Le travail de création, du fait de sa nature spécifique, a toujours posé un problème pour les auteurs quant aux modes de rémunération dans un temps donné.
Des questions semblent rester sans réponse comme : l’auteur doit-il être payé avant, pendant ou après le processus de création ?
La difficulté réside dans le fait que le paiement peut être attribué à l’auteur durant ces trois étapes.
Pour mieux comprendre comment juridiquement cela est possible, on envisagera les étapes de création décrites ci-dessus en mettant en évidence le type de contrat correspondant.
Dans un deuxième temps on s’efforcera d’analyser la pratique et on démontrera que si l’auteur connaît ses droits il peut très bien allier un travail de création épanouie avec une rémunération équitable.
I.Les étapes de création et leur encadrement juridique
Beaucoup d’auteurs se sentent perdus dans un domaine aussi complexe que le droit d’auteur. La difficulté vient du fait que les actes de créations sont juridiquement organisés, non seulement par le droit d’auteur (contrat de cession des droits d’auteur), mais aussi par le droit commun (contrat de commande).
La première étape qui sera envisagée est celle du paiement de l’auteur avant l’acte de création.
1.La rémunération de l’auteur avant l’acte de création
Lorsqu’un producteur demande la création d’une œuvre, il commande celle-ci à l’auteur. Le lien entre l’auteur et le producteur peut se finaliser par un contrat de commande.
Le contrat de commande est un contrat d’entreprise généralement défini comme une convention par laquelle une personne (l’auteur) s’oblige, contre rémunération, à exécuter pour l’autre partie (le producteur) un travail déterminé de façon indépendante (Cass.1ère civ., 19 février 1968 : Bull.Civ. I n° 69).
En matière d’œuvre de l’esprit le contrat de commande se définit comme la convention par laquelle un auteur indépendant s’engage, moyennant rémunération, à concevoir et à réaliser une œuvre de l’esprit (Sylvianne Durrande, le contrat de commande, Fasc.1342 JCL.Civil).
Pour qu’un contrat de commande soit qualifié comme contrat d’entreprise il doit prévoir une rémunération. Ainsi, à défaut d’indication d’un prix par les parties, celui-ci sera présumé comme étant onéreux (Cass. 3ème civ. 17 décembre 1997, Bull.Civ. 1997, III, n° 226 ; JCP N 1998, 765), sachant que ce caractère est un élément essentiel du contrat d’entreprise.
Il est donc impératif que les parties fixent un prix pour l’exécution du travail artistique.
Quid lorsque la rémunération n’est pas prévue au contrat : il appartiendra dans cette hypothèse au juge de fixer un prix aux lieux et place des parties.
En droit audiovisuel une jurisprudence Michel de Saint Pierre (CCass. 1ère. Ch. 24 février 1987, D. 88 p.87) est venue rappeler que la validité d’une commande ne dépend que de l’existence de la mention d’un prix.
La cour d’appel dans la décision « Loulou et Chouchou » a confirmé que faute d’un prix déterminé ou même déterminable le contrat de commande n’existe pas.
Les parties doivent fixer un prix déterminé ou déterminable en contre partie duquel l’auteur élaborera l’œuvre, dans le cas contraire celui-ci sera fixé par le juge.
Le producteur et l’auteur fixent dans le contrat de commande non seulement le prix mais aussi le contenu de celle-ci.
Par définition, le contrat de commande porte sur la création d’une œuvre d’esprit qui constitue l’obligation principale de l’auteur.
Le producteur doit déterminer le type d’œuvre à créer. En la matière, il existe une variété de clauses définissants cette obligation. Il peut s’agir de clauses générales qui peuvent laisser à l’auteur une liberté totale en ne précisant que le type de création. Il peut s’agir toutefois des clauses précises qui limiteront la liberté de création. Le producteur peut par exemple imposer à l’auteur les éléments sur lesquels reposera l’œuvre.
Ainsi le contrat de commande détermine le degré de liberté de l’auteur. La question qui se pose est celle de savoir jusq’ où les stipulations contractuelles peuvent s’étendre sans nuire à la liberté de création de l’auteur.
La liberté de création est un attribut inhérent à l’activité artistique ; sans elle l’auteur ne peut créer une œuvre originale.
La liberté de création n’est pas un obstacle à la conclusion d’un contrat de commande. La cour de cassation a établi un principe selon lequel « l’auteur peut au préalable légalement consentir par convention à limiter sa liberté de création et s’engager en particulier à obéir aux impératifs d’une commande » (Cass.7 avril 1987, RIDA n° 134, octobre 1987 ; Cass. civ. 19 janvier 1970.D. 1970 483).
En revanche, la liberté de création est indispensable à l’activité artistique de sorte que la jurisprudence déclare illicite les stipulations contractuelles qui lui portent atteintes. A cet égard la jurisprudence a déclaré que « est d’une nullité absolu, comme contraire aux principes de l’ordre public qui régissent la propriété artistique, le contrat dont les clauses essentielles ne respectent pas la personnalité intellectuelle du peintre, sa liberté de création » (CA. Aix-en-Provence, 23 février 1965, RIDA 1966, p.34).
Ainsi, lors de cette première étape qualifiée comme précédente l’acte de création, les parties peuvent convenir que le paiement de l’auteur aura lieu à la signature du contrat de commande.
2.La rémunération de l’auteur pendant l’acte de création
Cette deuxième étape peut correspondre à l’exécution du contrat de commande.
En concluant le contrat de commande les parties se sont respectivement engagées à exécuter leurs obligations contractuelles. L’auteur est tenu de réaliser l’œuvre commandée, le producteur doit réceptionner l’œuvre et payer le prix convenu.
La réalisation de l’œuvre. En concluant le contrat de commande l’auteur s’engage à élaborer l’œuvre conformément aux stipulations contractuelles du producteur qui déterminent ainsi le degré de liberté de l’auteur.
L’auteur peur-il refuser de créer l’œuvre ?
L’auteur ne peut, par principe, refuser de créer l’œuvre commandée. Les droits d’auteur ne préexistent à la création. L’auteur ne peut les évoquer pour refuser de créer l’œuvre. Tenu d’une obligation de faire, en cas de non exécution, il engage sa responsabilité contractuelle. Sur le fondement de l’article 1142 CCiv. le refus de créer entraîne pour l’auteur le versement des dommages et intérêts au producteur. En revanche le juge ne peut imposer à l’auteur de créer. Les mêmes conséquences surviennent lorsque l’auteur refuse d’achever l’œuvre commandée.
Est-ce que l’auteur a droit de refuser de livrer l’œuvre au producteur ?
La nature du contrat de commande implique qu’une fois l’œuvre réalisée, l’auteur doit la livrer au producteur. Mais l’auteur, par le fait de la création, est investi d’un autre droit : celui du droit moral et plus particulièrement celui du droit de divulgation. Si l’auteur considère que le travail commandé n’est pas conforme à son sens artistique il a droit de refuser de le divulguer. La loi autorise l’auteur à ne pas livrer l’œuvre, quand bien même celle-ci fait objet d’un contrat de commande (L’art. L. 121-2 de CPI).
Il est important de préciser que le refus de divulguer l’œuvre ne peut être fondé que sur des raisons d’ordre moral et certainement pas sur des motifs pécuniaires. Lorsque l’auteur décide de bénéficier de ce droit il sera tenu de rembourser les sommes qui auraient déjà été versées et ainsi réparer le préjudice du producteur.
Résumons : le refus de divulguer n’est pas constitutif d’une faute contractuelle mais oblige l’auteur de dédommager le producteur.
3.Le paiement de l’auteur après l’acte de création
Cette troisième étape peut correspondre à la livraison de l’œuvre. C’est à ce moment que des conflits peuvent apparaître entre l’auteur et le producteur, ce dernier pouvant estimer que l’œuvre ne satisfait pas ses attentes.
Dans ce cas les clauses du contrat vont répondre à la question suivante : le producteur peut-il avoir le droit de refuser un travail commandé lorsque celui-ci correspond à toutes les exigences formulées dans les clauses du contrat de commande ?
Tout dépend des stipulations contractuelles.
Si le producteur n’a fourni aucune indication quant à la manière de conceptualiser l’œuvre l’auteur bénéficie d’une grande liberté. Ainsi le producteur ne peut se plaindre du résultat final. La jurisprudence considère que le producteur est tenu d’accepter l’œuvre (Trib.Civ. Seine 2 janvier 1937, Gaz.Tib. 1937, 2,183).
Si l’auteur en revanche à accepter de créée l’œuvre d’après les indications du producteur ce dernier est tenu de les respecter et ne peut y échapper en invoquant la liberté de création.
Le producteur ne peut refuser de réceptionner l’œuvre et d’en payer le prix sous prétexte que celle-ci n’est pas à son goût ; dés lors qu’elle est conforme aux clauses du contrat, le producteur engage sa responsabilité contractuelle en cas de refus.
Ainsi la meilleure protection pour l’auteur en cas de commande d’une œuvre d’esprit est de conclure un contrat de commande avec le producteur et d’y prévoir le prix et le contenu de la commande.
Une autre interrogation nous guette : le producteur peut-il demander à l’auteur d’apporter des modifications à son œuvre commandée ?
Cette demande est légitime lorsque l’œuvre ne correspond pas aux descriptions du contrat. En revanche si l’œuvre est conforme aux clauses du contrat, la demande de modification ne s’impose pas à l’auteur. Quoi qu’il en soit l’auteur peut seul apporter lesdites modifications ; ni le producteur, ni un autre créateur ne peuvent le faire.
Il est important de préciser qu’à ce stade l’auteur n’est payé que pour le travail d’écriture.
Le contrat de commande ne permettant pas au producteur d’exploiter l’œuvre, celui-ci se verra obligé de proposer un nouveau contrat de cession de droits d’auteur.
Avant d’analyser plus en profondeur la nature du contrat de cession par rapport au contrat de commande, il faut souligner le fait que dans la pratique le contrat de commande ne fait qu’un ensemble avec le contrat de cession. Cette unité des deux contrats peut être une source de confusion pour l’auteur quant à l’objet de sa rémunération.
II. La nature du contrat de commande dans le contrat de cession de droit d’auteur
1.Les étapes d’écriture un contrat de commande : un préambule dans le contrat de cession de droits d’auteur
Souvent dans la pratique le processus de création ne fait pas l’objet d’un contrat à part. Les raisons peuvent être multiples : échapper au formalisme, intervenir activement dans le travail de création jusqu’au point d’en devenir le coauteur ou bien éviter de payer l’auteur pour le travail d’écriture.
Les step-deals dans le contrat de cession des droits d’auteur.
« Les step-deals », une dénomination adoptée par le milieu professionnel de la production montre encore plus clairement la tentation du producteur de s’rapprocher du système de fonctionnement anglo-saxon. La grande différence entre le droit d’auteur français et le copyright est que dans ce dernier le titulaire des droits d’auteur n’est pas l’auteur mais le producteur.
Les step-deals ne sont que des étapes d’écriture soigneusement détaillés dans le préambule du contrat de cession de droits d’auteur. Le contenu des étapes d’écriture n’est qu’un contrat de commande déséquilibré ne prévoyant que des obligations pour l’auteur. Lesdites étapes comprennent toutes les spécificités du contrat de commande comme par exemple l’exercice par le producteur d’une influence sur la création de l’auteur. Ainsi parce que la commande influence le processus de création, l’identification de l’auteur et du producteur de l’œuvre est indispensable. Il faut partir du principe selon lequel l’idée de la création, les indications, les directives ne permettent pas au producteur de se prévaloir de la qualité d’auteur, ni même de co-auteur et ceci pour des raisons bien précises :
l’idée n’est pas protégée par le droit d’auteur, et celui qui la donne ne peut être qualifié d’auteur. Le créateur est celui qui crée à partir « d’esquisses sommaires » (Cass. Crim. 26 janvier 1965, JCP 1965, IV, 30), précisant les goûts et désirs du producteur. L’auteur a une telle qualité en exécutant des indications qui « n’excèdent pas le caractère de simples directives courantes dans les œuvres de commande » (CCass. Civ. 25 mai 2004, Prop.Intell.n°13 oct.2004).
Ainsi il a été jugé que « si les indictions précises lui avaient été données quant aux scènes à reproduire et aux personnages, les documents remis à l’auteur dans ce but n’avaient constitué qu’un matériau brut à partir duquel il avait conservé la maîtrise intégrale de son art » (Cass. Civ. 25 mai 2004, Prop.Intell. n°13, octobre 2004, p.909. Chron. Lucas).
Indépendamment de l’idée, des indications et des directives, l’auteur conserve l’entière maîtrise de son art et jouit d’une liberté créatrice permettant de marquer l’œuvre par son empreinte personnel.
Ainsi il est important de souligner que les étapes d’écriture forment un véritable contrat de commande dont la nature doit être respectée.
L’auteur doit exiger que les parties fixent au préalable le prix des travaux d’écriture, le nombre de demandes de réécriture et enfin tout les indications permettant de déterminer le contenu de la demande.
Tous ces éléments doivent être mis par écrit, afin de protéger au mieux les intérêts de l’auteur et de déterminer la liberté de création de celui-ci.
Ainsi l’auteur doit exiger une description complète de la nature de l’œuvre à créer et fixer la rémunération.
En cas de demande de modification l’auteur doit vérifier si l’œuvre livrée correspond ou non aux indications décrites dans son contrat.
Si l’œuvre correspond aux demandes prévues par le contrat, l’auteur peut exiger le paiement de la commande et refuser de modifier l’œuvre.
Si le producteur refuse le travail de l’auteur, même si ce dernier correspond à toutes les directives du producteur, l’auteur peut décider et (cela est dans son intérêt) à ne pas céder l’œuvre refusée. La rémunération obtenue sera, non pas pour la cession, mais pour la commande et plus précisément pour le travail d’écriture.
Il est d’une importance capitale pour les auteurs de faire la distinction entre leur rémunération pour le travail d’écriture et celle pour la cession.
Cette séparation des deux paiements doit être présente dans le contrat.
2. La rémunération de l’auteur dans le cadre d’un contrat de cession des droits d’auteur
Si l’auteur s’interroge sur le moment de son paiement (avant, pendant ou après l’acte de création) il y a de grand risque que la commande et la cession ne fassent objet d’un unique contrat. Dans ce cas l’auteur doit être vigilent quant à la distinction entre le paiement pour son travail d’écriture et celui pour la cession.
Le paiement pour le travail d’écriture doit correspondre au calendrier fixé au préalable par les parties au moment de la détermination des directives permettant d’élaborer l’œuvre. Cette rémunération est toujours forfaitaire et porte le nom de « prime d’écriture » ou de « prime de commande ». Elle doit être réglée à l’auteur à chaque remise du travail commandé.
Une fois l’œuvre achevée, si le producteur décide de l’exploiter, il proposera à l’auteur une rémunération proportionnelle par le biais du contrat de cession de droits d’auteur. Celle-ci est dite proportionnelle parce que l’auteur sera payé pour ses droits d’exploitation par des pourcentages calculés sur le prix public ou sur les recettes nettes par producteur (les RNPP).
Sachant que l’œuvre ne peut apporter à son auteur une rémunération immédiate suite à son exploitation, pour des raisons pratiques liées à la production, le producteur propose à l’auteur un minimum garanti.
Le minimum garanti est une avance sur la rémunération proportionnelle c’est-à-dire une avance sur les pourcentages provenant de l’exploitation de l’œuvre. Or si l’auteur est payé pour la commande par le biais de minimum garanti cela suppose que celui-ci est payé pour l’exploitation de l’œuvre et non pour son écriture. En plus l’auteur est présumé avoir cédé l’œuvre s’il accepte d’être payé pour son travail d’écriture par le minimum garanti.
Ainsi lorsque le producteur refuse le travail, mais l’exploite en le cédant à quelqu’un d’autre, l’auteur ne peut contester ce fait (sauf s’il a expressément stipulé le refus de cession dans le contrat) car il a été rémunéré pour la cession par le biais du minimum garantie et non par la prime de commande.
Ainsi, en résumant : il est dans l’intérêt de l’auteur de prévoir en cas de commande d’une œuvre un contrat à part (contrat de commande) où le prix et le contenu seront fixés.
Si le producteur propose un contrat unique concernant la cession et la commande, il est dans l’intérêt de l’auteur de décomposer le travail d’écriture ( les étapes d’écriture) dans le préambule du contrat de cession comme un contrat de commande, tout en prévoyant le prix et le contenu pour chaque étape d’écriture, et le paiement à la remise de chaque travail.
Il est dans l’intérêt de l’auteur d’être payé pour ce travail par une prime de commande.
En cas de refus par le producteur d’un travail conforme aux exigences contractuelles, l’auteur peut décider de ne pas céder le travail refusé.
Pour que le producteur puisse exploiter l’œuvre commandée et achevée, il proposera à l’auteur une rémunération proportionnelle à l’exploitation de l’œuvre. En sachant que celle-ci n’est pas immédiate, le producteur fait une avance à l’auteur qui prend la forme d’une somme forfaitaire (minimum garantie ou à valoir) qu’il ne faut pas confondra avec la prime de commande ou d’écriture.
En espérant que ces éclaircissements permettront aux auteurs de créer dans une plus grande sérénité !
Guergana Velkova