Le sursis à exécution des jugements en contentieux fiscal.

Par Clément Leroy, Assistant de justice.

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Explorer : # contentieux fiscal # sursis à exécution # jugement administratif # recouvrement fiscal

Par principe l’appel n’a pas d’effet suspensif (article R. 811-14 du Code de justice administrative), sous réserve des procédures codifiées aux articles R. 811-15 à R. 811-17 du CJA. Il n’existe pas de procédure particulière codifiée dans le livre des procédures fiscales propre au contentieux fiscal permettant de demander le sursis à exécution d’un jugement. Ainsi, au regard de l’article R. 200-1 du LPF, les dispositions du CJA relatives au sursis à exécution des jugements des tribunaux administratif sont applicables aux affaires portées devant la cour administrative d’appel.

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La décision d’imposition ne se singularise pas des autres décisions administratives. Elle a la nature d’un acte exécutoire, quand elle prend la forme d’un article du rôle ou d’un avis de mise en recouvrement porté à connaissance du contribuable (Guy Bachelier, conclusions sous CE, Sect., 25 avril 2001, n° 230166-230345, ministre c/ SARL Janfin, BDCF 07/01 n° 103, « Nouvelle procédure de référé-suspension : conditions d’application aux litiges fiscaux ».). En conséquence, tant la réclamation préalable obligatoire exigée par l’article L. 190 du LPF que la saisine du tribunal administratif ne suspendent l’exécution de cette décision. Le contribuable (qui conteste le bien-fondé ou le montant d’une imposition) peut, toutefois, solliciter sur le fondement de l’article L. 277 du LPF, l’octroi du sursis de paiement et être autorisé, par le comptable public, à en différer le paiement.

Dans le cas où le jugement prononce la décharge, de tout ou partie des impositions, il peut être sollicité, non de surseoir au paiement de l’imposition mais de demander le suris à exécution du jugement. La pratique contentieuse fiscale, pour des raisons évidentes, fait du ministre, l’utilisateur privilégié de ce sursis à exécution des jugements.

I) L’exclusion de l’article R. 811-15 du domaine du contentieux fiscal.

La Cour administrative d’appel de Douai a ainsi reconnu dans un arrêt récent (CAA Douai, 23 novembre 2017, n° 17DA01517, fiché en C+ sur ce point) que « le jugement d’un tribunal administratif prononçant la décharge d’une imposition ne peut être assimilé à un jugement prononçant l’annulation d’une décision administrative, au sens des dispositions, citées au point précédent, de l’article R. 811-15 du Code de justice administrative ; qu’ainsi, ces dispositions n’autorisent pas l’administration à demander l’annulation d’un jugement déchargeant un contribuable d’une imposition ». Elle confirme ainsi la position de la Cour administrative d’appel de Versailles qui par deux arrêts (CAA Versailles, 9 novembre 2010, n° 10VE01293, fiché en C+ sur ce point ; CAA Versailles, 18 novembre 2014 n° 14VE00593, à la RJF 3/15) avait exclu l’application de ce sursis aux jugements de décharge. La Cour de Douai confirme ainsi qu’un jugement de plein contentieux en matière fiscale ne constitue pas un jugement d’annulation d’une décision administrative. Et, de ce fait, le recours de l’article R. 811-15 n’est pas recevable.

Cette solution n’était toutefois pas évidente, la décision de Section du 25 avril 2001, Min. c/ SARL Janfin, (CE, Section, 25 avril 200, ministre c/ SARL Janfin, n° 230166-230345, à la RJF 7/01 n° 1016) admet qu’un référé suspension soit formulé par un contribuable. Confirmant ainsi la solution antérieurement retenue par la décision Masse (CE, 15 juin 1984, n° 46392, Rec p. 210, à la RJF 8-9/84 n° 1070, chronique J. Gaeremynck p. 463,) qui reconnaît « aux tribunaux administratifs la faculté de prononcer le sursis à exécution des articles du rôle ou de l’avis de mise en recouvrement » (Guy Bachelier, Op. Cit.). Par la jurisprudence Janfin, qui confirme les principes antérieurement appliqués sous l’empire du sursis à exécution, le juge administratif assimile ainsi la requête tendant à la décharge d’une imposition à la requête en annulation ou en réformation d’une décision administration visée par l’article L. 521-1 du CJA. Il aurait ainsi pu être tentant de transposer le même raisonnement s’agissant du sursis à exécution d’un jugement sur le fondement de l’article R. 811-15.

La Cour administrative d’appel de Douai a, toutefois, préféré respecté l’orthodoxie juridique, par une application stricte de l’article R. 811-15. Un jugement prononçant une décharge n’annule pas, dans son dispositif, d’acte administratif. D’autant plus que c’est l’objet des articles R. 811-16 et R. 811-17 que d’appréhender les risques financiers naissant de l’exécution d’un jugement.

II) Le sursis de l’article R. 811-16.

Tout d’abord, rien ne s’oppose, à la différence des procédures de référés, qu’une demande de sursis à exécution soit présentée sur plusieurs fondements. L’appelant a donc la possibilité de présenter une demande de sursis sur les 3 fondements dans une même requête (CE, 19 juin 2006, M. Monsieur, n° 270472, T. p. 1040, à la RJF 10/06, n° 1273) ou encore, ce qui apparait plus pertinent au regard des développements précédents, sur le fondement des articles R. 811-16 et R. 811-17 du Code de justice administrative (CE, 19 octobre 2016, Ministre des Outre-mer c/ M. et Mme Wede, n° 401242). Pour autant, ces deux sursis à exécution du CJA se révèlent particulièrement inégaux en matière fiscale.

L’article R. 811-17, troisième procédure de sursis, conditionne le sursis à l’existence de moyens sérieux et des conséquences difficilement réparables en cas d’exécution de la décision du premier juge. La portée plutôt large de la condition tenant aux « conséquences difficilement réparables » permet ainsi aux administrations de recouvrir un large éventail de possibilités. A la différence de l’article R. 811-16 CJA qui dispose que « lorsqu’il est fait appel par une personne autre que le demandeur en première instance, la juridiction peut, à la demande de l’appelant, ordonner sous réserve des dispositions des articles R. 533-2 et R. 541-6 qu’il soit sursis à l’exécution du jugement déféré si cette exécution risque d’exposer l’appelant à la perte définitive d’une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses conclusions d’appel seraient accueillies ». Ce sursis est donc circonscrit à un risque de perte définitive d’une somme d’argent. Ce qui recouvre donc, potentiellement, le cas du contribuable bénéficiant d’un jugement de décharge. Moins général que l’article R. 811-17 quant aux conséquences qu’entraineraient l’exécution du jugement, ce sursis a l’avantage, non négligeable, de dispenser l’administration de la condition tenant aux moyens sérieux. L’article R. 811-16 du CJA apparaît donc comme particulièrement adapté aux litiges fiscaux qui sont des litiges pécuniaires. Comme le relève la chronique M. Combarnous et J.-M. Galabert (M. Combarnous, J.-M. Galabert, AJDA, 1959, I Doctrine, Chronique générale de jurisprudence administrative, « le sursis à exécution des jugements créant des obligations pécuniaires à la charge des collectivités publiques », p. 159), la condition tenant au moyen sérieux se révèle complexe dans certaines affaires, notamment en contentieux fiscal. Alors que l’objectif de ce sursis est de protéger l’appelant, initialement la personne publique, de l’insolvabilité du demandeur en première instance. Les conclusions de Olivier Henrard sous CE, Sect, 2 juin 2017, Communauté de communes Auray Quiberon Terre Atlantique, n°397571 (Olivier Henrard, RFDA 2017, p. 741, « Le préjudice né du paiement d’une condamnation annulée est-il indemnisable ? ») évoque ainsi « l’objectif était bien de protéger les collectivités appelantes contre la défaillance de leurs potentiels débiteurs privés. Cette condition avantage objectivement les personnes publiques, dont le risque d’insolvabilité est quasiment nul. ».

III) Les conditions d’octrois du sursis de l’article R. 811-16.

Dans un premier temps le Conseil assouplira ainsi la condition tenant au moyen sérieux (CE, Sect., 12 juin 1959, Ministre des affaires économiques et financières c/ Société affinerie havraise, n°46296, Rec. p. 365 et CE, Sect., 15 juillet 1959, Association syndicale de reconstruction d’Orléans, n°47466, Rec. p. 468) avant de définitivement l’écarter (CE, 14 décembre 1988, Hôpital hospice maternité de Montgelas, n°99539, T. p. 958).

Si l’administration n’a pas à démontrer l’existence de moyens sérieux, elle doit toutefois établir le risque de perte définitive si elle exécute l’obligation pécuniaire du jugement.

S’agissant du risque de perte définitive, la jurisprudence se montre particulièrement exigeante. Tout d’abord, la perte définitive ne peut être caractérisée que si l’impôt ait fait l’objet, préalablement, d’un recouvrement (en ce sens CAA de Nancy, 17 avril 2014, n° 13NC02192 ; CAA de Nantes, 26 novembre 2015, n° 15NT02302). Si le contribuable ne s’est pas acquitté de l’imposition, alors il n’est pas possible de qualifier la perte de définitive. En effet l’administration n’est pas tenue, dans un tel cas, de rembourser une somme au contribuable. C’est ainsi le cas du contribuable, qui préalablement à l’instance a obtenu un sursis de paiement, il n’apparaît dans ce cas pas possible de caractériser la perte définitive d’une somme (CE, 16 juillet 1976, Ministre c/ Société X, n° 02769, T.)

Face à cette appréciation stricte, il ne semble toutefois pas nécessaire que l’impôt soit recouvré dans son ensemble, le Conseil d’État admet que le sursis puisse se limiter à une partie de l’imposition (CE, 17 mai 2000, SA Moulin du Roc, n° 209102, à la RJF 7-8/00, n° 1013). De plus, si le contribuable s’est acquittée ne serait-ce que d’une partie des impositions mises à sa charge antérieurement au jugement de première instance, l’administration, en exécution du jugement, est tenue au remboursement. Dans pareil cas, le risque de perte définitive peut être retenu (implicitement admis par l’arrêt CE, 3 novembre 1989, SARL Sté Nouvelle Rivastella, n° 99426, inédit, à la RJF 1/90, n° 93, explicitement retenu par CAA Douai, 5 décembre 2017, n° 17DA01064, fiché en C+ sur ce point).
L’appelant doit ensuite démontrer l’insolvabilité de la partie adverse si celle-ci devait rembourser la somme dont elle a été déchargée en première instance (voir par exemple Hôpital hospice maternité de Montgelas, n°99539, cité supra). A titre d’exemple, mais également pour un cas assez courant, le prononcé d’une procédure de liquidation judiciaire est un élément susceptible de caractériser ce risque (voir par exemple CE, 19 janvier 1983, Ministre du Budget c/ S.A.R.L. X, n° 40437, inédit ; CAA Douai, 3 octobre 2017, 17DA01439). Mais à la différence du sursis de l’article R. 811-17 du CJA, où le placement en liquidation judiciaire expose l’administration a un risque de conséquences difficilement réparable (CE 10 novembre 2004, min. c/ SA Décoflock Clara Lander, n° 269058 à la RJF 2/05 n° 178), cette seule circonstance ne suffit pas sur le fondement de l’article R. 811-16. C’est à cette fin que l’administration fiscale invoque au soutien de la procédure collective, l’absence d’actif (CAA Versailles, 19 juillet 2016, n° 16VE00161), un mauvais bilan et la faiblesse du résultat net (CAA Lyon, 8 janvier 2013, n° 12LY02369) voire un nombre de dettes déjà important (CAA Douai, 17 novembre 2011, n° 11DA00951).

Le sursis à exécution de l’article R. 811-16 illustre, par l’absence de condition tenant au sérieux des moyens, un caractère très pragmatique. Il apparaît comme le corollaire du sursis de paiement de l’article L. 277 du LPF. Ils se limitent à analyser les garanties qu’offre le débiteur, sans avoir à rechercher les éventuelles chances de succès du recours, dans l’optique de protéger le privilège du Trésor.

Clément Leroy, Assistant de justice à la Cour administrative d’appel de Douai

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Discussions en cours :

  • Bonjour,
    Sur quel article du LPF, du CJA ou autre texte vous fondez-vous pour affirmer que "Ce sursis de paiement, conditionné uniquement par l’offre de garanties suffisantes, peut être à nouveau sollicité en cause d’appel, si le jugement ne fait pas droit aux conclusions du contribuable demandeur." ?
    Cette affirmation est en effet erronée : le sursis de paiement ne peut en aucun cas être à nouveau sollicité en cause d’appel. Il y a lieu de solliciter un sursis à exécution du jugement le cas échéant, ce qui est différent.

    • par Clément , Le 10 décembre 2019 à 10:06

      Bonjour,

      Vous avez tout à fait raison !

      C’est une mention malheureuse. Je vais procéder à la correction. J’avais en tête l’appel en cas de refus du sursis de paiement par le comptable puis le juge du référé fiscal de première instance. Ma formulation laisse à penser qu’il s’agit d’un rejet au fond devant le TA des conclusions à fin de décharge et d’un nouveau sursis de paiement...

      Merci pour ce retour.

      J’espère toutefois que cela n’a pas entaché votre lecture du reste de l’article.

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