Une décision de justice ne suspend pas le délai de recouvrement d’un crédit.

Par Grégory Rouland, Avocat.

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Explorer : # crédit # délai de forclusion # procédure judiciaire # recouvrement

Le 13 novembre 2020, le Tribunal Judiciaire de Chalon sur Saône (RG n°11-20-221) a rappelé à Cetelem que le délai pour recouvrer une dette est de 2 ans et qu’une décision de justice ne suspend pas son écoulement.

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I. Résumé des faits et de la procédure.

Le 10 juin 2014, un couple acquiert un kit photovoltaïque auprès de la société Sol In Air (aujourd’hui en faillite) pour la somme de 22 500 euros.

Cette acquisition s’opère grâce à un crédit souscrit auprès de Sygma Banque, rachetée par BNP Paribas Personal Finance (alias Cetelem).

Faute pour l’installation de fonctionner, le couple d’acquéreurs assigne le vendeur et la banque devant le Tribunal d’instance de Paris 19e (jusqu’en juin 2018, il y avait un tribunal par arrondissement à Paris).

Le 10 août 2015, durant la procédure, les emprunteurs font opposition aux prélèvements, car asphyxiés financièrement.

Le 20 octobre 2015, le Tribunal d’instance prononce la résolution des contrats de vente et de crédit, et exonère les emprunteurs de devoir rembourser le prêt.

Quelques mois plus tard, faute pour les emprunteurs de rembourser le crédit, la banque prononce la déchéance du terme. Autrement dit, elle réclame aux emprunteurs le remboursement du crédit dans son intégralité avec les intérêts, soit la somme de 32 109 euros.

Puis, la banque interjette appel, mais oublie de réclamer la condamnation des emprunteurs à rembourser la somme de 32 109 euros. Au contraire, elle se contente de demander l’annulation du jugement et la condamnation des emprunteurs à reprendre le paiement du crédit...

Le 11 avril 2019, la Cour d’appel de Paris donne gain de cause au prêteur et indique que les contrats de vente et de crédit continueront à produire leurs effets.

De fait, les emprunteurs ont été condamnés à continuer à payer le crédit.

Mais il y avait une faille dans la procédure en faveur des emprunteurs.

II. Difficulté empêchant le paiement du prêt.

Malgré la décision de la Cour d’appel de Paris, les emprunteurs ont refusé de régler le crédit.

Face à leur refus, la banque a cru bon de prononcer de nouveau la déchéance du terme, puis d’assigner les emprunteurs devant le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône.

III. Raisonnement et commentaire sur le jugement du Tribunal judiciaire.

Devant ce nouveau Tribunal, la banque a réclamé la condamnation des emprunteurs à payer de 33 000 euros, au titre du crédit déchu.

Or, la banque a omis une règle essentielle : le temps qui lui était imparti pour réclamer le paiement du crédit était dépassé depuis bien longtemps...

En effet, selon l’article R312-35 du Code de consommation, les actions en paiement engagées devant le tribunal judiciaire à l’occasion de la défaillance de l’emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion ; cet événement est caractérisé par le premier incident de paiement non régularisé.

Plus simplement parlant, à partir du premier impayé, la banque dispose d’un délai de 2 ans pour réclamer au débiteur le remboursement du crédit, sous peine de voir sa demande rejetée (c’est ce qu’on appelle être forclos dans son action).

En l’espèce, le 1er incident de paiement datait du 10 août 2015.

De fait, la banque avait jusqu’au 10 août 2017 pour réclamer aux emprunteurs le remboursement, du crédit, ce qu’elle n’a jamais demandé devant la Cour d’appel de Paris...

S’agissait-il d’une omission ou d’une erreur ? on l’ignore, mais l’avocat des emprunteurs l’a relevé et en a profité pour contourner l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Pour rattraper sa carence devant le Tribunal de Chalon sur Saône, la banque a soutenu que le délai de 2 ans avait été interrompu par la procédure d’appel, si bien qu’elle pouvait parfaitement assigner les emprunteurs et réclamer le remboursement du crédit.

Un tel raisonnement était juridiquement erroné. En effet, le délai 2 ans est un délai de forclusion qui court à compter du premier incident de paiement non régularisé [1].

Il s’agit d’un délai d’ordre préfix, c’est-à-dire qu’il est insusceptible d’interruption ou de suspension, sauf si le créancier a lancé une action en paiement, tels qu’une citation en justice, un commandement de payer ou encore une demande reconventionnelle déposée durant l’audience en justice.

Aussi, le seul fait que BNP Paribas Personal Finance ait saisi la Cour d’appel de Paris pour demander l’infirmation du jugement n’a pas permis d’interrompre ou suspendre le délai de forclusion de 2 ans. Pour obtenir cette suspension ou interruption, la banque aurait dû informer les juges d’appel que les emprunteurs avaient cessé de rembourser le crédit et réclamer leur condamnation à payer l’intégralité de celui-ci.

C’est pourquoi le Tribunal de Chalon en champagne a indiqué que

« ni le jugement [du Tribunal d’instance de Paris], ni l’arrêt [de la Cour d’appel de Paris] n’ont pour effet d’interrompre ou de suspendre le délai biennal de forclusion ».

Par conséquent, la banque a été déclarée irrecevable dans ses demandes.

IV. Bref résumé.

Quoi de plus beau, lorsqu’on est condamné à payer un crédit, de finalement pouvoir recommencer une procédure et échapper à sa condamnation, grâce à la carence de la banque ?

Grégory Rouland
Docteur en Droit et Avocat
gregory.rouland chez outlook.fr

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Notes de l'article:

[1Civ. 1ère, 17 juillet 1996, n°94-13.875.

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Discussion en cours :

  • par Me Barré , Le 5 décembre 2020 à 09:52

    Bravo confrère,
    C’est ce que j’appelle un coup de "Maître"
    Vous avez contourné un arrêt d’appel et permis à vos clients de ne pas payer le crédit.
    Une bonne maîtrise de la procédure.

    Votre bien dévoué confrère

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