Confrontée aux dérives constatées depuis plusieurs années, la fédération anglaise de football (The Football Association) a décidé d’assainir les règles gouvernant les transferts de joueurs en mettant en place une réglementation contraignante applicable aux agents, aux clubs et aux joueurs.
L’objectif ambitieux poursuivi est de mettre un terme aux pratiques concernant le double mandatement (shadowing et switching), le conflit d’intérêt et le paiement de la commission d’agent par le club. Cette réglementation aborde également le rôle de l’avocat de joueur ou de club, le rôle de l’agent licencié dans une autre fédération et donne enfin une place à la famille du joueur.
Le dispositif, appliqué pour la première fois lors de la période de transferts de l’été 2008, est beaucoup plus abouti que celui existant au sein de la Fédération Française de Football et devrait être pris en exemple notamment par le législateur dans la réforme annoncée du statut d’agent de sportif.
Nous avons donc souhaité rendre compte des règles principales gouvernant désormais les transferts de joueurs vers l’Angleterre dont on sait qu’elle est la principale destination pour nos jeunes joueurs.
Nous avons réalisé une étude en deux parties dont la première concerne la définition de l’activité d’agent et les modalités d’exercice de l’activité lors des transferts et des négociations relatives au contrat de travail du footballeur.
1- Le champ d’application de la règlementation anglaise
Les nouvelles règles ont vocation à s’appliquer assez largement aux transactions internationales dans lesquelles un élément anglais est impliqué ("English Transaction"). Ainsi, une transaction intervenant entre un joueur étranger désireux de s’engager auprès d’un club anglais sera placée sous les règles de la Football Association. Il en sera de même lorsque le transfert ou la négociation du contrat (augmentation de salaire, prolongation, rupture etc…) concernera un joueur enregistré auprès de la fédération anglaise. Le fait que l’agent du joueur ou le club actuel du joueur soit étranger à l’Angleterre est indifférent.
Prenons l’exemple d’un joueur licencié dans un club de Ligue 1 qui souhaite signer avec un club de Premier League anglaise. Son agent est licencié auprès de la FFF mais non enregistré auprès de la FA. Le joueur sera dans l’illégalité s’il paie son agent. Si le joueur refuse de payer la commission, il en a le droit, l’agent ne pourrait pas se plaindre auprès de la FA ni auprès du club. L’agent n’aura d’autre solution que de se tourner vers les tribunaux civils anglais* ou vers la commission des agents de joueurs de la FFF lorsqu’une clause compromissoire* aura été insérée dans le contrat.
* il sera utile de faire mention d’une telle attribution de compétence trop souvent négligée dans les contrats de médiation.
* la juridiction compétente sera, au choix du demandeur, celle du lieu de résidence du joueur ou de la prestation significative. Dans les deux cas, l’Angleterre.
2- La définition de l’activité d’agent
L’activité d’agent, "Agency Activity" est définie par la Football Association comme étant toute activité de représentation, de conseil et d’une manière générale toute activité en relation avec le transfert du joueur d’un club vers un autre club ("transaction") ou avec la signature ou la négociation ultérieure du contrat de travail du joueur ("Contract Negociation"). L’activité d’agent peut être exercée pour le compte d’un joueur ou d’un club.
L’agent autorisé peut être un agent licencié auprès de la FA ("Licenced Agent"), un agent licencié auprès d’une fédération étrangère dûment enregistré auprès de la FA ("Registered Overseas Agent"), un membre de la famille du joueur enregistré auprès de la FA ("Registered Close Relation") et enfin un avocat enregistré auprès de la FA ("Registered Lawyer") lequel aura les mêmes prérogatives qu’un agent autorisé tout en pouvant conseiller sur le plan juridique.
Toute activité d’agent est interdite à toute autre personne. La loi anglaise interdit au club et au joueur tout paiement de commissions à un agent non autorisé c’est-à-dire un agent non enregistré auprès de la fédération.
Cette réglementation n’interdit cependant pas à un club français de rémunérer son agent lors d’un transfert d’un joueur français vers l’Angleterre. La réglementation Française étant moins regardante, il est à craindre que la substitution de mandant ne fasse échec aux règles anglaises. Cependant, en général, c’est le club accueillant qui règle illégalement les commissions de l’agent du joueur. Or, lors d’une transaction avec l’Angleterre, le club anglais ne serait pas enclin à rémunérer un agent s’il n’est pas enregistré sauf à se mettre hors la loi.
3 – Les obligations pesant sur l’agent autorisé à exercer en Angleterre
Lors d’une transaction anglaise, l’agent, s’il souhaite bénéficier de son droit à la commission lors d’un transfert ou lors d’une renégociation du contrat du joueur, devra avoir transmis un contrat de représentation conforme à la réglementation anglaise, signé par le joueur ou le club préalablement à tout commencement de négociation pour le compte du joueur ou du club.
Ce contrat de mandat, d’une durée maximale de 2 ans, devra être transmis à la fédération anglaise en trois exemplaires originaux par l’agent et par le club ou le joueur dans les 5 jours suivant la date de signature du mandat.
La Football Association vérifie la régularité du contrat au regard de la réglementation anglaise et de la réglementation de la FIFA sur le statut et le transfert des joueurs. En cas de violation de l’une des règlementations, la FA a le pouvoir d’enjoindre aux parties de modifier le contrat ou de solliciter une autorisation de dérogation.
L’agent autorisé et le club ou le joueur devra informer, par écrit, la FA de tout changement dans le contrat ou évènement qui pourrait affecter sa validité ainsi que de toute rupture anticipée du contrat pour quelque cause que ce soit dans les 5 jours.
4- Les interdictions et les conflits d’intérêts
Le principe selon lequel, chaque mandant doit régler les commissions de son agent n’est pas une nouveauté. Cette règle est posée en droit français par l’article L226-10 du Code du sport ainsi que par le règlement des agents sportifs de la FFF. Ce qui est révolutionnaire ce sont les précautions mises en place en Angleterre pour assurer le respect de ces dispositions par l’ensemble des parties.
Il est interdit à un agent d’être mandaté par un club dans tout transfert ou négociation de contrat de joueur lorsque l’agent a été le mandataire du joueur lors de l’une des deux périodes de transfert précédentes.
Ex : Lors de la période d’enregistrement de l’été 2008, une personne a été l’agent du joueur Paul lors de son transfert, y compris d’un club français vers un autre club français. Le joueur Paul est transféré vers un club anglais en juillet 2009. L’agent ne pourra pas être l’agent du club anglais ayant contacté avec le joueur. Il en sera de même lors de la période de transferts suivante.
La même règle s’applique lorsque l’agent a été l’agent du club français lors du transfert du joueur :
Ex : Lors de la période d’enregistrement de l’été 2008, une personne a été l’agent d’un club français lors du transfert du joueur Jean. Le joueur Jean est transféré vers un club anglais en juillet 2009. L’agent ne pourra pas être l’agent du joueur Jean. Il en sera de même lors de la période de transferts suivante.
Il en sera de même si l’agent du joueur a été impliqué directement ou indirectement dans la gestion des droits d’image du joueur, les contrats commerciaux, les contrats de publicité, de sponsoring etc… relatif à ce joueur. Désormais, l’agent devra choisir entre le joueur ou le club.
La nouveauté de la réglementation anglaise est de faire peser sur le joueur la responsabilité du paiement de son agent. Le joueur devra payer son agent comme tout mandant.
Cette réglementation devrait mettre, sinon un terme, à tout le moins réduire considérablement les dérives trop souvent admises dans le monde du football consistant à une substitution de mandant au profit du club. Il était notamment devenu d’usage qu’un agent négocie le contrat pour le compte du joueur et une fois l’accord avec le club intervenu adressait à la FFF un contrat de mandant au nom du club afin de se faire payer en toute apparence de légalité par le club. Avec cette réglementation, le temps des apparences est banni… En tout cas, c’est le souhait affiché par la Fédération Anglaise de football.
Les conséquences devraient, nous semble t’il, profiter au sportif contrairement à l’idée reçue. En effet, sans remettre en cause l’honorabilité des agents de joueurs, il n’est pas sérieux de penser que l’agent défendra férocement les intérêts du joueur lorsqu’il est payé par le club. La pratique de certains agents allait même jusqu’à négocier en premier lieu leur commission et ensuite discuter les termes du contrat du joueur lors d’un transfert.
Le paiement direct par le joueur va lui assurer une indépendance vis-à-vis du club et lui permettre de mieux contrôler l’activité de son agent, lequel sera incité à négocier plus âprement les modalités financières du contrat, sa commission étant calculée comme un pourcentage du salaire brut du joueur.
Le système est également borné dans les modalités du paiement de la commission due à l’agent par le joueur ou par le club lorsque l’agent est mandaté par le club.
5- Le paiement des commissions de l’agent de joueur
En Angleterre le montant de la commission due à l’agent n’est pas, comme en France, plafonné à 10% du montant du salaire brut du joueur. La règle anglaise suit en cela le règlement de la FIFA sur les agents de joueurs.
Le paiement peut être stipulé dans le contrat de médiation comme un pourcentage du salaire brut ou un forfait.
Le contrat de médiation pourra stipuler que le paiement se fera en un seul versement ou en versements mensuels étalés sur plusieurs mois. Le contrat pourra stipuler que le paiement se fera par l’entremise du club qui prélèvera directement sur le salaire du joueur la part revenant à l’agent.
Lorsque l’agent agit pour le compte du club, c’est au club de le rémunérer. Le système mis en place par les anglais est très encadré puisque le paiement doit transiter par la fédération anglaise qui ne mettra les fonds à disposition de l’agent qu’à la condition que le contrat de médiation lui ait été transmis par les parties. Le paiement sera effectué uniquement sur le compte bancaire que l’agent aura préalablement divulgué à la FA.
En tout état de cause, l’agent autorisé devra informer et transmettre à la fédération le détail des rémunérations de toute nature perçues dans le cadre du transfert ou de la négociation du contrat du joueur. Cette divulgation doit avoir lieu dans les 5 jours de la finalisation de la transaction.
L’agent devra en outre fournir un état des paiements reçus de l’ensemble de ses mandants, joueurs et clubs, durant la période du 1er juillet au 30 juin de l’année suivante. Cet état doit être transmis à la fédération au plus tard le 30 septembre suivant la période couverte par cet état.
En conclusion, le système mis en place par la fédération anglaise marque une étape décisive dans l’assainissement de la réglementation des transferts et de l’activité des agents de joueur. Nous devons nous en féliciter et souhaiter que la France s’inspire sans état d’âme du modèle proposé par nos amis d’outre-manche.
Pour se faire, il faudrait une volonté fédérale embryonnaire à ce jour, la fédération française de football se contentant de n’être qu’une chambre d’enregistrement des contrats de mandat, ne se préoccupant nullement des flux financiers entre les parties lors d’une transaction.
Nous aurions pu penser que la réflexion qui a précédé le projet de réforme du statut des agents allait aboutir à une réforme visant à interdire les abus. En réalité, le projet ne donne nullement les instruments de contrôle nécessaires pour mener à bien une véritable modification des mentalités. Au contraire, il envisage de permettre la rémunération de l’agent du joueur par le club. Gageons qu’une nouvelle réforme sera nécessaire dans la décennie à venir confortant un peu plus la maxime de Montesquieu "les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires".
Redouane Mahrach
Avocat à la Cour
The FA Registered Lawyer