Victime d'accident de la circulation : le recours des tiers payeurs. Par Delphine Cassan, Juriste.

Victime d’accident de la circulation : le recours des tiers payeurs.

Par Delphine Cassan, Juriste.

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Ce que vous allez lire ici :

Dans cet arrêt rendu par la 2ème chambre civile le 17 juin 2010, la Cour de cassation a confirmé le droit pour un payeur d'exercer un recours subrogatoire contre l'auteur responsable d'un accident de la circulation, afin d'obtenir le remboursement intégral de l'indemnisation accordée à la victime, sans que la faute personnelle de celle-ci puisse être opposée.
Description rédigée par l'IA du Village

La faute de la victime n’est pas « une arme de défense » pour le conducteur face à un recours subrogatoire du tiers payeur.

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La croissance exponentielle de la circulation automobile et les risques d’accident qui en résultent, ont justifié la mise en place d’une assurance automobile obligatoire.

C’est ainsi que la loi Badinter à vu le jour le 5 juillet 1985 permettant aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur d’être plus facilement indemnisées de leur préjudice et ce, sur la base d’un régime impératif distinct de l’ancien article 1384 alinéa 1 du Code civil.

C’est précisément sur une demande de remboursement d’un tiers payeur auprès de l’auteur de l’accident déclaré responsable que porte le présent arrêt rendu par la 2ème chambre civile le 17 juin 2010, n°09-67.530, publié au bulletin.

En l’espèce, l’enfant Abderrazak X, âgé de 11 ans, piéton traversant la chaussée d’une rue, a été renversé et blessé par le véhicule conduit par Mme Y. Le contrat d’assurance du véhicule étant suspendu, le fonds de garantie automobile a par voie de transaction, indemnisé la victime.

La caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine a assigné Mme Y en paiement de sa créance, en présence de M. Abderrazak X, assisté de son tuteur, M. Mohamed X et de M. Ammar X. Suite à un jugement inconnu, l’affaire est portée devant la Cour d’appel de Versailles. Par arrêt du 7 mai 2009, la cour d’appel a condamné Mme Y à indemniser intégralement le préjudice de M. X. et à verser à la CPAM la somme de 47 123 euros correspondant à ses débours, avec intérêts au taux légal et a donné acte à la caisse de ses réserves pour les prestations non connues à ce jour ou pour celles qui pourraient être versées ultérieurement.

Mm Y a alors saisi la Cour de cassation et le 17 juin 2010, la 2ème chambre civile a rejeté le pourvoi.

La question posée à la haute juridiction était donc la suivante : le tiers payeur ayant indemnisé la victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur dispose t-il d’un recours subrogatoire contre l’auteur de l’accident pour l’entière créance de la victime sans que l’auteur de l’accident ne puisse lui opposer une faute personnelle de la victime ?

C’est par l’affirmative que la 2ème chambre civile a répondu, considérant que le tiers payeur est subrogé dans les droits de la victime lui permettant d’être intégralement remboursé de l’indemnisation accordée à celle-ci par le conducteur responsable sans que la faute personnelle de cette dernière ne puisse être opposable et diminuer l’assiette indemnitaire.

Par cette solution, la Cour de cassation réaffirme classiquement le principe de réparation intégrale de la victime d’un accident de la circulation (I) et précise que l’assiette subrogatoire du recours du tiers payeur contre l’auteur de l’accident répond à ce même principe de réparation intégrale privant ainsi ce dernier de pouvoir opposer la faute personnelle de la victime pour réduire ou supprimer le remboursement (II).

I- La réaffirmation de la réparation intégrale du préjudice de la victime d’accident de la circulation en cas de dommages à sa personne.

Dans la première partie de son raisonnement, la deuxième chambre civile rappelle les termes de la loi du 5 juillet 1985 sur le droit à réparation intégrale du préjudice des jeunes victimes d’accident de la circulation (A), soulignant par la même l’application généralisée de la règle à laquelle la faute personnelle de la victime ne peut faire obstacle (B).

A- Une indemnisation intégrale du préjudice conditionnée.

La loi du 5 juillet 1985 a institué dans son article 3 un droit à réparation intégrale du préjudice causé aux victimes d’un accident de la circulation âgée de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans. Cette réparation intégrale concerne également les victimes, quelque soit leur âge, titulaires, au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité ou d’invalidité au moins égal à 80%.

Dans son attendu principal, la deuxième chambre civile rappelle l’étendue de l’indemnisation accordée à ces victimes :

« Mais attendu que, selon l’article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, sont, dans tous les cas, intégralement indemnisées des dommages résultant de telles atteintes les victimes âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans ou celles qui, quelque soit leur âge, sont titulaires, au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité ou d’invalidité au moins égal à 80% ».

Il s’agit de victimes dites privilégiées présentant une certaine vulnérabilité pour lesquelles il est fait dérogation aux règles de droit commun de la responsabilité qui tiennent compte de la faute de la victime pour limiter ou supprimer leur indemnisation. En effet, les règles de droit commun prévoient des exonérations de responsabilité en cas de force majeure, fait du tiers ou de la faute de la victime. En ce sens, dans un arrêt du 6 octobre 1998, la Cour de cassation a admis l’exonération du gardien au motif que la faute de la victime constituait la cause exclusive de son dommage [1].

En l’espèce, la conductrice soutenait que la jeune victime de moins de 16 ans avait commis une faute inexcusable ; pour autant son indemnisation reste entière en application de la loi de 1985. Les termes de la 2ème chambre civile sont très clairs en ce sens :

« cette règle de portée générale selon laquelle une telle victime dispose en raison de son âge à la date de l’accident d’un droit à la réparation intégrale qu’aucune faute personnelle, même inexcusable, ne peut réduire, détermine ainsi l’ampleur de sa créance d’indemnisation ».

B- Une indemnisation intégrale conforme à l’objectif de la loi du 5 juillet 1985.

Cette dualité entre le régime d’indemnisation de droit commun de la responsabilité et le régime spécial issu de la loi de 1985 peut apparaitre discriminatoire à l’égard des plaignants qui subissent un traitement indemnitaire différent en fonction du fait générateur du dommage. L’on pense en particulier aux victimes de dommages corporels suite à une intervention chirurgicale qui aurait nécessité une rééducation post opératoire suivie par le patient qui s’en serait affranchi. Dans ce cas la victime qui contribue à l’aggravation de son dommage se voit parfois réduire ou supprimer son droit à indemnisation [2].

Le principe de réparation intégrale s’oppose également au régime de la responsabilité contractuelle de droit commun qui permet la diminution réparatoire par le jeu de clauses limitatives de responsabilité qui sont valables entre professionnels, sauf faute grave ou lourde [3].

En l’espèce, dérogeant à ces restrictions indemnitaires, la Cour de cassation considère que la faute de la victime est indifférente à l’évaluation de son indemnisation et ce, en application de la loi du 5 juillet 1985. Cette position est classiquement reconnu en jurisprudence [4]. Le principe indemnitaire de la responsabilité civile consiste en effet à replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute alléguée n’avait pas été commise. Ce principe constant permet ainsi d’éviter un enrichissement ou un appauvrissement sans cause de la victime, puisque « les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit » [5].

La réparation étendue du dommage allouée en l’espèce à la jeune victime par application de la loi de 1985 est une règle de « portée générale » selon la Cour de cassation, que la faute personnelle, même inexcusable de la victime ne peut réduire.

Cette réparation détermine ainsi l’ampleur de la créance d’indemnisation. Cette position est conforme à l’esprit de la loi de 1985 qui vise à « l’accélération des procédures d’indemnisation » [6].

Le deuxième apport de l’arrêt réside dans la portée du recours subrogatoire exercé par le tiers payeur ayant indemnise la victime contre l’auteur du dommage.

II- Un droit à réparation intégrale transmis au tiers payeur par l’effet de la subrogation légale.

La Cour de cassation reconnait l’existence d’un recours subrogatoire (A) accordant un remboursement dans les mêmes termes que l’indemnisation reçue de la victime (B).

A- La reconnaissance classique d’un recours subrogatoire reconnu au tiers payeur contre l’auteur responsable.

Dans la poursuite de son raisonnement, la Cour de cassation retient

« que contrairement à ce qu’allègue Mme Y..., la caisse, par l’effet du paiement de prestations au profit de M. X..., est subrogée dans l’ensemble des droits de ce dernier y compris ceux conférés par la loi en considération de sa situation personnelle ».

Cette position est implicitement fondée sur l’article 30 de la loi du 5 juillet 1985 qui dispose que « les recours ont un caractère subrogatoire ». L’article 29 de la loi a institué une liste de bénéficiaires du droit à y recourir parmi lesquels figurent les « tiers payeurs ». En, l’espèce la CPAM est donc subrogée dans les droits de la victime pour réclamer au conducteur le remboursement des sommes allouées à cette dernière.

La subrogation existe également en droit commun ; selon l’article 1346 du Code civil :

« la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette ».

Le choix d’un système subrogatoire emporte des conséquences importantes.

En premier lieu, le tiers payeur subrogé ne fait pas valoir ses droits propres mais en quelque sorte « remplace » la victime dans ses droits et actions ; il ne peut donc pas réclamer plus que ce à quoi la victime peut prétendre.

En second lieu, il ne peut agir lorsque la victime elle-même est privée du droit. En effet, il existe parfois des circonstances particulières dans lesquelles la victime se trouve dépourvue du droit d’agir, ce qui impacte par conséquent le recours du subrogeant lui aussi privé du droit d’agir.

En l’espèce, la loi de 1985 permet à la victime âgée de moins de moins de 16 ans d’être réparée intégralement de son préjudice quelle que soit sa faute ; il s’ensuit que le tiers payeur subrogé dans les droits de la victime bénéficie de ces mêmes droits lui permettant d’être remboursé intégralement de la part du conducteur du véhicule des sommes que le tiers payant a allouées à la victime.

B- Une solution conforme à l’effet translatif de la subrogation privatif du principe d’opposabilité des exceptions.

En l’espèce, Mme Y... fait grief à l’arrêt de la dire tenue d’indemniser intégralement le préjudice de M. X..., de la condamner à verser à la caisse la somme de 47 123 euros correspondant à ses débours, avec intérêts au taux légal. Elle soutien dans son moyen que le recours subrogatoire ne peut être ouvert qu’en présence d’un lien direct entre les caisse tiers payeur et le fait dommageable et que les prérogatives personnelles du subrogeant ne sont pas transmissibles au subrogé. Pour la conductrice, les situation fautive de la victime est opposable au recours subrogatoire.

Ce raisonnement tend à établir une confusion entre la subrogation et le mécanisme voisin de la délégation. La subrogation personnelle et la délégation connaissent en effet des points communs. Elles ont pour objectif d’effectuer un paiement par une personne autre que le débiteur. Le but des parties intéressées est de créer un rapport d’obligation.

Pour autant, les deux mécanismes présentent des divergences car la délégation n’opère pas de transfert de la créance comme en matière de subrogation. La procédure de délégation consiste seulement à l’établissement d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégataire et le délégué. A l’inverse, en matière de subrogation personnelle, l’on retient le principe d’inopposabilité des exceptions. Il concerne la compensation légale et l’exception d’inexécution. Quant à la délégation, sauf stipulation contraire suivant l’article 1346, alinéa 2 du Code civil, un délégué n’a pas le droit d’opposer au délégataire aucune exception liée aux rapports entre les parties. D’ailleurs, si on choisit la délégation, il est nécessaire d’obtenir le consentement des trois personnes concernées, à savoir le délégant, le délégué et le délégataire.

De ce point de vue, la solution de la Cour de cassation qui rejette le moyen de la conductrice tendant à opposer au tiers payeur la faute de la victime pour s’opposer au remboursement est parfaitement conforme avec le mécanisme translatif de la subrogation. La solution répond de plus à une logique indemnitaire et d’équité en permettant aux caisses tiers payeurs d’être remboursées des dédommagements alloués aux victimes d’accident de la circulation, ce qui est conforme à l’esprit de la loi Badinter.

Delphine Cassan
Ancien avocat
Juriste - Formatrice
Horizondroit

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Notes de l'article:

[1Dans le même Cass. civ. 1, 2 juin 2021, n° 19-19.349.

[2En ce sens notamment : cass.com 14 décembre 2004 n° 0102511.

[3Article 1231-3 du Code civil.

[4Civ. 1ère 17 juillet 1996 n°94-18181 Bull Civ. 1 n°327.Civ. 1ère 17 juillet 1996 n°94-18181 Bull Civ. 1 n°327.

[5Cass. 3ème Civ. 12 janvier 2010, n°08-19.224.

[6lexbase.fr/article-juridique/3233347

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