Annulation d'une décision déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun et indemnisation du préjudice subi, par Naguin Zekkouti, Doctorant

Annulation d’une décision déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun et indemnisation du préjudice subi, par Naguin Zekkouti, Doctorant

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Explorer : # responsabilité extracontractuelle # position dominante collective # indemnisation # concurrence

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A propos de l’arrêt TPICE, 9 septembre 2008, My Travel Group c/ Commission

Pour prendre toute la mesure de la décision rendue par le juge de Luxembourg le 9 septembre 2008, il importe d’évoquer de façon liminaire la solution dégagée par le Tribunal de première instance le 11 juillet 2007.

Ainsi, aux termes de l’arrêt Schneider Electric c/ Commission a été consacrée la possibilité pour une partie à une opération de concentration d’être indemnisée du fait de l’illégalité d’une décision interdisant une fusion de dimension communautaire (1). En l’espèce, l’exécutif européen avait, par décision du 10 octobre 2001, déclaré incompatible avec le marché commun l’acquisition par Schneider, via une offre publique d’échange de 98 % du capital de Legrand. La Commission avait en effet estimé que l’opération de concentration entravait de manière significative une concurrence effective sur les marchés français concernés. Le 30 janvier 2002, l’autorité communautaire de concurrence enjoignait les deux groupes à se séparer.

Par deux arrêts du 22 octobre 2002, le Tribunal de première instance, ayant constaté une violation des droits de la défense de Schneider durant la procédure, a prononcé l’annulation des décisions prises par l’autorité administrative de concurrence (2).

Subséquemment, Schneider a introduit un recours en indemnité tendant à obtenir réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité de la décision d’incompatibilité observée en 2002.

L’illégalité de la décision litigieuse ouvrait à un droit à la réparation des préjudices financiers subis par Schneider (3). La violation des droits de défense par le régulateur communautaire, du fait de la discordance entre la communication des griefs et la décision de la Commission, constituait ainsi une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire. En conséquence, la Communauté, sur le fondement de l’article 288 CE et de la jurisprudence (4), engageait sa responsabilité extracontractuelle.

Bien que la Commission ait décidé de former un pourvoi contre la décision du Tribunal devant la Cour de justice, l’arrêt Schneider Electric du 11 juillet 2007 revêt une importance notable, dés lors que pour la première fois dans une affaire de contentieux-concurrence, le seuil d’engagement de responsabilité extracontractuelle de la Communauté est atteint.

Sans doute, la société Airtours allait-elle s’engager dans la brèche ainsi ouverte….

Dans l’espèce commentée, l’ex-voyagiste Airtours (5) avait lancé une OPA sur l’un de ses concurrents, la société First Choice. La Commission Européenne, pour rejeter l’opération de fusion, avait déclaré dans une décision du 22 septembre 1999, la concentration projetée incompatible avec le marché commun. Le 6 juin 2002, la décision est annulée ; le régulateur de la concurrence n’ayant pas suffisamment démontré l’existence d’effets négatifs de l’opération de concentration sur la
concurrence.

Forte de cette décision d’annulation, la société My Travel Group a saisi le Tribunal, d’un recours tendant à engager la responsabilité extracontractuelle de la Communauté du fait de la méconnaissance manifeste et grave des limites de son pouvoir d’appréciation par la Commission (6). En effet, la décision d’incompatibilité rendue par l’exécutif européen constituerait, selon la requérante, une « violation suffisamment caractérisée » du droit communautaire.

Le Tribunal, dans son arrêt de 2002, avait avalisé l’extension du contrôle juridictionnel que la Commission s’était elle-même octroyée, en s’appuyant, dés 1999, sur la notion de « position dominante collective » (7). En septembre 2008, le juge communautaire, statuant non pas sur un recours en annulation mais sur un recours en indemnité, en confirme l’acception restrictive.

Il est effectivement précisé qu’une situation de position dominante collective peut intervenir à la suite d’une opération de concentration (8) lorsque, compte tenu des caractéristiques mêmes du marché en cause et de la modification qu’apporterait à sa structure la réalisation de l’opération, « celle-ci aurait comme résultat que, prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l’oligopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d’adopter durablement une même ligne d’action sur le marché, dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d’un accord ou recourir à une pratique concertée au sens de l’article 81 CE, et ce sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective » (9).

Ainsi définie, la position dominante collective postule la réunion de trois conditions (10). Premièrement, chaque membre de l’oligopole dominant doit pouvoir connaître le comportement des autres membres, afin de vérifier s’ils adoptent ou non la même ligne d’action. Deuxièmement, la situation de coordination tacite doit pouvoir se maintenir dans la durée ; dés lors est requise une incitation à ne pas s’écarter de la ligne de conduite commune sur le marché. Troisièmement, pour démontrer à suffisance de droit l’existence d’une position dominante collective, la Commission doit également établir que la réaction prévisible des concurrents actuels et potentiels ainsi que des consommateurs ne remettrait pas en cause les résultats attendus de la ligne d’action commune.

Au-delà de l’illégalité de la décision d’incompatibilité, le Tribunal, sur l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté, rappelle que la Commission dispose d’une marge d’appréciation aux fins de conserver la maîtrise de la politique communautaire de la concurrence, qu’elle bénéficie ainsi d’une certainenlatitude dans le choix des instruments économétriques à sa disposition (11), ainsi que dans celui des angles d’approche appropriés (12).

De manière plus générale, « la complexité des situations à régler en matière de contrôle des concentrations, les difficultés d’application liées aux contraintes de temps qui s’imposent à l’administration dans ce cadre, ainsi que la marge d’appréciation qu’il convient de reconnaître à la Commission doivent être prises en considération pour apprécier l’existence d’une éventuelle violation suffisamment caractérisée commise par la Commission dans le cadre de son analyse des effets de l’opération Airtours/First Choice sur la concurrence » (13).

Partant, en présence de simples erreurs d’appréciation dans l’analyse des critères constitutifs d’une « position dominante collective », exclusives d’une violation manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission en matière de contrôle des concentrations, au surplus dans un contexte oligopolistique complexe, le recours en indemnité est logiquement rejeté.

A l’aune de ces considérations, il importe d’observer que :

- Dans sa décision du 9 septembre 2008, le juge communautaire confirme les décisions antérieures validant « la position dominante collective » en tant qu’instrument de contrôle des opérations de concentration de dimension communautaire.

- L’étendue du contrôle opéré par la Commission est toutefois encadrée ; la notion de « position dominante collective » devant être strictement entendue sous peine d’annulation de la décision administrative.

- Cette définition rigoureuse de la « position dominante collective » préserve la sécurité juridique au bénéfice des entreprises ; la Commission jouissant d’une souplesse certaine dans la mise en oeuvre de sa politique de concurrence
(caractère très restrictif des conditions du recours en indemnité).

- Néanmoins, l’instauration d’une procédure juridictionnelle plus rapide en matière de contrôle ex-ante des concentrations serait souhaitable (14). Cela permettrait de corriger avec célérité les conséquences néfastes d’erreurs d’appréciation juridiquement simples mais économiquement lourdes ; la présence d’entreprises frileuses sur le marché des fusions-acquisitions ne pouvant être vecteur de concurrence efficiente.

Naguin Zekkouti, doctorant de l’Université Jean Moulin Lyon III.


(1) TPICE, 11 juillet 2007, Schneider Electric SA c/ Commission, affaire T-351/03.

(2) TPICE, 22 octobre 2002, Schneider Electric SA c/ Commission, affaires T-310/01 et T-77/02.

(3) Frais engagés pour la reprise du contrôle de l’opération de concentration suite à l’annulation de la décision de la Commission et réduction du prix de cession consenti par Schneider du fait du report de la fusion.

(4) Voir notamment CJCE, 4 juillet 2000, Bergaderm, affaire C-352/98 P, rec. p. I-5291.
(5) En effet, la société Airtours Plc. est devenue My Travel Group Plc.

(6) Au titre de l’article 2 du règlement n° 4064/89 ainsi que de l’obligation générale de diligence.

(7) TPICE, 6 juin 2002, Airtours c/ Commission, affaire T-342/99.

(8) Sous réserve d’affectation de la concurrence intracommunautaire : voir article 2,2 du règlement CE n°139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises.

(9) TPICE, Airtours c/ Commission, préc. points 11 et 61.

(10) TPICE, 9 septembre 2008, My Travel Group plc. c/ Commission, affaire T-212/03, point 78.

(11) TPICE, My Travel Group plc préc. point 83.

(12) Pour la délimitation du marché pertinent : voir TPICE, My Travel Group plc. préc. point 83 ; TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft c/ Commission, affaire T-201/04.

(13) TPICE, My Travel Group plc. préc. point 84.

(14) J-P Gunther et J. Philippe, « Airtours-First Choice, atterrissage forcé pour la Commission », les Echos, n°18673 du 12 juin 2002, p. 63.

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