Au visa des articles L1121-1 et L1221-1 du Code du travail et du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, la Cour de cassation affirme que lorsqu’une clause de non-concurrence est annulée, le salarié qui a respecté une clause de non-concurrence illicite peut prétendre au paiement d’une indemnité en réparation du fait que l’employeur lui a imposé une clause nulle portant atteinte à sa liberté d’exercer une activité professionnelle de sorte que l’employeur n’est pas fondé à solliciter la restitution des sommes versées au titre de la contrepartie financière de l’obligation qui a été respectée.
Toutefois, l’employeur qui prouve que le salarié a violé la clause de non-concurrence pendant la période au cours de laquelle elle s’est effectivement appliquée, est fondé à solliciter le remboursement de la contrepartie financière indûment versée à compter de la date à laquelle la violation est établie.
1) Faits et procédure.
Un salarié dont le contrat de travail comportait une clause de non-concurrence d’une durée d’un an sur tout le territoire français a démissionné.
En réaction, l’employeur a saisi la juridiction prud’homale afin de constater la violation par le salarié de la clause de non-concurrence et d’obtenir le remboursement de l’indemnité de non-concurrence versée au salarié.
Par un arrêt rendu le 23 mars 2022, la Cour d’appel de Paris ne fait pas droit aux demandes formulées par l’employeur, au motif qu’une atteinte excessive à la liberté du salarié est caractérisée en raison du fait que
« si cette clause de non-concurrence est limitée dans le temps à un an, elle s’étend dans l’espace à l’ensemble de la France alors qu’il n’est pas démontré que l’activité commerciale du salariés’exerçait sur la France entière, celui-ci étant au contraire rattaché à la région parisienne ».
Ainsi, non seulement la Cour d’appel de Paris décide que la clause de non-concurrence est nulle, mais refuse aussi le remboursement de l’indemnité de non-concurrence à l’employeur, en raison de la seule nullité de la clause de non-concurrence.
Par conséquent, l’employeur se pourvoit en cassation sur le fondement des articles L1121-1 et L1221-1 du Code du travail, selon lesquels respectivement, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », et « le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d’adopter ».
2) Sur la nullité de la clause de non-concurrence.
2.1) Moyens.
En effet, l’employeur demandeur au pourvoi devant la Cour de cassation, fait grief à l’arrêt de la cour d’appel, de juger que la clause de non-concurrence est nulle.
À cet égard, si l’employeur convient que « pour être valide, une clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporter l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière », selon lui, la seule extension du champ d’application géographique de la clause à l’ensemble du territoire français ne rend pas en soi impossible l’exercice par le salarié d’une activité professionnelle.
Dans cette perspective, l’employeur considère que les juges du fond doivent constater que, du fait de l’interdiction de concurrence, le salarié a été empêché d’exercer toute activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle, afin de pouvoir retenir une atteinte excessive au libre exercice par le salarié d’une activité professionnelle.
Ainsi, l’employeur reproche à la cour d’appel de ne pas avoir procédé à ce constat pour avoir, au contraire, limité le contrôle de proportionnalité de la clause de non-concurrence à une appréciation in abstracto du seul champ géographique de l’interdiction de concurrence, sans pour autant caractériser qu’en raison de cette étendue géographique qui englobait l’ensemble de la France, le salarié se trouvait concrètement dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle.
De même, le demandeur au pourvoi devant la Cour de cassation soutient que le juge du fond ne peut pas à la fois dire l’interdiction de concurrence appliquée à la région parisienne valable, et à la fois, la juger nulle en raison d’une atteinte excessive à la liberté de travailler du fait d’un champ d’application géographique trop vaste.
Au contraire, selon l’employeur, si une clause de non-concurrence encourt la nullité, le juge a simplement le pouvoir de réduire l’étendue de l’interdiction posée par une clause pour que celle-ci puisse alors recevoir application dans ses nouvelles limites, dans la mesure où elle est proportionnée à l’intérêt légitime de l’entreprise.
2.2) Solution : la clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise.
La qualification de technico commercial du salarié justifiait-elle la nécessité pour l’entreprise de prévoir une clause de non-concurrence ?
Non, selon la Cour de cassation.
En effet, les juges de la Cour de cassation conviennent que le caractère concurrentiel et mouvant de l’activité ne justifie pas la restriction à la liberté de travail du salarié prévue par la clause de non-concurrence, excessive au regard de sa qualification de technico-commercial, et fait ainsi ressortir que cette clause, compte tenu des fonctions effectivement exercées par le salarié, n’était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise.
Cet arrêt peut être rapproché de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 (n° 20-18.144) qui a considéré que la clause de non-concurrence d’un infirmier coordinateur auquel il était interdit d’entrer au service d’une entreprise concurrente pendant une durée de 8 mois suivant l’expiration de son contrat n’était pas valable car l’employeur ne justifiait pas de l’intérêt légitime qu’elle entendait protéger.
Par conséquent, le pourvoi formé par l’employeur est rejeté sur ce point.
Cette solution doit être approuvée.
3) Sur le remboursement de l’indemnité de non-concurrence.
3.1) Moyens.
L’employeur demandeur au pourvoi devant la Cour de cassation, fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de le débouter de sa demande au titre du remboursement de l’indemnité de non-concurrence perçue par le salarié.
À cet effet, le demandeur au pourvoi défend que
« l’employeur peut obtenir la restitution des sommes versées au titre d’une clause de non-concurrence nulle lorsque cette clause n’a pas été respectée par le salarié ».
Or, selon lui, non seulement le salarié n’a pas respecté cette clause en travaillant pour le compte d’une société concurrente, mais plus encore, la cour d’appel se fonde seulement sur la nullité de la clause pour refuser le remboursement des indemnités relatives à celle-ci.
3.2) Solution.
Le caractère de nullité d’une clause de non-concurrence peut-il justifier le refus du remboursement de l’indemnité de non-concurrence à l’employeur ?
La Cour de cassation répond par la négative au visa du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et l’article L1121-1 du Code du travail cité précédemment.
De même, la cour de cassation rappelle que
« si un contrat nul ne peut produire aucun effet, les parties, au cas où il a été exécuté, doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient auparavant, compte tenu des prestations de chacune d’elles et de l’avantage qu’elles en ont retiré ».
De cette manière, si, lorsqu’une clause de non-concurrence est annulée, le salarié qui l’a respectée, peut prétendre au paiement d’une indemnité de réparation, il en résulte toutefois que l’employeur n’est pas fondé à solliciter la restitution des sommes versées au titre de la contrepartie financière de l’obligation qui a été respectée.
Or, en l’espèce, l’obligation de non-concurrence n’a pas été respectée par le salarié.
C’est pourquoi la Cour de cassation décide que l’employeur qui prouve que le salarié a violé la clause de non-concurrence pendant la période au cours de laquelle elle s’est effectivement appliquée, est fondé à solliciter le remboursement de la contrepartie financière indûment versée à compter de la date à laquelle la violation est établie.
Ainsi, la cour d’appel aurait dû rechercher si le salarié avait violé ou non la clause de non-concurrence, au-delà de tout caractère de nullité de celle-ci.
Sur ce point, le pourvoi formé par l’employeur est retenu, et l’arrêt de la cour d’appel cassé et annulé.
Source.
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 22 mai 2024, 22-17.036, Publié au bulletin