Lorsque l’on observe l’ensemble des vingt-cinq révisions de la Constitution de 1958, on s’aperçoit qu’il y a deux catégories. Celles qui sont marquantes et ont réellement influencé notre fonctionnement démocratique. Et celles qui sont secondaires ou sans effet réel sur notre démocratie. En d’autres termes, il y a les révisions essentielles et les révisions non essentielles.
I) Les révisions principales de la Constitution de 1958.
a- Celle du général de Gaulle de 1962 : l’élection du chef de l’État au suffrage direct.
Le principal inspirateur de cette constitution va, eux ans après son arrivée au pouvoir, procéder à la révision la plus essentielle de la Vé. Le 6 novembre 1962 il instaure l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Mais au lieu de passer par la voie révisionnelle classique (art.89 C), il a recours au référendum de l’art.11 C. Alors là, au niveau procédural c’est le drame. Il est symbolisé par le président du Sénat Monnerville qui parle carrément de « forfaiture ». La majorité des juristes plaident dans ce sens [2]. Mais ce recours au référendum, inconstitutionnel au départ, va être en quelque sorte couvert par le vote du peuple qui va massivement (62 %) approuver la révision. D’ailleurs lorsque le général y a à nouveau recours en 1968, sur la régionalisation et la fusion du Sénat et du Conseil Economique et Social, le rejet du peuple français liquide la réforme et solde le sort de l’Homme du 18 Juin. Dès lors, on peut admettre avec F. Mitterrand que « l’usage de l’article 11 établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme l’une des voies de la révision concurremment avec l’article 89 » [3].
Mais le Conseil d’État ne l’entend pas tout à fait de cette oreille. En effet il relève que : « seuls les référendums par lesquels le peuple français exerce sa souveraineté, soit en matière législative dans les cas prévus par l’article 11 de la Constitution, soit en matière constitutionnelle comme le prévoit l’article 89, sont soumis au contrôle du Conseil constitutionnel » [4].
Il reste que cette révision est fondamentale sur le fond et a bouleversé l’édifice présidentiel mis en place en 1958. Désormais, l’article 6 C énonce : Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
Le professeur Jean Gicquel parlera à bon droit de « la Constitution de 1962 ».
Organisé pour la première fois les 5 et 19 décembre 1965, l’élection au suffrage universel accroît de façon substantielle la légitimité du président de la République. Personne n’a l’équivalent en France. Certes, il est d’autres élus, parlementaires et locaux, mais leur légitimité est cantonnée à une circonscription. Comme une sorte de miroir brisé. Le président bénéficie quant à lui d’une légitimité nationale. Comme une sorte de miroir unique. Cette révision renforce aussi la position subordonnée du Premier ministre. Hors cohabitation, il n’est que « le premier des Ministre » (G. Pompidou) ou le « collaborateur » (N. Sarkozy) du président. En cohabitation, il retrouve des prérogatives constitutionnelles qui sont les siennes. Seul le domaine régalien lui échappe. Cette révision de 1962 a incontestablement posé aussi et pour longtemps la question de l’équilibre des pouvoirs entre le Parlement et chef de l’État. C’est ce qu’on appelle le présidentialisme défini par Jean Gicquel : un président élu par une majorité des électeurs (majorité présidentielle) qui s’appuie sur une majorité parlementaire et qui bénéficie de pouvoirs très conséquents (propres et partagés). De de Gaulle à Macron, hormis les périodes de cohabitation, le schéma suivi a été plus ou moins présidentialiste [5].
Les deux autres révisions réalisées par le Général sont plus secondaires et nous les verrons plus loin.
Le président Pompidou eu juste une velléité d’instaurer le quinquennat. Mais, en souhaitant respecter la procédure de l’article 89, il fut confronté à l’hostilité du Sénat et renonça [6].
b- Celle de Valéry Giscard d’Estaing de 1974 : la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel.
Annoncée par le président dans son message au Parlement du 30 mai 1974, la réforme est présentée au Conseil des ministres du 21 août 1974. C’est selon la procédure de l’art.89 C que le plus célèbre des présidents auvergnats fait adopter le 24 octobre 1974 la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel. Désormais 60 députés et /ou 60 sénateurs peuvent saisir les 9 Sages. C’est certainement, après celle de 1962, la seconde réforme la plus fondamentale de la Vé. Comme nous l’a confié un jour VGE, ce n’était pas gagné d’avance notamment car la majorité craignait un dépouillement. Mais un certain nombre de juristes (le doyen Charles Debbasch notamment) ont conseillé le président. Jacques Chirac, alors à Matignon, n’a pas vraiment eu d’influence sur ce sujet.
Cette réforme est capitale à plusieurs égards. D’abord elle renforce le rôle du Conseil constitutionnel, qui devient une sorte juge de la conformité de la loi aux règles et principes à valeur constitutionnelle. Ensuite elle offre surtout un instrument essentiel de contrôle et de sanction à l’opposition parlementaire. Une loi déférée au Conseil constitutionnel ne peut plus être promulguée, donc appliquée, tant que ce dernier n’a pas statué. Enfin, les décisions du Conseil, qui peut rejeter tout ou partie de la loi déférée, n’étant susceptibles d’aucun recours, cette réforme représente une avancée dans la reconnaissance des droits de l’opposition. Elle induit aussi pour les gouvernements et les membres de la majorité parlementaire une attention particulière dans la préparation des projets et propositions de lois [7].
Il est clair que le général de Gaulle, très attaché à la souveraineté de la loi, n’aurait jamais imaginé ce système. Pas plus qu’il ne goûterait le rôle qu’a pris le Conseil ces dernières années.
L’ancien maire de Chamalières mit en place une autre révision beaucoup plus secondaire que l’on verra ci-dessous.
c- Celle de François Mitterrand.
À notre sens la plus marquante, car il en a fait trois, est celle qui instaure la Cour de Justice de la République le 27 juillet 1993. Alors une partie du lectorat ne sera pas d’accord eu égard au peu de sanctions qui a frappé celles et ceux qui y sont passés. C’est vrai, mais avant 1993 les ministres fautifs jouissaient d’une immunité quasi-totale. Désormais, ils peuvent être mis en cause. Selon le Titre X C. la Cour est compétente pour juger les membres du gouvernement (Premier ministre, ministres, secrétaires d’État) pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Les infractions n’ayant aucun lien avec la conduite de la politique de la nation sont du ressort des juridictions pénales de droit commun.
Rappelons que la Cour est composée de quinze juges : douze parlementaires (six élus par l’Assemblée nationale et six élus par le Sénat) et de trois magistrats du siège à la Cour de cassation. Un de ces trois magistrats la préside. La création de la CJR s’appuie sur les propositions du comité présidé par le regretté doyen Vedel institué à l’initiative de François Mitterrand fin 1992. Le doyen nous a confié par la suite qu’il ne se faisait guère d’illusion sur la prise en compte du rapport de son Comité. « Cher ami, c’est le lot de ce type de document de n’être pris en compte qu’à plus ou moins long terme voire pas ! ». Quant à la proposition retenue (la CJR), selon lui « elle n’était peut-être pas la plus prioritaire. Elle avait surtout une charge symbolique » [8].
Cette CJR devait répondre à la nécessité d’établir une définition de la responsabilité pénale des élus et des responsables de l’exécutif dans l’exercice de leurs mandats et de leurs fonctions, tout en faisant en sorte que la justice n’interfère pas sur la politique menée. Rappelons que jusqu’à la réforme constitutionnelle de 1993, seul le Parlement avait la faculté d’engager des poursuites à l’encontre des membres du gouvernement devant ce qui s’appelait alors la Haute Cour de justice, composée alors des seuls parlementaires.
Il apparait que depuis sa création, la CJR a prononcé un jugement à l’encontre de huit ministres et deux secrétaires d’État. C’est à la suite de sa première affaire, ô combien emblématique, en 1999, dite « affaire du sang contaminé » que la CJR a « déçu ». En effet elle relaxé Laurent Fabius, Premier ministre à l’époque des faits, et Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale (cette dernière avait osé s’autoproclamer « responsable mais pas coupable » …). Enfin, elle a condamné "pour manquement à une obligation de sécurité ou de prudence", tout en le dispensant de peine, Edmond Hervé, secrétaire d’État à la Santé. Pour l’opinion publique qui voyait les centaines de morts du sida et paniquait, le compte n’y était pas du tout [9].
Toutefois, chacun sait que les carrières politiques de Mme Dufoix et de M. Hervé ont été réduites à néant. Quant à Laurent Fabius, il a dû tirer un trait sur ses ambitions nationales.
À la suite de cela et d’autres affaires, la CJR est accusée d’être une justice d’exception, trop clémente et le symbole d’une justice à deux vitesses (les conseillers des ministres sont jugés par les juges pénaux). Avec parfois des jugements qui n’en sont pas vraiment, car plus moraux qu’autre chose. En 30 ans d’existence, le jugement de 10 personnes, cela fait effectivement un peu court. La légitimité de la CJR est contestée. François Hollande avait annoncé et commencé de réfléchir à sa suppression. Sans suite. Emmanuel Macron s’est interrogé sur son utilité. À voir.
François Mitterrand a procédé à deux autres révisions qui n’ont pas eu un caractère essentiel, on va le revoir.
d- Celles de Jacques Chirac.
Si l’on osait, on dirait que le héraut corrézien fut un boulimique de révisions. En effet, il a procédé à pas moins de 14 révisions ! C’est un record sous la Ve République ! Il se trouve que la majorité d’entre elles furent d’un intérêt plutôt réduit. Nous en retiendrons cependant quatre d’entre elles qui ont influencé notre système institutionnel.
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