Agents commerciaux : indemnité de rupture des contrats.

Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.

73670 lectures 1re Parution: 21 commentaires 4.99  /5

Explorer : # indemnité de rupture # agents commerciaux # contrats commerciaux # faute grave

La loi protège l’agent commercial en prévoyant, en cas de rupture contractuelle, l’octroi automatique d’une indemnité compensatrice, sans qu’il soit besoin pour l’agent de démontrer une quelconque faute de la part de son mandant.

-

L’article L. 134-12 alinéa 1 du Code de commerce dispose ainsi qu’« en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. »

En application de l’article L. 134-16 du Code du commerce, toute clause ou convention contraire est réputée non écrite.

Cependant, l’article L. 143-12 alinéa 2 prévoit que « l’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits. »

L’indemnité compense la perte de toutes les rémunérations que l’agent aurait dû acquérir grâce à l’activité développée dans l’intérêt commun des parties pendant la durée de son contrat.

Lors de la rupture de leurs contrats, les agents commerciaux ne manquent pour la plupart pas d’invoquer le fait qu’il résulterait de la jurisprudence et des usages que cette indemnité de résiliation serait égale à deux années de commissions même lorsque la durée des relations contractuelles est inférieure à deux années.

De nombreux juges évaluent effectivement le montant de cette indemnité compensatrice au montant des commissions perçues sur deux années ; le calcul étant effectué en prenant pour référence les trois années précédant cessation du contrat (1).

Le montant d’indemnité demeure toutefois de l’appréciation des juges du fond et l’évocation d’éléments spécifiques permet d’obtenir des décisions évaluant le montant de cette indemnité à des montants tout de même inférieurs (2).

La seule possibilité pour le mandant d’éviter le paiement de toute indemnité compensatrice est la démonstration de l’existence d’une faute grave, une telle faute étant très rarement retenue par les juges du fond (3).

1 Le principe : une évaluation de l’indemnité équivalente à deux ans de commissions brutes

Il a ainsi été jugé que l’indemnité devait être évaluée à une somme correspondant à deux années de commissions brutes, bien que les relations contractuelles n’aient duré que neuf mois, la rupture soudaine étant imputable au mandant et fondée sur des motifs totalement étrangers à l’agent commercial ou à son activité (CA Nancy, 2e ch., 22-9-1999).

En effet, la jurisprudence réaffirme régulièrement que cette indemnité a pour but d’indemniser l’agent commercial du préjudice subi du fait de la rupture de son mandat et doit être fixée en fonction des données concrètes de chaque espèce.

Selon différentes Cours d’appel, l’indemnité de cessation de mandat reflète la part de marché que l’agent perd et que le mandant récupère à son seul profit en se passant de ses services (Cour d’appel de Reims, 6 septembre 2004, Les Annonces de la Seine n° 52 du 1er août 2005).

Cette perte de part de marché se traduit par la disparition du potentiel de commissions attaché au volant d’affaires développées par l’agent commercial.

L’indemnité de cessation de contrat a donc pour objet de réparer le préjudice subi qui comprend la perte de toute rémunération acquise à l’agent de par l’activité développée dans l’intérêt commun des parties (Cass. Com. 5 avril 2005, Les Annonces de la Seine n° 52 du 1er août 2005 ; Cass. Com. 26 mars 2008, Les Annonces de la Seine du 26 juin 2008).

C’est pourquoi l’augmentation de la clientèle ou du chiffre d’affaires par l’agent pendant la durée des relations contractuelles n’est pas une condition de l’indemnisation de l’agent commercial.

En effet, l’indemnité prévue par l’article L. 134-12 du Code de Commerce, nonobstant toute clause contraire, n’implique pas un apport initial ni une création de clientèle par l’agent (Cour d’appel de Paris, 25 février 2004, Les Annonces de la Seine du 1er août 2005).

2 Les conditions d’une évaluation de l’indemnité à moins de deux années de commissions

Afin d’amener les juges à évaluer l’indemnité compensatrice à un montant inférieur à deux années de commissions, le mandant doit d’abord apporter la preuve de sa totale bonne foi et démontrer que les relations commerciales n’ont pas été rompues de façon brutale.

Il est ainsi important de prévoir un délai de préavis conséquent. Il est dès lors conseillé au mandant de bien respecter le délai de préavis prévu au contrat, voire de l’augmenter pour permettre à l’agent commercial de trouver un autre mandant.

En outre, afin d’éviter l’évaluation de l’indemnité à deux années de commissions, le mandant doit démontrer que la rupture a été provoquée par un comportement fautif de l’agent commercial.

L’indemnité due à l’agent doit être minorée en cas de faute de l’agent, par exemple lorsque l’agent n’a pas envoyé régulièrement ses rapports d’activité comme le contrat lui en faisait l’obligation car, si ce manquement est insuffisant à justifier, à lui seul, la rupture du contrat d’agence, il a néanmoins privé le mandant d’une source régulière d’informations propres à l’éclairer dans ses choix stratégiques vis-à-vis de la concurrence (CA Paris 27 octobre 2000, Sté manufacture textile création c/ Ohaniantz, indemnité fixée à six mois de commission).

Par ailleurs, n’en déplaise à la jurisprudence précitée, une durée brève de relations contractuelles est prise en compte par certaines juridictions pour évaluer l’indemnité compensatrice à un montant inférieur à deux années d’ancienneté.

Il ne faut pas hésiter à rappeler aux juges la brièveté des relations commerciales en dépit de la jurisprudence récente ci-avant évoquée.

Rappelons ainsi que dans un arrêt du 2 mars 1983 (ch. 5, n° de rôle : J 1361) certes plus anciens que les arrêts de Cour d’Appel précités, reprenant une jurisprudence constante, la Cour d’Appel de Paris avait ainsi jugé que « l’indemnité compensatrice n’est pas nécessairement calculée sur la base de deux ans de commission dès lors qu’elle est destinée à compenser le préjudice subi par l’agent commercial du fait de la résiliation et doit par conséquent être ajustée à ce préjudice » ; la Cour ajoutant que « le contrat d’agent commercial (…) s’étant exécuté pendant une courte durée (en l’occurrence notification de la lettre de rupture après 9 mois et demi de contrat) le montant des commissions perçues ne constitue pas une référence suffisante du préjudice subi (…). »

De même, le fait que l’agent ait retrouvé sans difficulté une activité similaire aura également pour effet de minimiser le montant de l’indemnité due.

3 Une seule possibilité pour éviter toute indemnité compensatrice : la faute grave

Pour éviter d’avoir à verser toute indemnité compensatrice, la seule solution est de démontrer, en application de l’article L. 134-13 1° du Code de commerce, que « la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial. »

Les juges retiennent très rarement l’existence d’une faute grave qu’ils définissent de la façon suivante :
« La faute grave de l’agent commercial est celle qui justifie une cessation du contrat sans délai en portant atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et en rendant impossible le maintien du lien contractuel. » (Ccass. 21 juin 2011, n°10-19902).
Le seul manque d’efficacité de l’agent commercial n’est ainsi en aucun cas constitutif d’une faute grave.

Il a ainsi été jugé que n’avait pas commis de faute grave l’agent commercial qui n’avait pas prouvé avoir respecté les quotas contractuels pour cause de marasme économique, cette circonstance étant impropre à établir qu’il a commis une faute, seule condition pouvant le priver de son droit à indemnité (Cass. com. 13 novembre 1990, n° 89-16448).

En revanche, les juges ont notamment retenu l’existence d’une faute grave à l’encontre de l’agent commercial qui d’une part, a pris des contacts désordonnés, avec la clientèle, faisant des promesses en dehors des possibilités d’approvisionnement malgré les menaces et les avertissements du mandant et qui, d’autre part, a refusé de respecter les procédures de vente et a accordé des remises supérieures à celles préconisées sur le plan national (CA Paris, 4e ch. B, 4 octobre 1996, Socopral c/ Sté Domaines Michel Bernard).

En conclusion, il sera précisé que l’indemnité de fin de contrat peut se cumuler avec des dommages intérêts pour rupture abusive lorsque les circonstances de la rupture révèlent un comportement fautif du mandant.

Jean-Baptiste Rozès
Avocat Associé
OCEAN AVOCATS
www.ocean-avocats.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

1283 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • par lamat roger , Le 10 avril 2017 à 15:37

    l information est tres bonne mais un peu succinte plus de précisions serraient appreciables

  • Bonjour,
    Mon contrat d’agent commercial vient d’être résilié, je souhaiterais connaitre la qualification de l’indemnité, à savoir, si cette dernière doit être perçue comme une commission avec tout ce qui en découle (charges sociales, TVA...) ou comme une indemnité de "licenciement".
    Merci d’avance pour votre réponse.

  • par jean françois BOUFFARé , Le 9 décembre 2016 à 08:58

    Bonjour, Agent depuis mi-septembre pour une entreprise familiale tenue par deux soeurs, l’une, s’occupant du siège en Grande Bretagne, l’autre en France. C’est à cette dernière que j’ai toujours eu à faire, c’est elle aussi qui facture les clients, c’est aussi cette dernière qui paye les commissions. Hier, cette dernière a envoyé un e-mail à l’intention des agents pour nous annoncer qu’elle cessait son activité au premier décembre pour se consacrer à tout autre chose et que de ce fait à partir de cette date il faudrait travailler directement avec la maison mère et ce pour 4 mois seulement le temps pour eux de trouver un distributeur national en France. La raison évoquée étant la difficulté pour eux, de Grande Bretagne, de gérer les commandes des agents.
    Il en résulte que depuis mi-septembre, je leur ai créé une clientèle, je me suis déplacé, j’ai élargi mon site internet afin de promouvoir leurs produits et je vais laisser des clients sans approvisionnement sur des produits qu’ils ont eux même mis en avant. Le fait de n’avoir à ce jour travaillé que 2 mois 1/2 me donne-t-il droit à indemnisation ?, si oui, sur quelle base ?, le fait que le siège soit en GB modifie-t-il la réglementation ?, le fait que ce soit une française, dont je ne connais pas le statut, qui m’ait "engagé" la rend-elle responsable ? Je vous remercie vivement de vos conseils.

  • par Smad , Le 23 février 2016 à 17:56

    Bonjour
    Agent commercial , j ai quite la société
    Apres une reunion voici 1 an au mois de mars

    Aucune date de rupture mais un desacord des deux parties

    Puis je pratiquement un an plus tard faire des démarches dans ce sens pour demander une indemnitee ???

    Merci de votre reponse
    Py smad

  • par AGTCO , Le 15 février 2016 à 17:20

    bjr, voila, j’ai signé une carte il y a quelques mois, et à ce jour, il est vrai que je n’ai fait aucune CA. La sté mandante fait une rupture de contrat ... quel est son risque sur le plan d’éventuelles indemnités ? rien n’était prévu au contrat là-dessus ... merci . cordialement

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27837 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.

• L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs