En 2019, 146 femmes et 27 hommes ont été tués par leur partenaire ou leur ex-partenaire de vie, soit une hausse de 16 % par rapport à 2018 [1].
Pendant le confinement, il ressort que le nombre de signalements de violences conjugales a fortement augmenté. Ainsi près de 45 000 appels ont été passés au 39 19 du 16 mars au 10 mai 2020 [2].
Face à ces chiffres toujours plus élevés, un Grenelle contre les violences conjugales s’était ouvert le 3 septembre 2019 afin d’adopter des mesures fortes pour lutter contre ce fléau.
Parmi ces mesures, a été proposée la mise en place d’un dispositif électronique, dit « bracelet anti-rapprochement (BAR) ».
Ce dispositif, qui existe en Espagne depuis 2008, est réclamé, sans succès, depuis longtemps en France. En effet, il s’est révélé être efficace. En Espagne, le nombre de meurtres liés aux violences conjugales est passé de 76 en 2008 contre 48 en 2018.
En 2010 [3] et en 2017 [4], les tentatives d’expérimentations ont été un échec. Et pour cause, ce dispositif ne concernait que les personnes condamnées à une peine d’au moins cinq ans de prison pour violences conjugales. Or, aucune personne n’a été condamnée à une telle peine durant cette période.
C’est finalement en fin d’année dernière, que le bracelet anti-rapprochement a été effectivement instauré par la loi du 28 décembre 2019. Cette loi prévoyait qu’elle serait complétée par un décret d’application.
C’est désormais chose faite puisqu’un décret n° 2020-1161 du 23 septembre 2020 a été publié au Journal officiel le 24 septembre 2020. Ce décret vient préciser les modalités de mise en œuvre du dispositif électronique mobile anti-rapprochement. Il est entré en vigueur le 25 septembre 2020.
D’abord déployé dans les juridictions d’Aix-en-Provence, d’Angoulême, de Bobigny, de Douai et de Pontoise, ce dispositif sera généralisé sur l’ensemble du territoire d’ici le 31 décembre 2020.
Le présent article fait donc un zoom sur ce décret et ses principales dispositions venant modifier le code pénal et le code de procédure civile.
I- Les modalités de mise en œuvre du bracelet anti-rapprochement.
1- Définition du dispositif.
Le bracelet anti-rapprochement vise à tenir à distance des victimes, leurs conjoints ou ex-conjoints violents.
À cet effet, il permet de géolocaliser l’auteur des violences et de déclencher un système d’alerte si ce dernier dépasse le périmètre défini par le juge et s’approche trop de la victime.
Pour cela, un bracelet est posé à sa cheville ou son poignet par le personnel pénitentiaire tandis qu’un boîtier est remis à la victime, qu’elle doit conserver sur elle en permanence.
« Il a pour objet de mettre en œuvre un dispositif technique destiné à garantir l’effectivité de l’interdiction faite à la personne porteuse d’un bracelet anti-rapprochement de rencontrer une personne protégée, victime d’une infraction commise au sein du couple ».
2- La décision d’imposer le bracelet anti-rapprochement.
La décision d’ordonner le port d’un bracelet anti-rapprochement peut être prononcée sur décision d’un juge :
soit, dans le cadre d’une procédure pénale ;
soit, nouveauté du décret du 23 septembre 2020, dans le cadre d’une procédure civile.
a) Le cas d’une procédure pénale.
Au pénal, la mise en place de ce dispositif pourra être décidée par une ordonnance motivée rendue :
soit par le juge d’instruction ;
soit par le juge des libertés et de la détention.
De plus, il sera possible d’y recourir soit avant le jugement, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, soit après le jugement. Dans le second cas, la mesure pourra être prise seulement si la personne soupçonnée de violences conjugales a été reconnue coupable des faits et sera considérée comme un aménagement de peine.
A noter que la décision peut être décidée
« sans débat contradictoire ou recueil préalable des observations de la personne et de son avocat, par ordonnance statuant sur une demande de mise en liberté ou décidant d’une mise en liberté d’office ».
b) Le cas d’une procédure civile.
Depuis ce décret, le juge aux affaires familiales peut désormais décider du port d’un bracelet an-ti-rapprochement dans le cadre d’une ordonnance de protection d’une victime dénonçant des violences et que l’on estime en danger.
Il sera alors nécessaire de recueillir le consentement du conjoint violent avant la pose du bracelet. En cas de refus, le juge aux affaires familiales pourra demander l’ouverture d’une enquête pénale auprès du parquet.
c) Les informations du porteur du bracelet.
Le décret prévoit que la personne placée sous le dispositif électronique anti-rapprochement doit recevoir certaines informations. Ainsi, elle doit par exemple être informée que :
« la pose du bracelet comportant un émetteur, ne peut être effectuée sans son consentement, mais le fait de la refuser constitue une violation de ses obligations pouvant donner lieu à la révocation de son contrôle judiciaire et à son placement en détention provisoire » ;
« le fait de se rapprocher volontairement de la victime ou de provoquer son rapprochement, en méconnaissance de la distance d’alerte constitue une violation de l’interdiction qui lui est faite pouvant donner lieu à la révocation de son contrôle judiciaire et à son placement en détention provisoire » ;
« le fait, par la personne porteuse d’un bracelet anti-rapprochement, de ne pas s’assurer du rechargement périodique du dispositif, afin de garantir son fonctionnement à tout moment, constitue une violation des obligations auxquelles elle est astreinte pouvant donner lieu à la révocation de son contrôle judiciaire et à son placement en détention provisoire ».
3- Le périmètre de sécurité.
Les effets du dispositif anti-rapprochement diffèrent selon le périmètre dans lequel se trouve le porteur du bracelet.
En effet, deux zones sont prédéfinies par le juge :
la zone de pré-alerte : elle est « égale au double de la distance d’alerte » (donc de 2 à 20 kilomètres) ;
la zone d’alerte : « la distance d’alerte séparant la victime de la personne placée sous contrôle judiciaire, exprimée en nombre entier de kilomètres, ne peut être inférieure à un kilomètre, ni supérieure à dix kilomètres ».
Si le conjoint franchi le périmètre de pré-alerte, un avertissement lui demandant de s’éloigner est adressé par une plateforme de téléassistance.
S’il ne répond pas et franchit la zone d’alerte, la victime est informée et les forces de l’ordre peuvent intervenir.
Pour déterminer cette distance, le juge doit :
d’une part, veiller à ce que la mesure anti-rapprochement imposée à l’auteur des faits ne porte pas « une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale » ;
et d’autre part, à ce qu’elle « n’entrave pas son insertion sociale, en tenant notamment compte de la localisation respective des domiciles et lieux de travail de cette personne et de la victime, de leurs modes de déplacements, et de la typologie de leur lieu de vie, rural ou urbain ».
Ainsi, le juge peut prévoir dans sa décision que « le porteur du bracelet est autorisé à être présent à des heures et dans des lieux qu’il détermine, y compris si ces lieux venaient à être intégrés du fait des déplacements de la personne ou de la victime dans une zone d’alerte ou de pré-alerte ».
De même, le périmètre initialement fixé par le juge pourra faire l’objet d’une révision à la demande du porteur du bracelet ou de la victime.
4- La durée de la mesure.
Le décret du 23 septembre 2020 précise que la mesure d’interdiction de rapprochement est « ordonnée pour une durée qui ne peut excéder six mois ».
Elle peut être renouvelée pour la même durée, sous certaines conditions, sans que sa durée totale ne puisse excéder deux ans.
II- La création d’un traitement des données personnelles.
Le décret du 23 septembre 2020 dispose que « le ministre de la justice est autorisé à mettre en œuvre le traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé “Bracelet anti-rapprochement” ».
C’est un magistrat qui assure le contrôle de ce traitement des données à caractère personnel, lequel poursuit deux objectifs principaux :
il vise d’abord à « assurer le contrôle à distance des personnes placées sous ce dispositif électronique » ;
mais également à « mettre en œuvre un dispositif technique destiné à garantir l’effectivité de l’interdiction faite à la personne porteuse d’un bracelet anti-rapprochement de rencontrer une personne protégée ».
En d’autres termes, ce traitement permet de localiser facilement la victime ainsi que le porteur du bracelet afin d’alerter efficacement les personnes en charge du contrôle en cas de dépassement des périmètres et prendre les mesures appropriées.
Le décret fixe également :
les données et les informations à caractère personnel pouvant être enregistrées « dans la stricte mesure où elles sont nécessaires à la poursuite des finalités » ;
les personnes pouvant accéder à ces données (notamment les personnels habilités des services centraux et déconcentrés de l’administration pénitentiaire, personnels habilités chargés du contrôle à distance du dispositif électronique mobile anti-rapprochement, le magistrat chargé de contrôler le traitement, les agents chargés des systèmes d’information) ;
la durée de leur conservation « ces informations sont conservées pendant une durée de trois ans ».
Il convient de préciser que la notion de violences conjugales recouvre plusieurs situations qui ne sont que physiques [5].