On fait le point avec 10 questions juridiques qui se posent.
Au sommaire de cet article...
- 1. Qu’est-ce que le droit du sol ?
- 2. Quelle est la valeur juridique du droit du sol en France ?
- 3. Les règles du droit du sol sont-elles différentes à Mayotte ?
- 4. Le durcissement du droit du sol à Mayotte est-il constitutionnel ?
- 5. Peut-on supprimer le droit du sol à Mayotte ?
- 6. Comment supprimer le droit du sol à Mayotte ?
- 7. La suppression du droit du sol à Mayotte se heurte-t-elle à un principe constitutionnel ?
- 8. L’interdiction de l’apatridie peut-elle bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte ?
- 9. Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?
- 10. Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?
A retenir :
La suppression du droit du sol à Mayotte pourrait intervenir par la loi ou par une révision constitutionnelle.
Si la loi supprimait le droit du sol à Mayotte, elle serait probablement censurée par le Conseil constitutionnel, car cette suppression se heurte à la Constitution.
En revanche, si la suppression du droit du sol à Mayotte faisait l’objet d’une révision constitutionnelle, le Conseil constitutionnel ne pourrait pas se prononcer sur la question, car le pouvoir constituant est souverain. Même si cette suppression heurtait des principes fondamentaux, son inscription dans la Constitution par le constituant ne serait donc pas contestable.
La question est donc davantage morale, que juridique.
1. Qu’est-ce que le droit du sol ?
Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans (Article 21-7 du Code civil).
C’est ce que l’on appelle communément le droit du sol.
2. Quelle est la valeur juridique du droit du sol en France ?
En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil, c’est-à-dire la loi française. Aucun traité international ni aucune disposition constitutionnelle ne protègent ce droit en France et le Conseil constitutionnel a refusé à ce jour de consacrer ce principe comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) (Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993).
Le droit du sol a donc une valeur législative en France.
3. Les règles du droit du sol sont-elles différentes à Mayotte ?
Oui.
Le droit du sol a été spécifiquement durci à Mayotte depuis la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018. pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Cette loi « asile et immigration » a ajouté une condition spécifique supplémentaire pour bénéficier du droit du sol à Mayotte : l’enfant né à Mayotte devra prouver, au moment de sa demande que l’un de ses parents était légalement sur le territoire français depuis au moins trois mois au moment de sa naissance pour pouvoir bénéficier de la nationalité française.
La loi prévoit donc une condition supplémentaire pour bénéficier de la nationalité française par le droit du sol à Mayotte.
4. Le durcissement du droit du sol à Mayotte est-il constitutionnel ?
Oui.
Les règles du droit du sol sont plus strictes à Mayotte qu’en métropole. Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose le principe d’égalité des citoyens devant la loi qui doit être « la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse, tous les citoyens étant égaux à ses yeux » (Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen).
La question de la conformité à la Constitution du durcissement du droit du sol à Mayotte pouvait donc se poser.
Mais l’article 73 de la Constitution pose également depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer :
« Dans les départements et les régions d’Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer permet donc de prévoir des dérogations aux conditions initiales du droit du sol spécifiques à Mayotte.
5. Peut-on supprimer le droit du sol à Mayotte ?
La question de la suppression du droit du sol à Mayotte est aussi sensible politiquement que délicate juridiquement. De nombreuses personnalités politiques ont en effet déjà proposé cette suppression par le passé, et en dernier lieu le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer le 11 février 2024, mais la question est juridiquement compliquée.
En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil, c’est-à-dire la loi française. Le droit du sol n’est donc pas protégé par la Constitution à ce jour. Or suivant le principe du parallélisme des formes, ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Il suffirait donc que le législateur modifie le Code civil sur ce sujet.
Mais cette modification pourrait se heurter au Conseil constitutionnel, qui pourrait profiter de cette modification législative pour faire évoluer sa jurisprudence sur le droit du sol. Le Conseil constitutionnel a en effet toujours refusé à ce jour de consacrer le droit du sol comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) (Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993). Mais une nouvelle saisine sur une nouvelle loi offrirait la possibilité au Conseil constitutionnel de faire monter le droit du sol à l’échelon constitutionnel et de censurer la loi sur ce motif.
Seule une révision constitutionnelle permettrait donc de supprimer le droit du sol à Mayotte. Sur le plan théorique, rien ne s’oppose à ce que le constituant choisisse de réviser la Constitution en ce sens.
6. Comment supprimer le droit du sol à Mayotte ?
Inscrire la suppression du droit du sol à Mayotte dans la Constitution française implique de réviser, c’est-à-dire modifier, le texte suprême. Cette procédure est très encadrée. La Constitution est un texte solennel qui ne doit en effet pas être modifié trop fréquemment et qui prévoit donc des limites procédurales.
C’est l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui organise la procédure de révision du texte avec 3 étapes :
- L’initiative,
- L’examen parlementaire,
- Et l’approbation définitive.
Première étape, l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement, c’est-à-dire à chaque parlementaire.
Depuis 1958, les 24 révisions constitutionnelles étaient des projets de loi constitutionnelle, c’est-à-dire à l’initiative du pouvoir exécutif. Le dernier texte en date, à savoir le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a également été adopté à l’initiative de l’exécutif. Il est également probable que le Président de la République prenne l’initiative, sur proposition du Premier ministre, de la suppression du droit du sol à Mayotte dans le cadre d’un projet de loi constitutionnelle.
Deuxième étape, le projet de loi constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. Ceci signifie que l’Assemblée nationale et le Sénat devront s’entendre sur un texte identique, à la virgule près, et qu’une majorité devra se dégager au sein de chaque assemblée pour voter le texte. Le sujet, très polémique, fera nécessairement débat au Parlement, d’autant plus qu’une majorité devra être recherchée au sein de chaque assemblée sur le texte, avec une coalition indispensable du parti présidentiel avec d’autres groupes parlementaires.
La procédure de la commission mixte paritaire, qui est fréquemment utilisée en cas de désaccord entre les deux chambres lors de l’examen d’un texte ordinaire est interdite pour une révision constitutionnelle. Le texte devra donc faire la navette autant que nécessaire entre les deux chambres jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé, ou que le désaccord soit acté et que la procédure s’arrête.
Troisième et dernière étape, la révision constitutionnelle devra enfin être adoptée définitivement. Deux procédures existent : le référendum ou le Congrès, qui est la réunion de l’ensemble des parlementaires à Versailles.
Si la suppression du droit du sol à Mayotte fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle, le Président de la République aura le choix : soit soumettre le texte à référendum ou réunir les parlementaires en Congrès à Versailles pour l’adoption définitive du texte à la majorité qualifiée des 3/5e. Ici encore, le parti présidentiel devra nécessairement trouver cette majorité en s’alliant avec d’autres groupes parlementaires, ce qui fera débat.
Si le Président de la République ne souhaite pas multiplier les réunions du Congrès, il pourra choisir de le réunir le même jour sur deux sujets, à savoir la constitutionnalisation de l’IVG et la suppression du droit du sol à Mayotte. Mais le choix est libre, et le chef de l’État pourra également soumettre l’un ou l’autre de ces sujets à référendum.
À la fin de cette procédure très encadrée, la suppression du droit du sol à Mayotte pourra être inscrite dans la Constitution française.
7. La suppression du droit du sol à Mayotte se heurte-t-elle à un principe constitutionnel ?
Oui, mais…
La suppression du droit du sol à Mayotte pourrait se heurter à un principe constitutionnel.
En effet, l’article 73 de la Constitution pose depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer :
« Dans les départements et les régions d’Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
En l’état actuel de la rédaction du texte, les « adaptations » possibles ne semblent pas pouvoir inclure la suppression pure et simple du droit du sol. Cette suppression paraît, en effet aller bien au-delà de la seule « adaptation » visée dans le texte et, partant, viole l’article 73 de la Constitution.
La différenciation territoriale en Outre-mer ne semble donc pas pouvoir aller en l’état actuel de la rédaction de la Constitution jusqu’à la suppression du droit du sol à Mayotte.
Toutefois, et c’est le plus important, même si la suppression du droit du sol à Mayotte se heurte à ce principe constitutionnel, une révision de la Constitution, qui ne fera pas l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, pourrait permettre d’outrepasser ce blocage.
8. L’interdiction de l’apatridie peut-elle bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte ?
Non.
Aucune loi, disposition constitutionnelle, principes généraux du droit ou traités internationaux signés par la France ne lui interdit à ce jour juridiquement de créer des apatrides. La question est donc davantage morale, que juridique.
Si la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée sous forme de résolution de l’Assemblée générale des Nations unies en 1948 prévoit l’interdiction de l’apatridie, ce texte n’a pas de valeur juridique contraignante en France.
L’interdiction de l’apatridie ne peut donc pas bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte en l’état des textes applicables.
9. Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?
Oui.
Si la suppression du droit du sol à Mayotte est prévue par une simple modification législative du Code civil, le Conseil constitutionnel pourra être saisi :
- Avant la promulgation de la loi par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs (Article 61 de la Constitution) ;
- Après la promulgation de la loi, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (Article 61-1 de la Constitution) par tout justiciable ayant un intérêt légitime à contester la loi.
À l’occasion d’une telle saisine, le Conseil constitutionnel pourrait choisir de faire évoluer sa jurisprudence en consacrant le droit du sol comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), ce qu’il a toujours refusé de faire à ce jour (Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993).
Si tel était le cas, la loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte serait censurée par le Conseil constitutionnel sur ce motif.
10. Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?
Non.
L’inscription de la suppression du droit du sol à Mayotte dans la Constitution française permettrait précisément de contourner le Conseil constitutionnel.
En effet, le Conseil constitutionnel n’intervient pas dans la procédure de révision de la Constitution prévue à l’article 89. Autrement formulé, la Constitution ne prévoit pas de contrôle de constitutionnalité automatique des projets de loi de révision constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel considère d’ailleurs à ce sujet que « le pouvoir constituant est souverain » et qu’il ne lui appartient donc pas de s’y substituer (Conseil constitutionnel, Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992).
Les lois constitutionnelles échappent donc au contrôle de constitutionnalité.
La seule limite est fixée par le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution qui dispose que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision », mais ceci ne concerne en rien la suppression du droit du sol à Mayotte.
Saisi d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil constitutionnel se déclarerait donc nécessairement incompétent à statuer sur cette question. La décision d’incompétence qui serait rendue pourrait toutefois donner l’opportunité au Conseil constitutionnel d’alerter sur les risques d’atteinte à l’identité constitutionnelle de la France et aux droits garantis par la Constitution, mais ne pourrait pas faire obstacle à la décision prise par le pouvoir constituant souverain.
Saisi pour avis d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil d’État ne se gênerait pas de la même manière pour alerter l’exécutif sur ces mêmes risques, sans toutefois disposer de la possibilité juridique de bloquer l’adoption du texte puisque l’avis du Conseil d’État ne lie pas le constituant...