La séduction au travail : harcèlement sexuel ou moral ?

Par Arthur Tourtet, Avocat.

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Explorer : # harcèlement moral # harcèlement sexuel # séduction au travail # relations professionnelles

On pourrait penser qu’une tentative de séduction au travail qui a mal tourné est un harcèlement sexuel.

Pourtant, certains dragueurs évitent toute connotation sexuelle ou toute pression dans leur comportement. Mieux vaut être séducteur que harceleur. Le premier suscite de la sympathie. Le second s’expose à des sanctions.

Mais même en étant un séducteur gentil et courtois, des avances trop insistantes peuvent constituer un harcèlement moral.

-

Un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux nous offre une bonne illustration de la difficulté à choisir entre plusieurs harcèlements pour des faits identiques [1].

Toute commence par la rencontre entre un salarié et sa supérieure hiérarchique au sein d’un centre financier. Cet homme avait tapé dans l’œil de sa collègue.

Peut-être un peu trop…

Malheureusement, ce coup de foudre n’était pas réciproque. L’histoire d’amour espérée par notre séductrice a viré au cauchemar pour le salarié objet de cette passion.

Le salarié devait se rendre tous les jours dans le bureau de son admiratrice et subir des heures de discussions sans lien avec le travail.

Quand il refusait de se rendre au bureau de cette femme, cette dernière venait le voir directement à son poste. Elle pouvait l’observer pendant des heures en train de travailler. Elle n’était pas avare de compliments sur son apparence. Un témoin a même aperçu quelques caresses aux épaules.

Le salarié déclinait systématiquement les invitations au restaurant ou au cinéma. Sa cadre de service devait rester une collègue, rien de plus. Il était hors de question de lui donner un numéro de téléphone.

Par désespoir, le salarié s’était inventé une fiancée pour stopper des avances de plus en plus invasives. Sa supérieure n’a pas compris le message qui était caché derrière ce mensonge : elle lui a demandé s’il n’était pas gay…

Le salarié vivait mal cette situation qui n’en finissait plus malgré plusieurs alertes adressées à la direction.

Le salarié s’estimait à la fois victime d’un harcèlement sexuel et d’un harcèlement moral.

La question que la Cour d’appel de Bordeaux devait trancher était de déterminer le type de harcèlement subi par la victime.

Les faits font penser instinctivement à un harcèlement sexuel.

L’article L1153-1 du Code du travail définit le harcèlement sexuel comme étant :
- Soit des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent pour le salarié une situation intimidante, hostile ou offensante ;
- Soit toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

Incontestablement, le comportement de cette supérieure ne laissait aucun doute sur ses intentions. On ne se donne pas autant de mal à faire la cour à quelqu’un juste pour le plaisir de papoter autour d’un café.

Mais la Cour a estimé qu’il n’était pas possible de relever la répétition d’un comportement ou de propos à connotation sexuelle.

Malgré la présence d’une volonté d’entretenir une relation au-delà de la sphère professionnelle, le harcèlement sexuel n’a pas été retenu.

Si un témoin avait attesté de caresses sur les épaules de la victime, la décision de la Cour ne nous dit rien sur le détail et la fréquence de ces gestes. Dans le doute, toucher de temps en temps autrui sur l’épaule semble plus amical que sexuel.

Il semblerait aussi que la salariée se soit contentée de faire de simples compliments sur les vêtements du salarié. La décision aurait été probablement différente si les propos de la salariée avaient visé l’anatomie de la victime avec un vocabulaire vulgaire et grivois.

Il est vrai que cette salariée avait questionné à une seule reprise son collègue sur son orientation sexuelle. Mais ce fait unique ne peut être qualifié de harcèlement sexuel à la lecture de l’article L1153-1 du Code du travail.

Pour résumer, la Cour d’appel nous enseigne que la drague en entreprise, même insistante, n’est pas automatiquement un harcèlement sexuel.

Après tout, où est le mal à vouloir se rapprocher d’une ou d’un collègue ? Tant que cela ne perturbe pas la personne ou le travail, il n’est pas sain de qualifier la moindre avance de harcèlement sexuel.

Je suis sûr que ceux qui me lisent ont plus d’un ancêtre dans leur arbre généalogique qui est le fruit d’une rencontre au travail.

Par contre, si la ligne jaune du respect est franchie, le jeu de séduction peut facilement dégénérer en un harcèlement moral.

Aux termes de l’article L1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il n’est pas nécessaire de caractériser une intention de nuire. On peut être harceleur par maladresse.

Dans les faits tranchés par la Cour, cette supérieure hiérarchique ne semblait pas voir le mal qu’elle causait. L’amour l’a rendu aveugle.

Il n’en reste pas moins qu’elle a causé des torts à son subordonné et qui étaient les suivants :
- Le salarié était mal à l’aise à force de se faire draguer malgré ses nombreux refus.
- Le salarié était isolé par ses autres collègues, ces derniers pensant à tort que la victime faisait l’objet d’un favoritisme.
- Le salarié s’est encore épié en permanence. Tout le monde n’aime pas être regardé pour son anatomie en permanence.
- Le salarié perdait sans cesse du temps à subir les discussions de sa harceleuse. Il devait redoubler d’efforts pour rattraper les heures perdues. Un travail à marche forcée peut s’avérer épuisant à la longue .

Toutes ces souffrances accumulées ont fini par altérer la santé du salarié, lequel a fait l’objet de multiples arrêts de travail.

La Cour n’a pas eu d’autre choix que de reconnaître l’existence d’un harcèlement moral.

Cette décision ne dit pas ce qu’il est advenu de cette cadre qui a simplement été éloignée de la victime.

Il est important de préciser qu’un harceleur risque la perte de son emploi, l’engagement de sa responsabilité civile ainsi qu’une sanction pénale.

Si la drague au travail n’est pas toujours un harcèlement sexuel, elle peut se transformer en harcèlement moral lorsque l’on ne sait pas s’arrêter.

Si l’élu(e) de votre cœur vous dit non, mieux vaut ne pas insister.

Arthur Tourtet
Avocat au Barreau du Val d\’Oise

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Notes de l'article:

[1CA Bordeaux, 21 décembre 2017, n° 16/01680

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