La modification de l’aspect extérieur des copropriétés : liberté ou contrainte ?

Par Eric Audineau, Avocat et Alexandre Balossi, Juriste.

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Explorer : # travaux d'isolation # droit d'auteur # modification de façade # contraintes réglementaires

La Loi du 10 juillet 1965 oblige les copropriétaires à entretenir la façade de leurs immeubles.
Cette obligation d’entretien est aujourd’hui renforcée par les nouvelles obligations de performance énergétiques, posées par la « Loi Climat et Résilience ».

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Dans le cadre de travaux d’isolation par l’extérieur, l’aspect extérieur des bâtiments est presque toujours modifié. Cette modification est souvent recherchée par les copropriétaires dans le but de « pimper » leurs bâtiments afin de conserver ou d’améliorer son standing.
Toutefois, ces améliorations du bâti peuvent se heurter à certaines contraintes juridiques : la mise en œuvre du droit au surplomb du fond voisin en constituant un exemple probant.

En outre il existe une potentielle obligation d’obtention de l’autorisation préalable de l’architecte initial pour pouvoir modifier l’aspect esthétique des façades.

En réalité, il n’existe pas d’obligation légale d’accord préalable de l’architecte avant de réaliser des travaux de ravalement de façade (1), mais ce dernier détient un droit d’auteur sur son œuvre qui vient en limiter la dénaturation (2), sauf en cas de contraintes réglementaires (3).

1) L’absence d’une obligation légale d’accord préalable de l’architecte.

Aucune disposition législative ou règlementaire du Code de l’urbanisme ou encore du Code de la construction et de l’habitation n’impose concrètement de solliciter l’autorisation préalable de l’architecte, auteur de l’ouvrage, avant de débuter de nouveaux travaux de ravalement touchant à l’aspect esthétique de la façade d’un immeuble.

Cette absence d’obligation vaut tant lorsque le ravalement relève d’une obligation légale que d’un simple souhait du propriétaire ou de la copropriété.

Néanmoins, l’architecte reste détenteur de droits sur son ouvrage qu’il peut faire valoir, pour autant qu’une originalité soit démontrée.

2) Le droit d’auteur de l’architecte sur son œuvre originale.

L’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que :

« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».

Conformément à l’article L.112-2, 7° du même Code, les œuvres d’architecture sont considérées comme des œuvres de l’esprit si elles sont originales et personnelles, autrement dit lorsqu’elles présentent un caractère artistique certain et propre à l’auteur.

L’originalité peut provenir des formes spécifiques ou des matériaux utilisés s’opposant aux conceptions banales telles que des plans types de constructeurs de maisons individuelles [1].

C’est à l’architecte, titulaire du droit d’auteur, de démontrer l’originalité de son œuvre.

Dès lors que l’originalité est démontrée et que la création est considérée comme une œuvre de l’esprit, l’architecte bénéficie d’un droit moral sur son œuvre.

En vertu du droit moral, l’architecte peut s’opposer aux modifications de son œuvre lorsqu’il estime qu’elles la dénaturent et portent atteinte au droit au respect de l’intégrité de son œuvre [2].

Ce droit est attaché à la personne de l’auteur.

Il est inaliénable, c’est-à-dire qu’il ne peut être cédé à un tiers, et imprescriptible.

Ce droit moral est également perpétuel, ce qui signifie qu’il survit à son auteur et qu’il se transmet indéfiniment aux héritiers de l’auteur, de génération en génération.

En conséquence, en cas de non-respect de son droit moral, l’architecte, ou ses ayants droit peuvent intenter, en théorie du moins, une action pour solliciter l’octroi de dommages et intérêts.

L’étendue des droits de l’architecte est néanmoins limitée par la vocation utilitaire de ses œuvres.

3) Les limites au droit moral de l’architecte.

En raison de leur vocation utilitaire, les œuvres des architectes peuvent être modifiées sans l’accord du propriétaire, et ce, en dépit de leur droit moral.

En ce sens, le droit moral de l’architecte ne peut faire échec à l’exécution des contraintes réglementaires et techniques prévues par loi [3].

Autrement dit, les modifications liées à des impératifs techniques ou de sécurité publique ne peuvent être assimilées à une dénaturation de l’œuvre initiale de l’architecte et ce dernier ne peut obtenir réparation de son préjudice.

En pratique, les risques de revendications légitimes des ayants droit de l’architecte sont assez limités sauf immeuble architecturalement particulier.

En l’absence d’autorisation consentie, l’architecte et ses ayants droit conservent néanmoins la possibilité de se prévaloir d’un droit moral sur les façades des bâtiments et de réclamer l’octroi de dommages et intérêts, voire l’arrêt du chantier, s’ils considèrent que les travaux envisagés dénaturent l’œuvre originale.

Cependant, ce risque est limité en pratique, principalement deux raisons :

- D’une part, les ayants droit de l’architecte doivent prouver l’originalité de l’ouvrage, ce qui n’est pas très courant, car beaucoup de bâtiments n’ont objectivement aucune particularité architecturale.

A cet égard, les juges du fond adoptent une conception restrictive de la notion d’originalité devant résulter soit d’une « combinaison harmonieuse des éléments qui la composent », soit « d’un aménagement que l’auteur a marqué de son empreinte personnelle en combinant différents éléments suivant un ordre réfléchi » ou encore d’une œuvre qui « doit sortir du commun, être originale, être le fruit d’une conception intellectuelle hors-série du maître d’ouvrage » [4].

- D’autre part, si l’originalité était constatée, elle se heurterait à la prescription légale de ces travaux de ravalement de façade avec ITE qui répondent à des impératifs, réglementaires, techniques et de sécurité publique.

Certains tribunaux du fond ont d’ailleurs considéré que les travaux de rénovation énergétique font désormais partie des travaux nécessaires à la conservation de l’immeuble [5].

Eric Audineau, Avocat
Barreau de Paris
et Alexandre Balossi, Juriste, Chercheur en droit public
Audineau & Associés
https://www.audineau.fr/

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Notes de l'article:

[1Com., 18 novembre 2008, 07-17.632.

[2Article L.121-1 du Code précité.

[3Conseil d’État, 6 mai 1988, 78833.

[4CAA Riom, 26 mai 1996.

[5II, art. 24, Loi du 10 juillet 1965 ; v. CAA Metz, 23 mars 2023, n° 20/00005.

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