Surfer sur internet pendant vos heures de travail : un sport dangereux.

Par Arthur Tourtet, Avocat.

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Explorer : # utilisation d'internet au travail # vie privée au travail # sanctions disciplinaires # abus de confiance

Utiliser Internet au travail est devenu une commodité. Cela facilite les tâches du quotidien. On ne peut plus s’en passer.
Mais l’employeur est en droit d’attendre de vous une utilisation d’Internet en rapport avec vos missions.

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Encore heureux qu’il ne vous paie pas pour que vous regardiez des vidéos de chats sur YouTube.

Votre contrat de travail doit être exécuté loyalement et de bonne foi.

Gardez cette boussole en tête lorsque vous serez tenté de vous échapper sur le web.

L’employeur peut-il interdire tout usage personnel d’Internet dans l’entreprise ?

Une telle interdiction risquerait d’être disproportionnée. Il faudrait que vous occupiez un emploi impliquant une vigilance particulière ou une disponibilité permanente.

L’article L1121-1 du Code du travail dispose que :

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Par exemple, le salarié peut être un jour amené à répondre en urgence et sans attente à un mail personnel.

Couper totalement du monde extérieur un employé serait une atteinte manifestement excessive à son droit d’avoir une vie privée, ce droit s’appliquant aussi dans l’entreprise [1].

Nous sommes au 21ème siècle et nous vivons dans une société ultra-connectée.

C’est avec pragmatisme que l’usage d’internet à titre personnel au travail n’est pas en lui-même sanctionné. N’importe qui peut craquer et aller voir ce qui se passe sur la toile. Seul l’abus de cette tolérance peut vous valoir une procédure disciplinaire [2].

Cette logique est proche de celle utilisée concernant l’utilisation du téléphone personnel dans l’entreprise. L’employeur ne peut pas l’interdire complètement, sauf à démontrer que cette interdiction est justifiée par la nature de la tâche à accomplir [3].

Bien évidemment, cette tolérance doit rester exceptionnelle. Si le salarié ne peut pas laisser sa vie privée à l’entrée de l’entreprise, il doit en priorité se concentrer sur son travail.

Mon employeur peut-il sanctionner un usage abusif d’internet en l’absence d’interdiction dans le règlement intérieur ou la charte informatique ?

L’employeur peut vous interdire de surfer abusivement sur internet, que ce soit dans le règlement intérieur ou dans la charte informatique [4].

Toutefois, ce formalisme n’est nullement obligatoire pour vous sanctionner [5].

Même lorsque ce n’est précisé nulle part de manière officielle, ne croyez pas que cette carence vous autorise à vous amuser sur Tik Tok ou à faire votre shopping sur Amazon.

C’est une obligation inhérente à votre contrat de travail. Vous êtes tenu d’exécuter une prestation de travail, selon les directives imposées par votre employeur.

Mon employeur peut-il me reprocher une utilisation abusive d’internet même si je fais bien mon travail ?

Ne pensez pas que votre employeur ne peut pas vous réprimander tant que votre travail est convenablement effectué.

Le fait d’abuser d’internet au travail n’est pas excusé par une absence de préjudice pour l’entreprise.

Notamment, est fautif le fait de passer plusieurs heures de travail par jour sur des sites internet d’immobilier, de musique et de jeux, même si le salarié pouvait se prévaloir de bons résultats dans le cadre de ses missions [6].

Même lorsque vous n’avez rien à faire, le temps que vous consacrez à aller sur internet pour vous-même est du temps qui ne peut pas être consacré à faire autre chose pour l’entreprise.

Lorsqu’une partie du temps de travail est sous-employée, la moindre des corrections serait d’en informer l’employeur afin qu’il puisse vous donner d’autres missions.

Si le salarié n’a pas beaucoup de boulot, il doit se tenir à la disposition de l’employeur. Le salarié ne peut pas être lui-même juge de l’utilisation de son temps de travail [7].

Dans des hypothèses extrêmes, le salarié peut même se rendre coupable du délit d’abus de confiance lorsqu’il utilise son temps de travail pour un autre but que l’exécution des missions qu’il doit accomplir [8].

L’employeur peut me licencier au bout de combien de temps passé sur internet ?

Il est impossible d’indiquer une limite de temps passé sur internet qui vous vaudrait la perte de votre poste.

Ce qui est certain, c’est que plus vous passerez du temps à vous évader sur internet alors que vous êtes censé travailler, plus vous vous rapprocherez du licenciement pour faute.

D’autant plus qu’il est difficile de se rendre compte du temps que l’on passe sur les écrans.

Tant que cela ne devient pas une habitude, il sera difficile de vous renvoyer pour avoir utilisé quelques minutes de votre temps professionnel à votre profit.

Par exemple, n’est pas fautif le fait d’envoyer des mails personnels sur les heures de travail à hauteur d’une moyenne de 4 par mois [9].

N’est pas non plus fautif le fait de se connecter à Twitter en moyenne 4 fois par jour, sachant que certaines connexions peuvent avoir eu lieu durant des temps de pause [10].

Par contre, est justifié le licenciement d’une salariée qui reconnaissait se connecter une heure par jour, durant le service, sur des sites d’achat en ligne [11].

Est encore fautif le fait de consacrer plus de 20 % de son temps de présence dans l’entreprise à visiter Facebook et d’autres sites web sans rapport avec le travail [12].

Est aussi justifié le licenciement d’un salarié qui passait plus de 40 heures par mois à visiter des sites sans lien avec ses missions professionnelles [13].

Le nombre de connexions est également un indice de trop de temps passé à vos activités numériques extraprofessionnelles.

Est justifié le licenciement d’un salarié pour plus de 1500 connexions, en l’espace de 6 mois, sur des sites de jeux et de vidéos humoristiques. En moyenne, cela équivaut à une dizaine de connexions par jour pour du pur divertissement, précision faite que chaque connexion pouvait durer plusieurs minutes [14].

L’abus peut aussi être caractérisé par le nombre de fichiers personnels stockés sur l’ordinateur de travail.

Par exemple, a pu être validé le licenciement pour faute grave d’un salarié ayant stocké sur son ordinateur 500 Go de fichiers pornographiques. Soit l’équivalent d’un disque dur entier [15].

D’autres circonstances peuvent encore jouer en votre défaveur : le fait que vous avez déjà été sanctionné pour vous être amusé sur internet, le fait d’avoir violé ouvertement la charte informatique de votre entreprise ou bien encore le fait d’avoir tenté d’effacer vos traces [16].

Sur ce point, vous devez savoir que l’employeur doit identifier avec certitude la date, l’heure et l’auteur des connexions douteuses [17].

Il est très probable que l’entreprise sollicite les services d’un informaticien afin d’étudier vos connexions. Or, ces professionnels n’ont aucune difficulté à récupérer un historique effacé ou des connexions effectuées sous une navigation privée.

Votre comportement général entre également en ligne de compte. Pour illustration, le licenciement d’un salarié passant trop de temps sur des sites de rencontre a pu être validé, l’intéressé ayant été, en outre, raciste et misogyne avec des clients comme des collègues [18].

Le caractère immoral ou illicite de mes activités sur internet peut-il aggraver mon cas ?

Ce n’est déjà pas très sérieux de se perdre sur Facebook pendant le service.

Alors imaginez si votre employeur vous surprend à visiter des sites ou à utiliser des applications pas très catholiques.

Dans une telle hypothèse, c’est la nature même de vos connexions qui est fautive. Peu importe si ce n’était pas fréquent, l’employeur pourra se permettre d’avoir la main lourde vous concernant.

Pas besoin d’être Albert Einstein pour comprendre que la visite d’un site pornographique peut vous coûter votre poste, un tel agissement pouvant mettre en péril la sécurité informatique de l’entreprise [19] ou bien encore son image [20].

Si d’autre part, il s’agit de pornographie illicite, votre licenciement deviendra le cadet de vos soucis. Il y a fort à parier que votre employeur signalera vos penchants à la police ou la gendarmerie. Plutôt que d’aller consulter du contenu répugnant, allez plutôt consulter un médecin avant qu’il ne soit trop tard.

Evitez encore les sites qui vous permettent de visionner ou de télécharger illégalement des films et séries. Même si vous avez autant de chance de vous faire attraper par HADOPI que de mourir d’une chute de météorites, de telles connexions violent le droit d’auteur et sont de vrais nids à virus informatiques.

L’employeur titulaire d’un abonnement Internet, est légalement responsable de l’utilisation qui en est faite. Lorsqu’un salarié en fait un usage répréhensible, ce dernier peut être licencié [21].

Télécharger et installer un logiciel de téléchargement illégal justifie encore le licenciement du salarié pour le risque informatique qu’il introduit dans l’entreprise [22].

Quant à visiter le Dark web au travail (et même depuis chez vous), oubliez définitivement l’idée. Sauf si vous souhaitez atterrir en prison et bénéficier de services encore plus déplorables que ceux de Pôle Emploi.

L’employeur peut-il vérifier les sites sur lesquels je me suis connecté ?

La jurisprudence considère que les connexions établies par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel.

Cela signifie en sorte que l’employeur est en principe droit de consulter vos connexions sur internet avec vos outils professionnels, même lorsque vous êtes absent [23].

Dans la même logique, votre employeur peut consulter sans votre présence l’ordinateur, la tablette ou le smartphone de l’entreprise et que vous utilisez dans le cadre de vos fonctions.

Lorsque vous verrouillez l’accès à vos outils professionnels, vous devez le faire faire l’autorisation de votre employeur, de sorte que votre hiérarchie puisse y avoir accès sans vous. Dans le cas contraire, vous serez fautif [24].

Ce raisonnement vaut aussi si vous connectez une clé USB ou un disque dur externe à un ordinateur de l’entreprise. Le périphérique sera considéré comme étant utilisé à des fins professionnelles [25].

Seule exception, l’employeur ne peut consulter, à votre insu, les fichiers expressément identifiés comme étant personnels. Il doit le faire en votre présence ou après vous avoir dûment appelé, sauf risque ou événement particulier (hypothèse rare en pratique).

Attention, ce n’est pas parce qu’un fichier porte votre nom qu’il est considéré comme étant personnel [26].

Un site internet classé dans les favoris de votre navigateur ne sera pas non plus considéré comme étant un fichier personnel.

De même, vous ne pouvez pas faire échec au contrôle de l’employeur en nommant l’intégralité d’un disque dur avec une mention du type “données personnelles” [27]. Sans compter qu’une manœuvre aussi grossière ne pourra qu’attirer les soupçons.

L’enjeu est de taille : si l’employeur ne respecte pas l’ensemble de ces règles, les preuves qu’il aura collectées ne pourront servir à l’appui d’une sanction disciplinaire.

Que peut faire l’employeur si j’utilise mon propre ordinateur ou un smartphone privé ?

La question n’a pas été officiellement tranchée.

Concernant l’utilisation d’un dictaphone personnel, il a été jugé que l’employeur ne peut le consulter qu’en présence du salarié ou après l’avoir dûment appelé [28].

Par analogie, l’employeur serait donc en droit de consulter le contenu de vos outils informatiques personnels à partir du moment où l’on vous donne la possibilité d’être présent.

Toutefois, je ne pense pas qu’il soit possible de contrôler tout azimut le contenu des appareils personnels des salariés. Un tel procédé serait trop intrusif, surtout à une époque où toute notre vie personnelle est contenue dans nos smartphones ou nos ordinateurs.

La Cour de cassation devra un jour fixer des règles plus précises sur la question, comme elle a pu le faire concernant la fouille des sacs.

En effet, concernant le contrôle d’un sac du salarié, ce dernier ne peut intervenir, sauf circonstances exceptionnelles, qu’avec l’accord du salarié après l’avoir averti de son droit de s’y opposer et de son droit d’être assisté d’un témoin [29].

Le minimum serait d’appliquer ces garanties et de contrôler les outils personnels des salariés seulement dans des situations gravissimes.

Sans une jurisprudence claire sur la question, je pense que l’employeur prendrait un grand risque à contrôler lui-même un appareil appartenant à un salarié, même en présence de l’intéressé et d’une foule de témoins.

Cependant, il a déjà été permis de contrôler la messagerie personnelle d’un salarié par l’intermédiaire d’un huissier sur autorisation d’un juge, lequel a rendu une ordonnance après avoir été saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile [30].

L’employeur pourrait donc solliciter l’autorisation d’un juge avant de faire procéder, par voie d’huissier, au contrôle des appareils appartenant aux salariés. Si le contrôle n’est pas légitime ou totalement disproportionné, il n’y a pas de raison que le juge autorise une telle mesure.

L’employeur peut-il m’interdire d’utiliser mes propres outils informatiques au travail ?

En cas de problème et devant l’incertitude concernant la possibilité de consulter vos outils informatiques personnels, l’employeur pourrait contourner la difficulté en vous interdisant leur utilisation au travail.

Dès le moment où l’employeur vous fournit du matériel informatique pour travailler, il paraît naturel de vous refuser d’utiliser votre propre ordinateur ou tablette.

S’il est difficile pour l’employeur de vous interdire totalement d’utiliser votre smartphone en raison de son caractère indispensable pour recevoir des appels d’urgence, vous pouvez vous passer plus facilement du reste lorsque vous avez déjà tout à disposition dans l’entreprise.

L’employeur a des raisons légitimes de vous imposer l’utilisation de ses propres outils plutôt que les vôtres. Il est plus facile pour l’entreprise d’avoir accès à ses fichiers et d’installer des protections contre les attaques informatiques lorsqu’un ordinateur lui appartient.

Conclusion.

Certes, le droit à la vie privée au travail vous permet d’utiliser internet dans l’entreprise pour votre propre compte.

Mais cette possibilité reste cantonnée au minimum vital. Elle vous permet, au mieux, d’effectuer une démarche que vous auriez oublié d’accomplir à la maison et qui ne peut pas attendre.

N’abusez pas de cette liberté.

Si vous souhaitez vous évader sur le net pendant votre travail, les temps de pause sont faits pour cela.

Quant à la dernière saison de votre série Netflix du moment, cette dernière attendra votre prochain week-end.

Arthur Tourtet
Avocat au Barreau du Val d\’Oise

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Notes de l'article:

[1Cass. soc., 2 oct. 2001, n°99-42.942.

[2Cass. soc. 4 nov. 2020, n°18-23.126.

[3CA Paris, 10 déc.2020, n°18/10901.

[4CA Aix-en-Provence, 13 janvier 2015, n°14/03478.

[5Cass. soc., 16 mai 2007, n°05-43.455.

[6CA Paris, 12 sept. 2019, n°17/09980.

[7CA Paris, 01 juin 2006, n°05/00012.

[8Cass. Crim., 19 juin 2013, n°12-83.031.

[9CA Angers, 14 fév. 2017, n°14/02062.

[10CA Bordeaux, 15 janv. 2013, n°11/02062.

[11CA Aix-en-Provence, 13 janv. 2015, n°14/03478.

[12CA Rennes, 20 nov. 2013, n°12/03567.

[13Cass. soc., 18 mars 2009, n°07-44.247.

[14CA Versailles, 28 nov. 2019, n°17/04019.

[15Cass. soc., 16 mai 2007, n°05-43.455.

[16Cass. soc. 21 sept. 2011, n°10-14.869.

[17CA Nîmes, 26 juill. 2016, n°15/04114 et CA Dijon, 20 sept. 2018, n°16/00899.

[18CA Colmar, 29 nov. 2019, n°17/04600.

[19CA Rennes, 19 avril 2007, n°06/03156.

[20CPH Lyon, 28 fév. 2007, R.G. n°04/03949.

[21CA Poitiers, 04 oct. 2017, n°15/02550.

[22CA Lyon, 07 juin 2016, n°14/05970.

[23Cass. soc., 9 juill. 2008, n°06-45.800.

[24Cass. soc., 18 octobre 2006, N°04-48.025.

[25Cass. soc., 12 févr. 2013, n°11-28.649.

[26Cass. soc., 8 déc. 2009, n°08-44.840.

[27Cass. soc., 4 juill. 2012, n°11-12.502.

[28Cass. soc., 23 mai 2012, 10-23.521.

[29Cass. soc. 11 févr. 2009, n°07-42.068.

[30Cass. soc., 10 juin 2008, n°06-19.229 et Cass. soc., 20 septembre 2017, n°16-13.082.

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