Soins psychiatriques sans consentement : conformité constitutionnelle des dispositions sur l'isolement et la contention. Par Manon Delobel, Etudiante.

Soins psychiatriques sans consentement : conformité constitutionnelle des dispositions sur l’isolement et la contention.

Par Manon Delobel, Etudiante.

1761 lectures 1re Parution: 4.87  /5

Explorer : # soins psychiatriques # isolement et contention # droits des patients # contrôle judiciaire

Le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC rendue fin mars, a déclaré conformes à la Constitution les deux premières phrases du paragraphe I de l’article L3222-5-1 du Code de la santé publique en leur rédaction actuelle, résultant de la loi du 22 janvier 2022 et relatives à l’isolement et à la contention des patients en soins psychiatriques sans consentement [1].
Retour sur cette décision attendue en droit de la santé qui semble être, en tout cas en l’état actuel des choses, le dénouement de l’insatisfaction constitutionnelle qui frappe cet article depuis son introduction dans le CSP.

-

L’article 3222-5-1 du Code de la santé publique a fait couler beaucoup d’encre depuis sa création en 2016. Il prévoit, s’agissant des patients en hospitalisation complète sans consentement, et en dernier recours, la possibilité pour les soignants d’user de l’isolement et de la contention sur le patient dans la prévention d’un dommage immédiat ou imminent causé par lui, sur sa personne ou sur celle d’autrui. Cette mesure fait nécessairement suite à la décision motivée d’un psychiatre après évaluation du patient.

Prévoyant les tempéraments d’un degré très élevé à la liberté d’aller et venir que sont les pratiques de l’isolement et de la contention, l’article avait déjà été retoqué plusieurs fois par le juge constitutionnel, à intervalles rapprochés.

I/ Sur l’historique des interventions du juge constitutionnel avant la QPC de mars 2023 dans le contrôle de la conformité à l’article 66 de la Constitution.

A) Acte I, 2020 : non-conformité totale du fait de l’absence pure et simple de recours devant le juge judiciaire.

Dans sa version initiale issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, le 1er alinéa de l’article L3222-5-1 était rédigé comme suit :

« L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée [...] »

En novembre 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation considérait, par un arrêt important, que cette rédaction de l’article L3222-5-1 n’admettait pas de contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) sur la mesure d’isolement ou de contention prononcée par le psychiatre [2].
En juin 2020, le Conseil constitutionnel fait suite à cette prise de position et prononce une non-conformité constitutionnelle totale de l’article L3222-5-1, vu l’article 66 de la Constitution (fondement du droit à la sûreté et du contrôle du juge judiciaire des atteintes aux libertés individuelles), en ce que celui-ci ne pose pas de limite de temps à la mesure prononcée par le psychiatre, ni les modalités permettant un contrôle du juge -pas de possibilité, donc, de contrôle du juge judiciaire alors même qu’il s’agit d’une lourde atteinte à une liberté individuelle - ; il invite donc le législateur à modifier le CSP en ce sens, l’abrogation de l’article prenant effet à l’issue de l’année civile en cours [3].

B) Acte II, 2021 : non-conformité totale du fait de l’absence d’un contrôle systématique du juge judiciaire.

Dans sa version modifiée issue de la loi n°2020-1576 du 14 décembre 2020, le paragraphe I de l’article L3222-5-1 était rédigé comme suit :

« I.-L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d’un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient [...] »

Le paragraphe II du même article ajoutait également que :

« A titre exceptionnel, le médecin peut renouveler, au delà des durées totales prévues aux deux premiers alinéas du présent II, la mesure d’isolement ou de contention, dans le respect des autres conditions prévues aux mêmes deux premiers alinéas. Le médecin informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la mesure, ainsi que les personnes mentionnées à l’article L. 3211-12 dès lors qu’elles sont identifiées [...] »

Le législateur a ainsi reprécisé la teneur de la décision prise par le psychiatre, et surtout, a introduit une possibilité expresse de saisine du JLD, d’office ou par une des personnes listées à l’article L3211-12 (et notamment le patient).

Cette lecture peut sembler satisfaisante au vu des exigences formulées dans la QPC de 2020, mais que nenni ! Le Conseil constitutionnel s’est prononcé de nouveau à l’occasion d’une QPC portant sur l’article modifié, qui l’a, encore une fois, laissé insatisfait : dans cette décision, il juge, une deuxième fois, l’article L3222-5-1 totalement inconforme à la Constitution, en ce que le législateur, qui a certes introduit la possibilité d’une saisine par le patient (entre autres) et une saisine d’office, n’a pas prévu un contrôle systématique du JLD sur la décision de maintien du patient en isolement ou en contention au-delà d’une certaine durée [4]. Le législateur était donc de nouveau tenu d’y remédier avant l’abrogation de l’article à la fin de l’année civile en cours.

II/ Sur l’acte III, en 2023 : conformité de l’article L3222-5-1 à l’article 16 de la DDHC.

La loi n°2022-46 du 24 janvier 2022 est venue modifier le paragraphe II de l’article L3222-5-1, en y insérant notamment : «  Le directeur de l’établissement saisit le juge des libertés et de la détention avant l’expiration de la soixante-douzième heure d’isolement ou de la quarante-huitième heure de contention, si l’état de santé du patient rend nécessaire le renouvellement de la mesure au-delà de ces durées  ».

La saisine du JLD est donc désormais systématique s’agissant de la prolongation d’une mesure d’isolement ou de contention supérieure à une certaine durée.

Pour autant, la Cour de cassation a renvoyé, fin janvier 2023, deux QPC au Conseil constitutionnel s’agissant de l’article L3222-5-1 [5].
Ne portant plus sur la saisine du JLD à l’occasion de la prolongation d’une telle mesure, ces QPC touchent au paragraphe I de l’article (inchangé depuis 2020), s’agissant de l’information du patient de son droit au recours au juge, et de l’absence de l’intervention systématique d’un avocat dans le contrôle de ces mesures. C’est conformément à l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et non plus à l’article 66 de la Constitution, que le Conseil a examiné cette QPC rendue le 31 mars dernier [6].

A) L’examen de la méconnaisse invoquée du recours juridictionnel effectif.

Dans l’examen de cette prétention, le juge constitutionnel relève notamment que la demande de mainlevée de la mesure par les personnes listées à L3211-12 ; l’information systématique du JLD en cas de prolongation selon le nouvel article L3222-5-1 ; et l’action en responsabilité du patient, sont des garanties suffisantes du droit au recours juridictionnel effectif. Les prétentions concernant l’absence d’information du patient de son droit au recours effectif sont donc rejetées.

B) L’examen de la méconnaissance invoquée des droits de la défense.

Dans l’examen de cette prétention, le Conseil indique que la mesure d’isolement ou de contention telle que prévue par L3222-5-1 n’est "pas une sanction ayant le caractère d’une punition".
Dès lors, l’absence d’information du patient placé en isolement ou en contention de sa faculté à se faire assister par un avocat ne saurait être contestée, en tout cas dans l’examen de cet article. D’un autre côté, s’agissant de sa représentation devant le JLD lorsqu’il demande la mainlevée de cette mesure, le Conseil précise qu’il n’est saisi que s’agissant de l’examen de l’article L3222-5-1 ; il n’a donc pas à examiner l’article L3211-12-2 qui prévoit les modalités de représentation du patient dans le cas d’une demande de mainlevée de la mesure. Les prétentions touchant aux droits de la défense sont donc également rejetées.

Il convient dès lors de se demander ce qu’il aurait advenu de l’examen par le Conseil de l’article L3211-12-2, dans le cas où il avait été incorporé à la saisine. Il est raisonnable d’envisager que l’absence d’information du patient de sa faculté à se faire représenter, dans cette situation, aurait pu constituer une inconformité à l’article 16. D’un autre côté, on peut également se questionner, la QPC de 2023 ne portant pas sur l’examen de la conformité à l’article 66, ce qui aurait été retenu dans un tel cas. Le Conseil constitutionnel aurait-il pu déclarer non-conforme une troisième fois, parce qu’insuffisantes, les dispositions relatives à l’intervention du JLD dans la prolongation de la mesure, s’agissant désormais d’une information systématique ? Rien ne permet de le présager.

Quoi qu’il en soit, s’agissant de l’examen ici opéré, le Conseil ne retoque pas l’article L3222-5-1 ; reste donc à voir si la QPC du 31 mars 2023 est l’épilogue du déchainement constitutionnel de ces dernières années sur cette disposition...

Manon Delobel, étudiante en Master 1 Droit de la santé à l’Université Paris-Saclay

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

23 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Décision n° 2023-1040/1041 QPC « M. Sami G. et autre ».

[2Cass, Civ. 1re, 7 novembre 2019, Bull. - 19-18.262

[3Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020, M. Eric G.

[4Décision n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021, M. Pablo. A et autres

[5Cass, Civ. 1re, 26 janv. 2023, 22-40.019 / 22-40.021.

[6Décision n° 2023-1040/1041 QPC du 31 mars 2023, M. Sami G. et autre

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27854 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs