La tokenisation des actifs du monde réel et problématiques juridiques.

Par Arnaud Touati, Avocat.

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Ce que vous allez lire ici :

La tokenisation d'actifs, facilitée par la blockchain, transforme l'immobilier et attire les grandes institutions financières. Malgré son potentiel prometteur, des défis réglementaires persistent. Une collaboration internationale et des régulations claires sont indispensables pour assurer son développement et protéger les investisseurs dans cet écosystème innovant.
Description rédigée par l'IA du Village

La tokenisation des actifs du monde réel est une solution innovante qui consiste à convertir un actif ou un droit en un jeton (ou token en anglais) numérique sur une blockchain, permettant sa division, son transfert et sa gestion décentralisée. Cela s’applique à des biens comme l’immobilier, les titres financiers ou les objets de collection. Ces tokens représentent une fraction de cet actif permettant aux investisseurs d’acquérir une part sans avoir à en posséder l’intégralité. Ce concept est né avec le développement des technologies blockchain, principalement à partir de 2017, avec l’essor des plateformes comme Ethereum, qui facilitent la création des cryptoactifs.

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L’histoire de la tokenisation prend racine dans l’innovation financière rendue possible par la blockchain et les Initial Coin Offerings (ICO), qui ont popularisé l’idée de lever des fonds en émettant des tokens. En 2019, une des premières ventes immobilières entièrement tokenisées a eu lieu aux États-Unis avec l’immeuble de luxe St. Regis Aspen Resort, dont les parts ont été vendues sous forme de tokens.

Les grandes institutions financières s’intéressent à la tokenisation. En 2022, JP Morgan a annoncé qu’elle expérimentait la tokenisation de certains de ses actifs financiers, soulignant un intérêt croissant des banques traditionnelles pour cette technologie. De même, en 2023, Goldman Sachs a commencé à explorer la tokenisation des actifs immobiliers en lançant une plateforme dédiée qui permet aux investisseurs d’acheter des parts tokenisées dans des projets immobiliers. En France, Société générale est l’une des pionnières dans ce domaine. Elle a en effet lancé en 2022 une filiale, SG-FORGE, qui se concentre sur la tokenisation d’actifs et les services financiers basés sur la blockchain.

Cependant, cette innovation s’accompagne de nombreux enjeux juridiques. Législateurs et régulateurs se retrouvent confrontés à ces enjeux liés à la régulation des titres financiers, à la protection des investisseurs, aux droits de propriété et aux risques de fraude (blanchiment d’argent).

I. Fonctionnement et expansion.

Le processus de tokenisation repose sur l’utilisation d’une blockchain, un registre décentralisé et sécurisé.
Les étapes clés comprennent :

- Le fractionnement de l’actif

Un actif, comme un immeuble ou une œuvre d’art, est converti en une série de tokens représentant chacun une fraction de la valeur de cet actif. Par exemple, un bâtiment de 10 millions d’euros pourrait être tokenisé en 100 000 tokens, chaque token valant 100 euros.

En pratique, ce n’est pas directement le droit de propriété sur l’actif qui est cédé, car cela impliquerait des démarches complexes, telles que le recours à un notaire pour enregistrer chaque transfert de propriété, ce qui serait peu pratique et coûteux. De plus, la gestion d’une copropriété sur un bien fractionné peut être particulièrement compliquée, notamment lorsqu’il s’agit du démembrement de propriété, comme l’usus (le droit d’utiliser le bien). Le partage des droits entre plusieurs personnes (usufruit, nue-propriété, etc.) implique des règles spécifiques et des accords complexes concernant l’usage et les revenus générés par le bien, ce qui rend difficile la tokenisation directe de ces droits.

À la place, en principe, c’est une société qui va détenir l’actif (par exemple, une société qui détient l’immeuble) et ce sont les parts sociales, actions ou obligations de cette société qui sont tokenisées et échangées. Cela permet aux investisseurs d’acquérir une fraction de l’actif sans avoir à passer par les procédures lourdes de la cession immobilière classique.

- L’Enregistrement sur la blockchain.

Chaque token est inscrit sur une blockchain comme Ethereum, garantissant la traçabilité des tokens et leur sécurité. Les transactions sont transparentes et vérifiables en temps réel.
Les smart contracts (contrats intelligents) sont essentiels pour sécuriser la tokenisation. Ils permettent l’automatisation des transactions, réduisant ainsi les risques de fraude et de manipulation.
Des plateformes comme Chainlink intègrent ces contrats intelligents pour garantir la transparence et l’exécution des transactions sur la blockchain.

Ces outils pourront également contribuer à clarifier les droits des investisseurs en automatisant la distribution des revenus générés par les actifs tokenisés.

- L’échanges de tokens.

Une fois les tokens émis, ils peuvent être achetés, vendus ou échangés sur des plateformes dédiées. Cela permet de rendre des actifs traditionnellement peu liquides, comme l’immobilier, plus facilement accessibles. En effet, au lieu de devoir acheter un bien dans son intégralité, les investisseurs peuvent acquérir des fractions de cet actif sous forme de tokens.
La tokenisation a connu une croissance rapide grâce à la démocratisation de la blockchain. Récemment, des entreprises comme Securitize ont émergé comme des leaders dans ce domaine, offrant des solutions de tokenisation pour divers actifs. Par exemple, la startup Harbor a permis la tokenisation d’un projet immobilier à New York, permettant aux investisseurs d’acquérir des parts de cet immeuble via des tokens.

L’immobilier est l’un des secteurs les plus concernés par cette expansion. Aux États-Unis, des immeubles commerciaux de grande envergure sont régulièrement tokenisés pour être vendus sous forme de parts numériques. Un autre exemple la plateforme RealT, qui permet d’acheter des tokens représentant une fraction de la propriété de l’immeuble.

À titre d’exemple, des startups françaises telles qu’Atoa et OPCAP ou encore la startup espagnole Equito, ont su saisir l’opportunité du marché de la tokenisation immobilière, contrairement à beaucoup d’autres plateformes qui sont restées sur un modèle de crowdfunding immobilier.

II. Défis et problématiques juridiques.

L’un des défis majeurs de la tokenisation est l’incertitude réglementaire, particulièrement liée au marché secondaire, c’est-à-dire la revente des tokens sur une plateforme qui serait gérée directement par l’émetteur.
Ces aspects juridiques visent particulièrement la classification des tokens, les obligations des prestataires de services, la qualification des services ou la protection des investisseurs.

Les règles concernant les titres financiers et les cryptoactifs ne sont pas harmonisées à l’échelle mondiale. Aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) considère que les tokens représentent des titres financiers et doivent respecter les mêmes règles que les titres traditionnels tels que les actions et obligations.

En Europe, la réglementation varie d’un pays à l’autre. Il est essentiel de différencier les tokens qui peuvent être considérés comme des titres financiers, lesquels relèvent de MiFID II (Directive concernant les marchés d’instruments financiers), de ceux qui sont des cryptoactifs, qui relèvent du règlement MiCA.

Par exemple, les tokens, qui représentent des obligations ou des actions, sont considérés comme des instruments financiers traditionnels et donc soumis à MiFID II. L’émetteur devra donc respecter les règles encadrant l’offre au public de titres financiers (régime prospectus).

III. Perspectives d’évolutions.

Le principal frein au développement de la tokenisation des actifs réside dans la difficulté de mettre en place un réel marché secondaire.

En effet, pour permettre la revente de tokens représentant des actifs financiers, il est nécessaire d’obtenir le statut de prestataire de services d’investissement (PSI), un cadre très strictement encadré par les régulations financières.
Ce processus impose de se conformer à de nombreuses exigences réglementaires, telles que celles liées à la gestion des plateformes de négociation ou aux systèmes de règlement-livraison.

Pour répondre à cette problématique, l’Union européenne a introduit le régime pilote DLT (Distributed Ledger Technology), entré en vigueur en 2023, qui vise à faciliter l’expérimentation de la blockchain dans les infrastructures de marché tout en garantissant la protection des investisseurs et la stabilité financière.

Cependant, ce régime est principalement conçu pour les entreprises d’investissement et reste complexe à mettre en œuvre pour d’autres types d’acteurs, ce qui limite l’accès au marché secondaire pour les tokens émis en dehors de ce cadre.
En revanche, la revente de gré à gré des tokens est possible, mais elle présente des limitations importantes. Dans ce cas, il n’y a pas d’intermédiaire régulé pour organiser la transaction, ce qui rend la mise en relation entre acheteurs et vendeurs plus compliquée et moins fluide. Cela nuit directement à la liquidité des actifs tokenisés, car les investisseurs peuvent avoir du mal à trouver des contreparties rapidement ou à un prix satisfaisant. L’absence d’une plateforme centralisée et régulée pour faciliter les échanges réduit ainsi l’attractivité de ce marché pour les investisseurs cherchant une liquidité rapide.
Lorsque les sociétés auront obtenu les autorisations nécessaires, il sera possible d’exploiter pleinement le potentiel de la tokenisation en revendant les tokens sur des plateformes régulées.

Cependant, ce modèle recopie en grande partie les schémas de la finance traditionnelle, avec des contraintes similaires en matière de régulation, de conformité et de surveillance des marchés financiers. Bien que la technologie blockchain soit utilisée pour améliorer la transparence et l’efficacité des transactions, les mécanismes sous-jacents restent alignés sur les pratiques classiques, ce qui réduit l’innovation en matière de liquidité et d’accès direct au marché, limitant ainsi le véritable impact disruptif que pourrait avoir la tokenisation.

Conclusion.

La tokenisation est à la croisée des chemins entre innovation financière et complexité réglementaire. Pour que cette technologie se répande et se vulgarise, une plus grande coordination entre les régulateurs mondiaux sera nécessaire, avec des cadres juridiques plus clairs. L’avenir de la tokenisation dépendra de la capacité des régulateurs à s’adapter aux nouvelles réalités numériques tout en garantissant la sécurité et la stabilité des marchés financiers.

Arnaud Touati,
Avocat inscrit au Barreau de Paris.

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