subiront le même sort, ou si de telles marques bénéficieront d’un régime dérogatoire.

Vanessa Bouchara
Avocat au Barreau de Paris
spécialisé en droit de la Propriété Intellectuelle
https://www.cabinetbouchara.com

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