Stratégie foncière et risques littoraux : décryptage du nouveau droit de préemption ! Par Hugo Vangrevelynghe-Rivet, Doctorant.

Stratégie foncière et risques littoraux : décryptage du nouveau droit de préemption !

Par Hugo Vangrevelynghe-Rivet, Doctorant.

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Explorer : # risques littoraux # droit de préemption # Érosion côtière # stratégie foncière

Promulguée le 22 août dernier, la loi n°2021-1104 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, crée un nouveau droit de préemption dans le but de favoriser la renaturation et la lutte contre l’artificialisation des sols dans les communes littorales.

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Si sur le papier, il pourrait s’agir d’un nouveau droit de préemption qui viendrait s’ajouter à l’existant, notre étude souhaite néanmoins se pencher sur sa mise en œuvre stratégique et ses finalités, et ce à l’échelle locale.

Au préalable, rappelons que le choix du droit de préemption présente de nombreux atouts au titre des zones menacées par les risques littoraux, en comparaison à l’acquisition amiable ou encore à l’expropriation. En réalité, ce droit de préemption ne nécessite pas la mise en œuvre d’une procédure souvent coûteuse et longue et nécessite encore moins l’intervention de l’État.

Entre nouveautés et acquis juridiques.

L’exercice du présent droit de préemption découle de deux types de législations :
- L’une spécifique au recul du trait de côte [1] qui fait l’objet du présent développement ;
- L’autre, commune au droit de préemption urbain ou encore au droit de préemption dans les ZAD : les délégations du droit de préemption, la renonciation de la collectivité à préempter en cours de procédure, le retrait de son offre par le vendeur, l’obligation du vendeur d’informer les locataires qu’une décision de préemption a été prise, la protection des occupants du bien préempté, le transfert de propriété et le règlement du prix d’acquisition.

La mise en œuvre du droit de préemption érosion.

La délimitation des zones menacées.

En premier lieu, les communes et intercommunalités devront délimiter les périmètres dans lesquelles ce droit de préemption pourra être exercé.

Son instauration nécessite l’accomplissement de 2 conditions :
- Sont concernées les communes listées à l’article L121-22-1 du Code de l’urbanisme. Cette liste, fixée par décret, sera d’ailleurs révisées tous les 9 ans ;
- Dans ces mêmes communes, le droit de préemption est instauré de plein droit dans les zones exposées au recul du trait de côte à l’horizon de 30 ans (zones délimitées dans le PLU ou du document en tenant lieu). De manière facultative, une commune ou un EPCI pourra, par délibération, instaurer ce même droit, sur une zone du territoire exposée au risque d’érosion d’ici 30 à 100 ans. Les documents d’urbanisme devront eux aussi délimiter ces zones (PLU ou tout document en tenant lieu).

Avec l’arrivée de ce nouveau droit de préemption, les acteurs locaux pourront légitimement s’interroger sur la cohabitation avec les droits de préemption existants. Fort heureusement, la loi est venue préciser la hiérarchie entre ces outils. Ainsi, dans les zones soumises à ce nouveau droit, le droit de préemption commercial, le droit de préemption dans les ZAC ou encore le droit de préemption urbain ne s’appliquent pas. Toutefois, le droit de préemption dans les espaces naturels sensibles (ENS) primera sur le droit de préemption érosion.

Les règles propres à la déclaration d’intention d’aliéner (DIA).

Du coté des administrés, une telle institution implique, notamment en cas de vente des biens, d’adresser une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) à la mairie de la commune. Le non-respect de cette condition est sanctionné par la nullité de la vente.

Cette dernière pourra être sollicitée par le titulaire du droit de préemption devant le juge judiciaire et ce, dans un délai de 5 ans, à partir du jour où le titulaire a eu connaissance de la date de la vente réalisée en violation de son droit. Notons toutefois, que le délai court « à compter de la publication de l’acte portant transfert de propriété » au sens de l’article L219-9 du Code de l’urbanisme.

Le vendeur doit aussi, en sus de l’information à la commune, émettre une copie de la DIA au directeur départemental ou régional des finances publiques, dans un souci d’information élargie auprès des services de l’État [2].

A l’exception de la donation entre vifs, cette DIA devra indiquer le prix ainsi que les conditions de l’aliénation. A l’inverse, en cas d’adjudication, l’estimation du bien ou encore de la mise à prix.

L’interruption du délai légal d’exercice.

Classiquement, le titulaire de ce droit de préemption pourra réclamer au propriétaire, par une demande unique, et durant le délai d’exercice de 2 mois, tout élément sur l’état de l’immeuble (ou encore sur la situation financière en cas de SCI). Cette demande a pour conséquence de suspendre le délai légal de deux mois à partir du jour de la réception de la demande. Celui-ci recommencera à courir à partir du jour des pièces sollicitées par le demandeur. Dans le cas où le délai restant à courir est inférieur à un mois, le titulaire du droit de préemption bénéficiera d’un nouveau mois pour notifier sa décision.

A la différence d’une demande de documents, une demande de visite du bien auprès du propriétaire n’a pas pour conséquence de suspendre le délai de deux mois d’exercice du droit de préemption. C’est là une différence avec le droit de préemption urbain ou encore le droit de préemption dans les ZAD.

Une méthode d’évaluation de la valeur du bien.

L’article L219-7 du Code de l’urbanisme prévoit la situation selon laquelle le vendeur et le titulaire du droit de préemption ne parviennent pas à s’accorder sur le prix.

L’article précise que celui-ci est fixé par le juge de l’expropriation « en tenant compte de l’exposition du bien au recul du trait de côte ». Une mesure, qui d’ailleurs soulevait une difficulté et non des moindres ! En effet, aucune disposition n’est venue préciser la méthode d’évaluation dans le but d’estimer la valeur du bien situé en zone de préemption.

Dès lors, toutes les interrogations étaient permises ! Cette méthode allait-elle s’aligner sur ce que prévoyait la loi rectificative du 30 Juillet 2020, qui procédait à l’indemnisation des copropriétaires de l’immeuble « Le Signal » ? Souvenons-nous, le législateur avait accepté de compenser le préjudice subi par les habitants (de la perte d’usage de leur bien), en rachetant l’immeuble à hauteur de 70% de la valeur vénale du bien en y appliquant une décote.

Une certitude toutefois, ces dispositions divergent des règles liées à l’évaluation des immeubles qui font l’objet d’une expropriation pour cause de risques naturels prévisibles [3], l’indemnité pour cette dernière étant calculée en fonction du coût du remplacement du bien exproprié, sans tenir compte de l’existence du risque.

Il aura fallu attendre le 6 avril 2022 pour obtenir une clarification par voie d’ordonnance (Ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte).

L’État fait le choix « en priorité » de déterminer la valeur du bien par comparaison aux « références locales de biens de même qualification et situés dans la même zone d’exposition à l’érosion ». L’alternative proposée par le même texte se rapproche du schéma susvisé, puisqu’en l’absence de références locales, « une décote proportionnelle à la durée de vie résiduelle prévisible » pourra être appliquée à la valeur d’un bien similaire, cette fois hors zone d’exposition au recul du trait de côte.

La prise en compte du risque d’érosion, dans la fixation du prix du bien, est sans nul doute une mesure qui fera débat. En effet, celle-ci apparaît être assez avantageuse pour la puissance publique à deux égards :
- Car elle concerne des biens voués à entrer dans le domaine public naturel et par voie de conséquence dans le patrimoine de l’État sans compensation possible pour les victimes ;
- Car la collectivité aura à supporter un coût d’acquisition financièrement acceptable, éloigné du coût initial du bien.

Pour l’initiative privée, il y a fort à parier que cette nouvelle disposition constituera un « électrochoc » notamment pour le marché de l’immobilier qui, jusqu’à aujourd’hui, n’imputait pas le risque d’érosion sur prix du bien.

Des nouveautés sur l’information délivrée au futur acquéreur.

De plus, la loi climat et résilience vient modifier l’article L125-5 du Code de l’environnement en prévoyant que le niveau de risque d’érosion devra être apporté à l’acquéreur ou au locataire lors de l’avant contrat. En effet, celle-ci prévoit deux nouveautés :
- Lors de la publicité, quel que soit le support (annonce sur internet, en agence), l’offre devra indiquer le moyen d’accéder à l’état des risques concernant le bien ;
- L’état des risques sera remis au candidat par le vendeur dès sa première visite dans le bien.

Publicités et notifications.

Enfin, la décision de préemption devra faire l’objet d’une publicité. En effet, au sens de l’article L219-6 du Code de l’urbanisme, la décision du titulaire fait l’objet « d’une publication » qui doit indiquer l’estimation du bien par les services fiscaux. Celle-ci sera notamment notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à l’acquéreur potentiel mentionné dans la DIA.

La loi climat et résilience institue également un droit de délaissement qui permettra au propriétaire situé en zone de préemption de solliciter le titulaire du droit et de lui proposer l’achat de son bien, avec indication du prix demandé. Ce dernier bénéficiera alors d’un délai de 2 mois à compter de la proposition du vendeur. Faute d’accord amiable, le prix sera fixé par le juge de l’expropriation au regard de l’évolution du risque d’érosion sur le bien [4].

En cas de refus d’acquérir l’immeuble, deux situations peuvent être dégagés :
- Le bénéficiaire renonce à la vente avant la fixation du prix par le juge : le propriétaire bénéficiera d’un délai de 3 ans pour céder son bien au prix de la déclaration ;
- Le bénéficiaire renonce à préempter après la fixation du prix par le juge : ce dernier se verra interdit d’exercer son droit de préemption auprès du même propriétaire pendant un délai de 5 ans à compter de la décision du juge, si le propriétaire réalise dans ce délai, la vente de son bien au prix fixé judiciairement.

L’objectif affiché de renaturation.

La loi climat et résilience vise également la finalité d’une telle opération foncière.

En effet, l’article L219-11 du Code de l’urbanisme prévoit que la personne publique, devenue propriétaire du bien menacé, devra en assurer la gestion « au regard de l’évolution prévisible du trait de côte et procède à leur renaturation ». L’article prévoit également que la personne publique puisse confier cette gestion à une personne publique ou privée y ayant vocation.

Toutefois, de tels objectifs n’ont pas pour objet de stopper toute activité économique sur ces zones. En effet, l’article L219-11 du Code de l’urbanisme prévoit que de manière transitoire, et avant la renaturation, une convention ou un bail peut être contracté en vue d’occuper, d’exploiter, d’aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages ou bâtiments en tenant compte toutefois de l’évolution prévisible du trait de côte.

Notons enfin que le texte ne prévoit pas, contrairement au droit de préemption urbain, un droit de rétrocession, qui aurait permis à l’ancien propriétaire du bien préempté, de faire constater le non-respect de la destination prévue par l’article susvisé.

Hugo Vangrevelynghe-Rivet,
Doctorant en Droit Public - LARJ (Laboratoire de Recherche Juridique - EA 3603) Université du Littoral Côte d’Opale.
Cabinet d’avocats Thomé-Heitzmann à Rennes.

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Notes de l'article:

[1L219-6 et suivants du Code de l’urbanisme.

[2L219-6 alinéa 1 du Code de l’urbanisme.

[3L561-1 Code de l’environnement.

[4L219-7 du Code de l’urbanisme.

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