A. MOYENS DE SANCTION
1. Sanctions du harceleur
a. Sanction disciplinaire
Le contrat de travail prévoit que tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire (articles L. 1152-5 et L. 1153-6).
La faute grave est encourue de ce chef par le salarié harceleur.
Dans pareils cas de figure, l’employeur se trouve alors confronté à la question suivante : à partir de quand peut-il et même doit-il engager des poursuites disciplinaires à l’égard du salarié harceleur ?
A partir du moment où il y a dénonciation de la part du salarié harcelé ou uniquement lorsque le harcèlement est avéré et reconnu ?
En effet, s’il agit de manière trop hâtive et que le harcèlement n’est finalement pas établi, le licenciement du salarié prétendument harceleur encourra la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Et, inversement, s’il agit de manière trop tardive mais en ayant l’assurance que le harcèlement sera alors établi, le licenciement du salarié harceleur encourra là encore le risque de la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse mais, cette fois-ci, du fait de la prescription des faits reprochés.
En effet, il ne faut pas perdre de vue qu’en vertu de l’article L. 1332-4 du Code du Travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance.
La Cour de Cassation est venue préciser que le délai de deux mois court à compter du jour où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié(Cassation Sociale,17 février 1993, n°88-45.539).
Par un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de Cassation est venue mettre un terme à l’incertitude à laquelle pouvaient se trouver confrontés les employeurs face à une situation de harcèlement dénoncé mais non établi : une simple dénonciation par la victime à l’employeur fait courir le délai de prescription pour sanctionner le harceleur (Cassation Sociale, 29 juin 2011, n°09-70.902).
Dans cette espèce, le salarié harceleur avait été licencié pour faute grave le 12 janvier 2006 après qu’un jugement du Conseil de Prud’hommes de Marseille du 7 décembre 2005 ait reconnu des faits de harcèlement moral et sexuel de sa part à l’égard d’une salariée.
L’arrêt relève que l’employeur avait eu connaissance de l’existence éventuelle des faits de harcèlement de moral et sexuel dès sa convocation le 18 juin 2004 devant le bureau de conciliation et qu’il s’était borné à en dénier la réalité dans le cadre de l’instance prud’homale, en omettant d’effectuer les enquêtes et investigations qui lui auraient permis d’avoir, sans attendre l’issue de la procédure prud’homale l’opposant à la victime, la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés et de prendre les mesures appropriées.
En présence de cette abstention fautive de l’employeur et en l’absence de faits fautifs nouveaux, la Cour de Cassation en conclut donc que la Cour d’Appel a exactement décidé que la procédure de licenciement avait été engagée tardivement.
Dès lors, l’employeur face à une dénonciation de harcèlement moral ou sexuel a-t-il tout intérêt à engager immédiatement une enquête interne et, si le harcèlement est confirmé, d’engager les poursuites disciplinaires dans le délai requis, sauf bien entendu dans l’hypothèse où le salarié victime dépose plainte.
En effet, rappelons qu’à condition d’avoir été engagées avant l’expiration du délai de prescription de deux mois, les poursuites pénales interrompent ce délai jusqu’à la décision définitive de la juridiction répressive si l’employeur est parti à la procédure pénale et, dans le cas contraire, jusqu’au jour où il est informé de l’issue définitive de cette dernière (Cassation Sociale, 15 juin 2010, n°08-45.243).
b. Sanction pénale
Le harcèlement moral et le harcèlement sexuel sont des délits dont la peine principale est d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
Ils se prescrivent donc par trois ans.
c. Responsabilité personnelle du salarié harceleur
Tout salarié qui se rend coupable de harcèlement moral, que ce soit à son initiative ou sur les ordres de son employeur, engage sa responsabilité personnelle et peut être condamné à indemniser sa victime sur ses deniers propres.
Notons que cette responsabilité personnelle du salarié n’est pas exclusive de celle de l’employeur.
2. Sanctions de l’employeur
La sanction peut être pécuniaire : l’employeur pourra être condamné, s’il est personnellement l’auteur du harcèlement, ou si celui-ci est le fait de le fait de l’un de ses salariés (l’article 1384 du Code Civil prévoit en effet que l’on est responsable non seulement des dommages que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l’on a sous garde ; il en va notamment des maîtres et des commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés) ;
Au-delà de la réparation pécuniaire, l’employeur pourra être sanctionné par la rupture à ses torts de la relation contractuelle.
Il s’agit là des hypothèses où le salarié prend l’initiative de rompre son contrat de travail en invoquant un harcèlement et donc un manquement de son employeur à l’obligation de sécurité de résultat à laquelle il est tenu.
En effet, en cas de manquement à cette obligation, la victime est fondée à demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail (Cassation Sociale, 21 février 2007, n°05-41.741) ou à prendre acte de sa rupture (Cassation Sociale, 3 février 2010, n°08-44.019).
Par ailleurs, sont jugés nuls les licenciements prononcés pour inaptitude physique lorsqu’il est
établi que cette inaptitude était consécutive à des actes de harcèlement (Cassation Sociale,
10 novembre 2009, n°07-45.321 ; n°08-41.497).
B. Les immunités prévues par le Code du Travail
Deux immunités sont prévues par le Code du Travail :
la première, à l’égard du salarié qui a subi ou refusé de subir des faits de harcèlement (article L. 1152-2 et L. 1153-2) ;
la seconde, à l’égard du salarié qui a témoigné de tels agissements ou qui les a relatés (article L. 1152-2 et L. 1153-2).
« Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. » Article L 1152-2 du code du travail
« Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel. » Article L 1152-3 du code du travail
En effet, toute mesure de répression à leur égard serait nulle de plein droit (article L. 1152-3 et L. 1153-4).
« Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul. » Article L 1152-3 du code du travail
« Toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-3 est nul. » Article L 1153-4 du code du travail
Au regard de ces deux immunités prévues par le Code du Travail, l’on peut légitimement se poser la question d’éventuels abus et, en définitive, de dénonciations calomnieuses.
En d’autres termes, est-ce que immunité est synonyme d’impunité : ainsi, un salarié dénonçant des faits de harcèlement qui ne seraient pas ensuite établis peut-il encourir des sanctions en dépit de cette immunité ?
La Cour de Cassation répond que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (Cassation Sociale, 29 septembre 2010, n°09-42.057).
Concrètement, cela signifie donc qu’il appartiendra à l’employeur de démontrer que le salarié connaissait clairement la fausseté de son propos lorsqu’il l’a énoncé.
A ainsi été retenue la mauvaise foi de la Salariée dans une espèce où cette dernière avait été licenciée après avoir dénoncé le comportement dictatorial de son supérieur hiérarchique et déposé une main-courante au Commissariat de Police ; la Cour d’Appel ayant pour ce faire notamment souligné :
Qu’aucun fait tangible n’est établi permettant de présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral au sens de l’article L1152-1 à 3 du Code du Travail, telle que dénoncée par la Salariée en la forme d’une main-courante.
Que la lettre recommandée de rappel à l’ordre envoyée par l’Employeur ne contient rien d’anormal en demandant à la Salariée d’appliquer les directives définies dans le cadre de la réunion hebdomadaire de travail et d’exécuter les tâches confiées.
Que la Salariée a pourtant persisté dans sa mise en cause de son supérieur, notamment par une lettre recommandée envoyée à l’Employeur.
Qu’au surplus, le contenu des mails échangés avec son supérieur ne révèle pas la moindre anomalie et n’a aucun caractère désobligeant ni humiliant.
La Cour d’Appel de Paris en a donc conclu que ces faits inexistants constituent des accusations mensongères, voire calomnieuses de harcèlement moral revêtant une particulière gravité, manifestant une désinvolture de leur auteur dans le but de nuire au supérieur hiérarchique et que le licenciement est conséquemment justifié par une faute grave ayant rendu impossible la poursuite des relations de travail, y compris pendant la durée du préavis.
Cour d’Appel de Paris Pôle 6, Chambre 7, 25 mars 2010 n°S08/08326
Il résulte dont de ce qui précède que si la mauvaise foi du Salarié ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis, elle peut cependant être retenue lorsque notamment le Salarié n’établit aucun fait tangible permettant de présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral.
N.B. : Pour en savoir plus, sur les harcèlements moral et sexuel, vous pouvez consulter les articles du même auteur : "Définir et caractériser les harcèlements sexuel et moral" et "Les harcèlements moral et sexuel - Preuve et prévention.".