Isolement et contention des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques : "vol au dessus d’un nid de coucou." Par François Jacquot, Avocat.

François Jacquot
Avocat à Paris

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Explorer : # isolement et contention # droits des patients # santé mentale # abus et mauvais traitements

Isolement et contention pratiquées sur des malades mentaux hospitalisés sans consentement sont désormais encadrées par le code de la santé publique, mais les dérives demeurent encore courantes.

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Ceux qui ont jamais vu le célèbre film de Milos Forman auquel il est fait allusion dans l’intitulé, se rappelleront que le traitement des malades mentaux peut donner lieu à de sérieuses dérives.

La contention consiste à restreindre ou à maîtriser les mouvements d’un patient par un dispositif, soit fixé sur un lit ou un siège, soit mobile, comme une camisole de force.

L’isolement est réalisé lorsque tout patient est enfermé dans une chambre dont la porte est verrouillée et qu’il est ainsi séparé de l’équipe de soins et des autres patients. [1]

Dans son rapport de 2006 intitulé « Santé mentale : relever les défis, trouver des solutions », la Conférence ministérielle européenne de l’OMS invitait les états à « décourager l’isolement et la contention » des malades mentaux en adoptant une législation énonçant « les circonstances exceptionnelles où ces méthodes peuvent être employées », ceci afin « de protéger les patients contre les mauvais traitements ».

L’OMS indiquait que « la contention et l’isolement ne peuvent être autorisés que s’il n’existe aucun autre moyen de prévenir tout préjudice immédiat ou imminent au patient ou à autrui. En outre, la période d’application de ces méthodes devrait être la plus courte possible ». [2]

Pour sa part, il y a longtemps que le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CTP), un organisme institué en application de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, alertait sur les abus en cette matière. [3]

Le CTP stigmatisait ainsi des situations où « des patients psychiatriques (étaient) soumis à la contention physique pendant des jours », considérant « qu’un tel état de choses ne peut avoir aucune justification thérapeutique et, à son avis, s’apparente à un mauvais traitement ». [4]

S’agissant de l’isolement, il indiquait : « Tant que l’on continuera à avoir recours à l’isolement, celui-ci devra faire l’objet d’une politique détaillée explicitant notamment : les types de cas dans lesquels il peut y être fait recours ; les objectifs visés ; sa durée et la nécessité de révisions fréquentes ; l’existence de contacts humains appropriés ; l’obligation d’une attention renforcée du personnel. L’isolement ne doit jamais être utilisé à titre de sanction ».

Selon lui, il était nécessaire de consigner dans un registre « chaque recours à la contrainte physique » de manière détaillée « l’heure de début et de fin de la mesure, les circonstances d’espèce, les raisons ayant motivé le recours à la mesure, le nom du médecin l’ayant ordonnée ou approuvée et, le cas échéant, un compte-rendu des blessures subies par des patients ou des membres du personnel ». [5]

En 1991, l’ONU avait déjà adopté une résolution indiquant que :
« La contrainte physique ou l’isolement d’office du patient ne doivent être utilisés que conformément aux méthodes officiellement approuvées du service de santé mentale, et uniquement si ce sont les seuls moyens de prévenir un dommage immédiat ou imminent au patient ou à autrui. Le recours à ces mesures ne doit durer que le temps strictement nécessaire à cet effet ». [6]

Vingt sept années se sont écoulées avant que la France n’adopte la loi du 26 janvier 2016 (article 72) qui a institué l’article L.3222-5-1 du Code de la Santé Publique (CSP). Cet article dispose que : « L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin.

Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1. Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

L’établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l’évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l’article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l’article L. 6143-1 ».

Lorsque l’on songe au fait qu’un malade mental interné contre son gré est, de toute évidence, une personne en état de faiblesse soumise à des conditions qui portent atteinte à sa dignité, à son intégrité morale et physique et à sa liberté fondamentale d’aller et venir, on comprend mieux à quel point ces personnes sont les grands abandonnés de l’État de droit.

Car, si l’on attire régulièrement (à juste titre) l’attention sur les conditions carcérales ignobles dans lesquelles sont parfois placées les personnes qui croupissent dans les prisons françaises, les malades mentaux, eux, font l’objet de beaucoup moins de considération, ce qui les rend encore plus vulnérables aux abus et mauvais traitements.

Or, ces personnes sont pourtant privées de leur liberté d’aller et venir et, pour certaines, confinées à l’isolement, avec ou sans contention physique, sans avoir jamais bénéficié d’une procédure contradictoire respectant les droits de la défense et sans jugement définitif rendu par un tribunal impartial et indépendant.

Pour ce qui concerne l’isolement, il s’agit donc de personnes qui ne sont ni plus ni moins « qu’emprisonnées » sur la seule décision d’un médecin psychiatre.

Placer entre les mains de l’autorité médicale un pouvoir aussi exorbitant est pourtant dérogatoire aux principes de l’État de droit, au premier rang desquels figurent ce qu’en 1679, les anglais ont désigné comme l’Habeas corpus, c’est-à-dire la liberté fondamentale de ne pas être emprisonné sans jugement, contrairement à l’arbitraire qui régnait dans le système monarchique et permettait d’arrêter n’importe qui sans raison valable.

En France, l’article 7 de Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen énonce, quant à lui, que « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ».

Ce principe essentiel est pourtant mis à mal par la faiblesse de la protection qu’accorde la législation française aux malades mentaux.

Certes, la loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, avait institué un article L.326-3 du même code qui édictait que :
« Lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement en application des dispositions du chapitre III du présent titre, les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en œuvre de son traitement. En toutes circonstances, la dignité de la personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée ». [7]

Mais, ces principes, pourtant essentiels pour le respect des droits fondamentaux des malades mentaux, sont restés lettre morte, faute de dispositifs bien encadrés et de contrôle judiciaire effectif.

Des progrès ont néanmoins été réalisés et ils ont commencé à se manifester en raison des rapports du CPT puis, lorsque le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a été institué [8] et qu’il a commencé à s’intéresser de très près aux hôpitaux psychiatriques ainsi qu’à tous les établissements traitant les malades mentaux.

En mars 2015, après sa prise de fonction [9], Mme Adeline Hazan, la nouvelle contrôleure des lieux de privation de liberté (CGLPL), a déclaré qu’elle entendait mettre l’accent sur les hôpitaux psychiatriques et que « le respect des droits des personnes atteintes de troubles mentaux » était désormais pour elle « un axe prioritaire » [10].

Le résultat ne s’est pas fait attendre puisqu’en 2016, le CGLPL a publié un rapport intitulé : « Isolement et contention dans les établissements de santé mentale ».

Au moment où il a été élaboré, « les mesures de contrainte physique (placées en chambre d’isolement ou sous contention) » constituaient encore des «  procédures exclues de tout contrôle judiciaire  ».

Autrement dit, avant la loi du 26 janvier 2016, des citoyens français pouvaient être « emprisonnés » au sein des cellules d’isolement d’un hôpital psychiatrique, parfois sous contention, sans encadrement de ces mesures coercitives et sans la moindre intervention du juge.

C’est peu dire que ces personnes étaient placées dans une situation indigne d’un Etat de droit comme la France.

Et, pour en être convaincu, il suffit de se reporter au rapport précité du CGLPL :
« Les visites du CGLPL dans les établissements de santé mentale lui ont fait découvrir une utilisation de l’isole¬ment et de la contention d’une ampleur telle qu’elle semble être devenue indispensable aux professionnels.

Ces contraintes physiques constituent, à tout le moins, une atteinte maximale à la liberté de circulation. La manière dont elles sont mises en œuvre est souvent humiliante, indigne, parfois dangereuse ».

Comme nous le soulignons dans cet article, les malades mentaux sont des personnes en état de faiblesse, point de vue qui est partagé par le CGLPL :
«  Cette atteinte est d’autant moins tolérable que les personnes qui les subissent sont dans un état de fragilité et de dépendance qui ne leur permet pas de s’en défendre  ».

Il est également pertinent de relever, comme le fait le rapport du CGLPL, que les patients sont quelque peu abandonnés et privés d’assistance effective dès lors que « les familles, entre accablement et désespérance, à la fois soulagées d’être déchargées de la prise en charge de leur proche par l’institution médicale et affligées d’avoir à y recourir, ne cherchent que rarement à lui demander des comptes sur les traitements qu’elle met en œuvre. Elles l’oseront encore moins si c’est en réponse à un comportement « honteusement » agité ou violent de leur parent que l’on y recourt ».

L’isolement et la contention sont, en principe, des mesures destinées aux seules personnes hospitalisées sans consentement [11], lesquelles sont présumées avoir perdu leurs facultés.

Ainsi, ces personnes faibles, qui se trouvent très souvent dans un état de confusion qui ne lui permet pas de s’exprimer de manière cohérente, sont entièrement placées sous le contrôle d’un simple médecin.

Pourtant, la nature thérapeutique de ces mesures de contrainte fait débat. On peut en effet légitimement s’interroger sur le bénéfice que peut tirer un patient d’une mesure comme la contention, en particulier dans un cadre comme l’isolement.

La HAS avait elle-même constaté que ces « traitements » ne figuraient dans aucun traité de psychiatrie et qu’ils n’étaient pas abordés dans les Instituts de Formation des soins infirmiers ou ceux des cadres de santé. Elle a écrit dans son rapport de 1998 :
« Ce constat de carence soulève la question de savoir si le processus d’isolement est un acte thérapeutique en soi ou s’il faut le considérer comme un « simple » moyen pour la mise en œuvre de soins qui ne pourraient être réalisés sans lui », tout en soulignant que ces mesures n’avaient fait l’objet d’aucune «  évaluation de l’efficacité par comparaison avec d’autres modalités thérapeutiques  ». [12]

Le CGLPL partage tellement ce point de vue qu’il a consacré un chapitre entier de son rapport de 2016 à ce qu’il a désigné comme « des pratiques gravement attentatoires aux droits fondamentaux dont l’efficacité thérapeutique n’est pas prouvée ».

En d’autres termes, l’efficacité thérapeutique de l’isolement et de la contention est particulièrement douteuse et ces pratiques s’apparentent plus à des mesures de sureté, qu’à des soins.

Aussi est-il heureux que depuis ce rapport, le législateur ait adopté l’article L.3222-5-1 du CSP, qui, d’ailleurs, avait été précédé d’une note de cadrage de juillet 2015 émanant de la Haute autorité de santé (HAS) sur « la place de la contention et de la chambre d’isolement en psychiatrie ». [13]

Depuis l’article L.3222-5-1 du Code de santé publique «  l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours […] prises pour une durée limitée  ».

La tenue d’un registre est obligatoire et des mesures de surveillance sont supposées avoir lieu.

Par ailleurs, le contrôle judiciaire a posteriori est désormais assuré de manière plus étroite du fait des conditions strictes enfin posées par la loi.

Les tribunaux de l’ordre administratif ou de l’ordre judiciaire se prononcent, selon leur compétence respective, étant précisé, qu’avant 2016, le juge administratif exerçait un contrôle de proportionnalité dans le cadre du contentieux de la responsabilité de l’État.

A cet égard, il est étonnant que les juridictions administratives aient pu admettre l’usage de la contention en régime d’hospitalisation libre, alors même que de telles mesures n’avaient pas de base légale au regard du code de la santé publique.

Plus surprenante encore est la légèreté avec laquelle certaines juridictions administratives ont parfois refusé l’engagement de la responsabilité de l’Etat, alors qu’un patient placé en isolement sans contention s’était suicidé dans la chambre d’isolement en se laissant choir au sol. Pourtant, dans ce cas de figure, la victime était un « multi-récidiviste de la tentative de suicide » de sorte que, comme le soutenait le requérant, « le placement en chambre d’isolement est inadapté et ce d’autant que celle-ci n’était pas sécurisée ».

Dans cette affaire, tout à fait paradoxalement, la Cour administrative d’appel a justifié l’absence de contention par un considérant exemplaire à tous points de vue, à l’exception du fait qu’elle s’en est servi pour justifier le décès du patient : « qu’en tout état de cause, la contention physique des malades qui consiste à les maintenir alités membres supérieurs et inférieurs attachés par des sangles n’est utilisée, du fait de l’atteinte à la dignité du patient, qu’en dernier recours après que le personnel soignant ait d’abord usé des pouvoirs de la parole, de la pharmacopée à doses suffisantes et des chambres d’isolement ». [14]

La jurisprudence administrative postérieure à la loi de 2016 n’est pas plus rassurante à propos du danger qu’encourent les patients soumis à ce genre de contraintes.

Ainsi, le cas d’un malade hospitalisé à la demande d’un tiers et immédiatement placé en isolement du 18 avril 2016 jusqu’au 24 avril 2016, soit durant près d’une semaine complète, « suite à un état d’agitation sévère », qui a dû être transféré au service des urgences du centre hospitalier régional universitaire puis au service de néphrologie de ce même établissement « afin de bénéficier de soins adaptés en raison d’une insuffisance rénale aiguë … et d’une paralysie du membre supérieur gauche avec dénervation totale consécutives à l’immobilisation par contention ».

La Cour administrative a justifié la contention pratiquée sur ce patient du 18 au 22 avril 2016, en considérant que, « compte tenu de l’agitation et de l’agressivité de M. C...lors de son admission au sein de l’EPSM, la mesure de placement à l’isolement et la mesure de contention étaient nécessaires et constituaient la seule solution pour protéger le patient et les soignants ». [15]

Le 22 avril, la contention a été levée mais le patient est demeuré en isolement jusqu’au 24 avril, date à laquelle un médecin s’est avisé qu’il présentait « une insuffisance rénale aiguë, a diagnostiqué une parésie du membre supérieur gauche et a demandé son transfert au centre hospitalier régional universitaire ».

La Cour administrative a tout de même condamné l’État en raison de la longueur de la mesure de contention qui était « supérieure à la durée des mesures de contention qui dans la majorité des cas sont brèves et ne dépassaient pas à l’époque deux à trois jours », ce d’autant plus que, d’une part, « aucun document n’est produit permettant d’établir que M. C...a fait l’objet d’un examen par un médecin lors du dernier renouvellement de la mesure de contention le 21 avril » et, d’autre part, « alors que la mesure de contention s’est achevée le 22 avril, il ne résulte d’aucun des documents produits, qu’un examen médical ait été pratiqué à l’issue de cette mesure de contention et ce n’est que lors d’un examen médical pratiqué le 24 avril que l’un des médecins de l’EPSM de l’agglomération lilloise a diagnostiqué la paralysie du bras gauche de M. C... ».

Autrement dit, bien que « pendant cette période, l’intéressé a fait preuve d’une forte opposition, s’agitant, hurlant, refusant de se nourrir ou de boire correctement et tirant la plupart du temps sur ses liens avec acharnement » et qu’il « présentait le 24 avril d’importantes excoriations au poignet et à la cheville au niveau des points d’attache », le patient est resté plusieurs jours sans aucun examen médical, la mesure coercitive se prolongeant sans contrôle, ce qui a conduit à des graves conséquences pour sa santé.

On trouve, dans cette affaire, une illustration parfaite des dérives qui peuvent surgir en raison de l’utilisation abusive de mesures coercitives qui, par leur nature même, sont dangereuses, et provoquent, de toute évidence, une forte résistance des patients.

Qui, resterait d’ailleurs de marbre, malade mental ou non, en étant ligoté dans une cellule ?

Cela interroge sur le prétendu caractère thérapeutique de ces pratiques et fait écho aux constatations du rapport du CGLPL qui relève qu’ « aucune étude scientifique menée n’affirme l’efficacité thérapeutique de la contention ou de l’isolement » et qu’«  aucune instance scientifique ne recommande à proprement parler la mise en place de ces mesures de contrainte  ». [16]

Bien que la HAS continue à considérer que ces privations de libertés « s’inscrivent dans le cadre d’une démarche thérapeutique », qu’« elles ne doivent être utilisées qu’en dernier recours après échec des mesures alternatives de prise en charge » et, enfin, que « l’isolement et la contention mécanique doivent être levés, sur décision médicale, dès que leur maintien n’est plus cliniquement justifié [17] », il s’avère, en réalité, qu’elles ne sont que des mesures de sûreté, voire des pratiques de confort pour le personnel de soins, lorsqu’il ne s’agit pas de punition pure et simple.

En adoptant l’article L.3222-5-1 du CSP, le législateur le confirme puisqu’elles sont bien destinées à « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui ».

C’est donc en toute logique que les juridictions administratives justifient le bienfondé de ces mesures par la dangerosité supposée du patient ; elles « constituaient la seule solution pour protéger le patient et les soignants ».

Dans d’autres termes, l’isolement et la contention sont avant tout des pratiques coercitives qui portent gravement atteinte à la dignité du patient et qui le placent dans une situation très dangereuse, sans pour autant, être préalablement contrôlées par un magistrat.

Cette absence de contrôle a priori est assez troublante lorsque l’on considère que toute privation de liberté doit, en principe, faire l’objet d’un contrôle immédiat de l’autorité judiciaire, selon les termes même de la Convention européenne des droits de l’Homme : « toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » (art. 5 CEDH)

On ne s’étonnera donc pas que le Cercle de réflexion et de proposition d’action sur la psychiatrie ait demandé l’annulation de l’instruction N° DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie «  en tant qu’elle ne prévoit pas de procédure contradictoire préalable à l’édiction des décisions de recourir à l’isolement ou à la contention d’une personne faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement, permettant notamment à la personne concernée ou à son avocat de présenter des observations, non plus qu’aucun contrôle juridictionnel spécifique ».

Ce recours, rejeté par le Conseil d’État en raison du caractère non règlementaire de l’instruction visée, n’en pose pas moins la question cruciale du contrôle a priori des mesures d’isolement ou de contention. [18]

Certes, depuis la loi de 2011, le contrôle des hospitalisations sans consentement est obligatoire par le JLD et le délai de son intervention a été réduit à 12 jours depuis la loi de 2016. Mais, ce contrôle aboutit très rarement à la remise en cause de l’hospitalisation sans consentement.

Selon les statistiques du Ministère de la Santé, depuis la mise en vigueur de la loi du 5 juillet 2011, 9% du total des décisions rendues par le Juge des libertés et de la détention prononcent la mainlevée de la l’hospitalisation sans consentement [19]

S’agissant plus particulièrement de l’isolement et de la contention, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2016, un frémissement en faveur de la liberté et de la protection des malades mentaux est perceptible dans la jurisprudence judiciaire.

Mais les décisions qui ordonnent la mainlevée de l’isolement ou de la contention soient rares.
Il est toutefois possible de citer le cas d’une patiente admise en soins psychiatriques le 24 décembre 2017 sous forme d’hospitalisation complète à la demande d’un tiers et, ceci, en urgence en vertu des dispositions de l’article L.3212-3 du code de la santé publique. Elle avait fait « l’objet d’une mesure de contention à compter du 14 avril 2018 à 3 heures 40 jusqu’au 15 avril à 15 heures 40, soit pendant un peu plus de 36 heures et qu’à la suite, à compter du 15 avril 15 heures 40, elle a fait l’objet d’une mesure d’isolement jusqu’au 17 avril à 11 heures 18  ».

Ces mesures ont été considérées comme abusives par la Cour d’appel de Versailles aux motifs suivants :
« En l’espèce, il ressort des éléments du dossier qu’il est uniquement justifié que la décision de contention puis celle d’isolement a été prise par le médecin psychiatre qui avait établi le certificat médical initial. S’il est indiqué le nom des professionnels de santé qui sont intervenus auprès de Madame Rachel G., il n’est pas justifié que la situation de cette dernière et la nécessité du maintien de ces mesures ont été régulièrement réévaluées par un psychiatre, tant pour la contention que pour l’isolement alors même que la Haute autorité de la santé recommande des évaluations très régulières et notamment, en cas de prolongation, que la décision et la fiche de prescription soient renouvelées toutes les 24 heures en concertation avec l’équipe soignante, la Haute autorité recommandant qu’à l’initiation de la mesure, l’indication soit limitée à 12 heures pour l’isolement et à 6 heures maximum pour la contention mécanique. Il n’est communiqué aucune des fiches de prescription en principe transmises par l’établissement de soins.

Il n’est donc pas établi que les prescriptions de l’article L 3222-5-1 précité ont été respectées à l’égard de Madame Rachel G. et il en résulte nécessairement une atteinte à ses droits qui justifie la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète » [20]

Conclusion

Ainsi que l’indique non seulement toutes les autorités compétentes (HAS, CPT, CGLPL, ONU) mais aussi la jurisprudence, « les mesures d’isolement et de contention sont par leur nature même gravement attentatoires à la liberté fondamentale d’aller et venir dont le juge judiciaire est le garant par application de l’article 66 de la Constitution » [21]

Pourtant, faute d’études scientifiques, leur justification thérapeutique est douteuse.

Pratiques s’apparentant plus à des mesures de sureté qu’à des soins, elles ne font l’objet d’aucun contrôle a priori.

Le régime institué par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé, est certes un grand progrès en ce qu’il tend à prévenir, réduire et contrôler des pratiques de mise en isolement, mesures de dernier recours, qui doivent rester exceptionnelles et être strictement encadrées dans le temps.

Il n’en demeure pas moins, compte tenu de la gravité et de la dangerosité de ces pratiques coercitives, qu’il paraît nécessaire d’envisager des thérapeutiques et traitements plus conformes à la dignité humaine et, dans l’intervalle, d’instituer un contrôle a priori, même de nature non judiciaire.

François Jacquot
Avocat à Paris

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Notes de l'article:

[1ANAES, « Audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie. Évaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé », juin 1998.

[2« Santé mentale : relever les défis, trouver des solutions », Rapport de la Conférence ministérielle européenne de l’OMS, 2006, p.111.

[3Voir les paragraphes 47 à 50 du 8e rapport général (CPT/Inf (98) 12) et les paragraphes 36 à 54 du 16e rapport général (CPT/Inf (2006) 35).

[48e rapport général (CPT/Inf (98), p.48.

[58e rapport général (CPT/Inf (98), p..49-50.

[6Résolution 46/119 de L’ONU en 1991 principe 11.

[7Ces principes figurent aujourd’hui dans l’article L3211-3 du CSP.

[8Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est une autorité administrative indépendante créée par la loi du 30 octobre 2007 à la suite de l’adoption par la France du protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le CGLPL a concrètement débuté son activité le 13 juin 2008.

[9Mme Adeline Hazan a été nommée le 17 juillet 2014 pour un mandat de six ans non renouvelable.

[10Le monde du 19 mars 2015 : « Le respect des droits des malades mentaux, désormais une « priorité ».

[11L’hospitalisation sans consentement qui est le seul cadre juridique où l’isolement et la contention sont autorisés par les L.3222-5 et suivants du code de la santé publique, implique que la personne est présumée avoir perdu sa lucidité. Ce point est rappelé par la circulaire du 29 mars 2017 du Ministère des affaires sociales et de la santé, relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention en psychiatrie ».

[12ANAES : "Evaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé. L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie", rapport de juin 1998, p.12-13.

[13Il y avait eu d’autres recommandations de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) : « L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie » en juin 1998 ; "L’agitation en urgence", conférence de consensus, ANAES, décembre 2002. « Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité », conférence de consensus, ANAES et FHF, 24 et 25 novembre 2004.

[14CAA de Marseille, N° 05MA01245, 25 janvier 2007.

[15CAA de DOUAI, N° 16DA01134,10 avril 2018.

[16Rapport CGLPL « Isolement et contention dans les établissements de santé mentale », p.7 et p.9.

[17Recommandations de la Haute Autorité de Santé sur l’Isolement et la contention en psychiatrie générale » de février 2017.

[18CE, 12 juillet 2018, N° 412639.

[19Source : RGC/SDSE DACS-PEJC.

[20CA Versailles, 27 avril 2018, N°18/02901.

[21CA Versailles, 27 avril 2018, N° 18/02901.

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