Affaire Autolib / BMW : qualification, insécurité juridique et secret des affaires.

Par Antoine Cheron, Avocat.

2009 lectures 1re Parution: 4.7  /5

Le contexte concurrentiel actuel qui caractérise le monde des affaires contraint les entreprises à accroitre leur vigilance et redoubler d’efforts pour protéger leur patrimoine informationnel. Conscientes de la valeur de ces informations tant pour se maintenir et se distinguer sur le marché que de l’avantage qu’elles peuvent procurer aux concurrents, les entreprises ont intérêt à mettre en place des moyens techniques et juridiques pour conserver ces données.

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Cependant, les moyens matériels et humains déployés pour protéger ces informations confidentielles ne sont pas toujours suffisants comme l’illustre la présumée affaire d’espionnage des voitures électriques Autolib’ par le groupe BMW.

Le 5 septembre dernier deux techniciens du cabinet d’ingénierie P3 Group, sous-traitant du constructeur BMW, ont été interpellés à proximité d’une voiture Autolib’ et placés en garde à vue alors qu’ils se faisaient passer pour des agents de maintenance des voitures électriques.

La société Vivendi, distributeur des Autolib’, a alors porté plainte pour abus de confiance, intrusion dans un système automatisé de données et dégradation de biens au motif que BMW est coupable d’ « espionnage industriel » pour avoir tenté de découvrir le fonctionnement de la batterie et des systèmes de géolocalisation de la voiture électrique en procédant à un examen approfondi des véhicules présents sur la voie publique.

Malgré cette accusation, le groupe BMW conteste formellement les faits et affirme qu’elle ne faisait qu’identifier les réseaux et examinait les bornes de recharge accessibles sur la voie publique pour vérifier la compatibilité de celles-ci avec sa voiture électrique i3.

Avoir recours à l’espionnage industriel entre concurrents n’est pas une pratique nouvelle bien que condamnable. Pourtant, cette affaire illustre l’état de notre droit positif : les atteintes au secret d’affaires ne sont réprimées que par les infractions pénales préexistantes. Or, celles-ci ne sont pas toujours satisfaisantes comme l‘illustre la présente espèce. Aussi, il serait opportun de réprimer ces atteintes par la création d’un délit spécifique de violation du secret d‘affaires.

I. Les fondements juridiques à la protection du secret d’affaires

La législation française ne définit pas clairement la notion de « secret d’affaires ». Aussi, on peut se référer à l’article 39.2 du Traité ADPIC qui propose de définir le secret d’affaires comme : « les personnes physiques et morales auront la possibilité d’empêcher que des renseignements licitement sous leur contrôle ne soient divulgués à des tiers ou acquis ou utilisés par eux sans leur consentement d’une manière contraire aux usages commerciaux honnêtes, sous réserve que ces renseignements : a) soient secrets en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exact de leurs éléments, ils ne sont pas généralement connus de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur pas aisément accessibles ; b) aient une valeur commerciale parce qu’ils sont secrets ; et c) aient fait l’objet, de la part de la personne qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables compte tenu des circonstances destinées à les garder secrets  ».

Plus précisément, l’OMPI définit le secret d’affaires comme tout renseignement commercial confidentiel qui donne à une entreprise un avantage concurrentiel.

Notamment, sont couverts par le secret d’affaires, les secrets de fabrication, les secrets industriels ou encore les secrets commerciaux. De cette définition générique transparaît que l’information recherchée par un concurrent peut revêtir une multiplicité de formes.

Cependant, seuls tomberont sous la qualification d’atteinte au secret d’affaires les informations secrètes subtilisées par un tiers dont la valeur de celle-ci est liée à son secret et pour lesquels l’entreprise a déployé des moyens raisonnables pour garder cette information secrète.

En l’espèce, peut être constitutif d’une violation du secret d’affaires le fait, pour la société BMW, de faire appel à deux techniciens de haut niveau afin qu’ils découvrent la technologie déployée dans l‘Autolib‘ en vue de la reproduire. Néanmoins, comme il l’a été précisé, le délit de « violation du secret d’affaires », n’existe pas en droit positif. Pour pallier à cette lacune juridique, la jurisprudence a recours aux qualifications de droit pénal général et spécial, notamment en appliquant les délits d’abus de confiance et de vol.

A titre d’illustration, le Tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand, dans l’affaire Michelin, a jugé le 21 juin 2010 qu‘ : « en gardant en sa possession des données qu’il savait ne lui être communiquées que pour les besoins de son activité professionnelle et en faisant un usage à des fins totalement étrangères, Monsieur X s’est rendu coupable du délit d’abus de confiance  ».

Si la qualification d’abus de confiance a semblé être préférée par les magistrats à celle du vol, dans un premier temps, la jurisprudence semble aujourd’hui faire application de ces deux délits tel que l’illustre le jugement rendu par le Tribunal de Clermont-Ferrand le 26 juin 2011, affaire Rose.

Dans cette affaire, le Tribunal s’est positionné tant sur l’infraction d’abus de confiance que sur l’infraction de vol d’informations pour réprimer les faits de l’espèce puisqu’il a jugé que : « les éléments constitutifs d’un abus de confiance supposent une remise délibérée ou précaire ; qu’en l’espèce Madame Rose a eu à sa disposition un ensemble de dossiers dans le cadre d’un rapport juridique nommé, en l’espèce un contrat de travail ; qu’en tout état de cause, le transfert opéré a conduit à une utilisation à des fins étrangères de ces données », et que « le rapport d’expertise du disque dur et des clés USB retrouvées en perquisition au domicile de Madame a établi que le fichier « c list 0908.xls » correspondant aux données des clients des sociétés X et X2 a été crée le 16 janvier 2009, soit le jour du départ de la société ; que sous couvert de fournir des données actualisées à Monsieur X elle a transféré ces données sur une clé USB ; que le transfert d’informations, aux fins d’actualisation des fichiers antérieurs sont constitutifs de soustraction frauduleuse ».

Aussi, indistinctement, les juridictions du fond se positionnent sur l’abus de confiance réprimé à l’article 314-1 du Code pénal, et l’infraction de vol prévue à l’article 311-1 du même Code pour sanctionner les violations du secret d‘affaires.

En l’espèce, c’est le délit d’abus de confiance qui a été retenu à celui du vol pour qualifier les faits d’espionnage industriel du groupe Vivendi par la société BMW.

Or, la qualification d’abus de confiance comme la qualification de vol apparaît erronée au regard des éléments constitutifs de ces infractions posés par le Code pénal, si bien que l’opportunité d’instaurer un délit de violation du secret d’affaires en droit français n‘est que renforcée.

II. L’opportunité de créer une infraction autonome du secret d’affaires

Tel qu’il l’a été développé, le droit positif ne réprime pas les atteintes au secret d‘affaires par une infraction autonome et distincte des infractions pénales existantes. Les juridictions françaises ont donc du s’efforcer d’adapter le droit pénal en étendant, certainement trop largement, les qualifications pénales d’abus de confiance et de vol d’informations pour faire entrer dans leur champ des faits traduisant une atteinte au secret d‘affaires.

Pourtant, comme l’illustre la présente affaire, toute la difficulté est d’appliquer à des situations factuelles des dispositions légales qui n’ont pas vocation à les régir, et ce, au mépris du principe de légalité des délits et des peines et de clarté et de précision de la loi pénale.

En effet, l’article 341-1 du Code pénal dispose que : « l’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ; L’abus de confiance est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende ». Or, en l’espèce, même si des informations ont pu être détournées au préjudice du groupe Vivendi, aucun élément ne permet d’affirmer que ces informations confidentielles ont été remises aux techniciens en vue de les rendre, de les représenter, ou d’en faire un usage déterminer. De sorte que l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction n’étant pas réunis en l’espèce, le délit d’abus de confiance n’est pas caractérisé et cette qualification ne devrait pas être retenue.

Également, aurait pu être appliqué à l’espèce l’infraction de vol réprimée à l’article 311-1 du Code pénal comme « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ». Néanmoins, sauf à rapporter la preuve de ce que les techniciens ont obtenu des informations confidentielles sur la technologie de l’Autolib’ après examen des véhicules présents sur la voie publique, il appert que c’est la qualification de tentative de vol qui pourrait s’appliquer et non la qualification de vol.

Aussi, au regard des difficultés pratiques que suscitent ces deux dispositions pénales, il serait bienvenue de réprimer de manière autonome la subtilisation d’informations confidentielles en instituant un délit de « violation du secret d’affaires » dans le Code pénal.

En ce sens, une proposition de loi a été présentée par M. Bernard CARAYON à l’Assemblée nationale et votée le 23 janvier 2012. Déposée depuis lors au Sénat, elle n’a toujours pas été examinée par les parlementaires. En substance, la proposition prévoyait de compléter le titre II livre III du Code pénal par un chapitre 5 en réprimant en tant qu’infraction autonome « l’atteinte au secret des affaires de l’entreprise ».

A ce jour, la législation française ne contient aucune disposition condamnant de manière générale toute violation du secret d’affaires.

En effet, le droit positif prévoit seulement des dispositions spécifiques condamnant dans une moindre mesure certaines atteintes au secret d’affaires comme l’illustre l’article L.621-1 du Code de la propriété intellectuelle relatif à la violation des secrets de fabrique.

S’il est vrai que le recours aux qualifications pénales d’abus de confiance et de vol ont été séduisantes jusqu‘à maintenant ; elles ne sont pas totalement satisfaisantes. Aussi, il serait opportun que le débat sur la création d’un dispositif légal adapté à ces atteintes soit, de nouveau, d’actualité.

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