Responsabilité du syndic et assurance dommage-ouvrage.

Par Charles Dulac, Avocat.

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Explorer : # responsabilité du syndic # assurance dommage-ouvrage # construction immobilière # copropriété

La mission du syndic provisoire, chargé de la réception de lots d’une copropriété neuve, diffère de celle usuelle pour un syndicat déjà ancien. Au titre de cette spécificité, la déclaration de dommage-ouvrage est souvent épineuse et source de responsabilité civile professionnelle.

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A l’aune de la multiplication des formes d’exercice de l’activité de syndic, de l’agence de quartier traditionnelle à la gestion plus industrielle, du syndic bénévole à la simple plateforme juridique, une particularité peut être évoquée : le syndic « constructeur ».

Rien de nouveau ici, le développement des promotions immobilières et des ventes dites en VEFA (Vente en l’Etat Futur d’Achèvement) a conduit le législateur à s’intéresser au statut de ce syndic provisoire et à ses missions. La singularité de ce dernier tient à sa position hybride, à mi-chemin entre le maître d’ouvrage et le gestionnaire d’immeuble. Une dichotomie qui l’oblige à jongler, parfois dangereusement, entre la technicité du droit de la construction et la spécificité du droit de la copropriété.

Du point de vue de sa nomination et de son mandat, la législation est claire. Lorsqu’une promotion neuve voit le jour et revêt le statut des immeubles bâtis soumis au régime de la copropriété, elle ne peut être dépourvue de syndic [1]. Pour pallier à cette difficulté, le syndic est désigné par le promoteur lui-même, soit au sein du Règlement de copropriété originel, soit par une lettre adressée aux acquéreurs, futurs copropriétaires. En tout état de cause, le mandat de ce syndic est de douze mois maximum, à charge pour lui de convoquer dans ce délai une assemblée générale pour obtenir sa réélection ou la désignation d’un autre syndic [2].

La mission de syndic « constructeur » est particulièrement spécifique. Outre son obligation classique de gestion financière, d’administrateur et de conservateur de l’immeuble [3], il doit faire face à une nouvelle construction. De ce fait, il doit opérer lui-même à la livraison des parties communes pour effectuer la levée des réserves et s’assurer de l’existence de vices de construction. Aussi, le syndic « constructeur » se substitue au promoteur dans sa qualité de maître d’ouvrage.

Or, cette dualité s’est justement posée récemment quant à l’actionnement de l’assurance dommage-ouvrage. A la suite de longues péripéties judiciaires, la Cour de cassation a récemment estimé qu’il appartenait au syndic provisoire de déclarer les sinistres auprès de l’assureur dommage-ouvrage, et ce, dès la réception du premier lot. Le transfert du bâti du promoteur au syndicat des copropriétaires se caractérisant dès cet instant, l’assurance bénéficie dès lors à la Copropriété, seule à même de la mettre en œuvre [4].

En conséquence, la responsabilité du syndic « constructeur » est particulièrement accrue en la matière. Pour l’apprécier, il faut évidemment comprendre le mécanisme de la dommage-ouvrage (I), puis le rôle du syndic « constructeur » dans sa mise en œuvre (II).

I. Le mécanisme de l’assurance dommage-ouvrage.

Rien de bien nouveau sous le soleil. Le mécanisme de l’assurance dommage-ouvrage, communément appelée « la D.O », est très ancien et date de la Loi Spinetta du 4 janvier 1978. Il s’agit d’un instrument de préfinancement dont l’objectif et de prendre en charge le coût des travaux de réparation des dommages relevant principalement de la garantie décennale. L’avantage de la dommage-ouvrage réside dans son actionnement de plein droit, c’est-à-dire sans recherche de responsabilité, à charge pour l’assureur D.O d’exercer des recours subrogatoires à l’encontre des entrepreneurs responsables.

L’assurance dommage-ouvrage est désormais codifiée à l’article L242-1 du Code des assurances qui dispose en son alinéa 1 :

« Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l’ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du Code civil ».

Que faut-il en déduire ?

  • L’assurance dommage-ouvrage est obligatoire : pour tous les travaux de gros œuvres, de structure, de surélévation, d’affouillement, d’agrandissement, de voirie ou encore de viabilité du bâtiment (etc). Elle doit être souscrite avant l’ouverture du chantier par le constructeur, soit le maître d’ouvrage, qu’il s’agisse d’un particulier qui fait édifier une maison individuelle ou d’un promoteur pour un projet de plus grande importance.

Pour rappel, le défaut de souscription à la dommage-ouvrage constitue un délit susceptible de six mois d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende [5].

  • L’assurance dommage-ouvrage couvre les sinistres assujettis à la responsabilité décennale : soit ceux résultant de l’article 1792 du Code civil. Il doit s’agir d’une malfaçon qui :
    • compromet la solidité de l’ouvrage ;
      Ou
    • rend l’ouvrage impropre à sa destination.

A noter que l’assurance dommage-ouvrage est également applicable pour les désordres relevant de la garantie de parfait achèvement - GPA [6] si, après mise en demeure aux entrepreneurs concernés :

  • aucun travaux n’a été réalisé ;
    Ou
  • les travaux réalisés ont été insuffisants.

Enfin, de manière facultative, le contrat de souscription à l’assurance dommage-ouvrage peut prévoir que cette dernière s’active dans le cadre de la garantie biennale de bon fonctionnement - GBF : « Les autres éléments d’équipement de l’ouvrage font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception » [7].

  • L’assurance décennale dure dix années + 2 ans : elle court à compter de l’année après la réception des travaux, à l’issue de la garantie de parfait achèvement (sauf exceptions précitées), et ce, durant toute la période couverte par la garantie décennale de l’article 1792 du Code civil.

Il faut également ajouter deux années supplémentaires pour les sinistres découverts postérieurement au dix années de la décennale, le Code des assurances octroyant une prescription biennale aux assurés pour déclarer un sinistre dès lors que ce dernier a soit pris racine, soit s’est aggravé, dans le délai de dix ans après la réception des travaux [8].

  • La déclaration de sinistre auprès de la dommage-ouvrage est conditionnée à des délais stricts : imposés par l’article L242-1 du Code des assurances :
    • 5 jours : c’est la durée contractuelle minimum qui peut être imposée à l’assuré pour déclarer son sinistre, avec les mentions obligatoires prévues à l’Annexe II de l’article A243-1 du Code des assurances ;
    • 10 jours : à compter de la réception de la déclaration de sinistre pour l’assureur pour informer l’assuré que sa déclaration est incomplète et le défaut de constitution de son dossier ;
    • 60 jours : à compter de la réception de la déclaration de sinistre pour l’assureur pour instruire le dossier et dépêcher un expert (sauf si dommages inférieurs à 1.800 euros) et notifier la mobilisation ou non de sa garantie ;
    • 90 jours : à compter de la réception de la déclaration de sinistre pour l’assureur pour proposer une indemnisation (135 jours en cas de difficultés notamment de l’expert) ;
    • 15 jours : à compter de l’acceptation par l’assuré pour l’indemniser ;
    • 2 ans : à compter de la proposition d’indemnisation pour l’assuré pour contester son montant.

II. Le rôle du syndic « constructeur » dans la mise en œuvre de l’assurance dommage-ouvrage.

Comme évoqué en infra, le syndic provisoirement désigné par le promoteur a un rôle prégnant dans le cadre de la réception de la construction neuve. Or, deux éléments doivent être soulevés quant à sa mission vis-à-vis de l’assurance dommage-ouvrage.

  • Le Syndicat des copropriétaires est le titulaire du contrat de dommage-ouvrage.

Cette vision a longtemps été discutée étant donné que l’assurance dommage-ouvrage a été souscrite par le promoteur, en son nom. Il aurait pu être considéré qu’il lui appartenait de déclarer le vice de construction. Toutefois, il est également établi que le syndicat des copropriétaires devient, non pas propriétaire, mais gardien des parties communes dès la livraison du 1er lot. C’est ce que prévoit l’article 1-1 de la Loi du 10 juillet 1965 qui dispose en son alinéa 1 : « en cas de mise en copropriété d’un immeuble bâti existant, l’ensemble du statut s’applique à compter du premier transfert de propriété d’un lot ».

La Cour de cassation a dès lors considéré qu’il découlait de ce transfert de propriété du promoteur au syndicat des copropriétaires un basculement du titulaire du contrat.

Seul le syndicat des copropriétaires pourra agir à l’encontre de l’assureur dommage-ouvrage et le promoteur ne pourra en aucun cas se prévaloir d’une subrogation dans les droits du Syndicat :

« […] l’article L242-1 du Code des assurances, l’assurance de dommages-ouvrage, qui est une assurance de choses, bénéficie au maître de l’ouvrage ou aux propriétaires successifs ou à ceux qui sont subrogés dans leurs droits […]. Il est ainsi jugé qu’après l’aliénation de l’immeuble, le syndicat des copropriétaires est le bénéficiaire de l’assurance dommages-ouvrage et que le maître de l’ouvrage condamné à réparation de désordres de nature décennale est sans recours ni garantie à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage » [9].

  • De ce fait, le syndic « constructeur » est responsable de l’action en garantie : mais également les syndics qui lui succèdent durant les dix années couvertes par la décennale. Cette responsabilité doit être pleinement considérée par le syndic tant pour la déclaration de sinistre que pour la contestation de l’indemnisation dans le délai de deux ans. La Cour de cassation n’hésite pas à engager sa responsabilité au visa de l’article 18 de la Loi du 10 juillet 1965. Encore récemment, pour un défaut de contestation de l’indemnisation dans les deux années, et donc la perte de chance d’une meilleur indemnité, la Haute juridiction a rappelé la responsabilité pleine et entière du syndic [10].

En conséquence, une attention accrue devra être portée par le syndic « constructeur », dès la réception des lots afin de prendre en considération des sinistres relevant de la garantie de parfait achèvement, dans un premier temps, puis par la suite, de la dommage-ouvrage.

Charles Dulac
Avocat au Barreau de Paris
contact chez dulac-avocat.com

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Notes de l'article:

[1Article 17 - Loi du 10 juillet 1965.

[2Article 28 - Décret du 17 mars 1967.

[3Article 18 - Loi du 10 juillet 1965.

[4Cass. Civ. 3ème, 11 janvier 2023, n°21-20.418.

[5Article L243-3 du Code des assurances.

[6Article L242-1, alinéa 8, du Code des assurances.

[7Article 1792-3 du Code civil.

[8Article L114-1 du Code des assurances.

[9Cass. Civ. 3ème, 11 janvier 2023, n°21-20.418.

[10Cass., Civ. 3ème, 9 septembre 2021, n°20-12.554.

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