« Le droit a ses serviteurs, s’abstenir si vous n’êtes pas oints ». Cet adage d’auteur anonyme traduit la pensée selon laquelle le droit, quelle qu’en soit la spécialité, est une matière très technique qui requiert un certain recul, et surtout, une certaine habileté pour en déchiffrer la substance.
S’agissant du droit constitutionnel, mieux de la Constitution, il convient de noter qu’elle a pour mission principale de définir l’organisation des pouvoirs publics et de protéger les droits et libertés fondamentaux des citoyens. Située au sommet de la hiérarchie des normes suivant la pyramide kelsenienne, la Constitution trace les lignes maîtresses et fonde l’ordre juridique.
De ce fait et en accord avec l’affirmation susmentionnée, la Constitution, comme tout texte de droit, subit les effets de l’évolution du temps et des circonstances dans une société donnée. À ce titre, elle est donc appelée à évoluer pour s’y adapter et se mettre à jour, si besoin est. Ceci dans la mesure où une vérité jadis absolue, peut ne plus l’être aujourd’hui voire demain. C’est à ce titre que chaque Constitution prévoit en son sein ses propres mécanismes de révision, lesquels peuvent évoluer en fonction de la nature même de la Constitution, avec parfois des procédures de révisions constitutionnelles contraignantes, pour contourner les éventuelles modifications arbitraires ou taillées sur mesure.
Cependant, à côté de cet impératif juridique dû à l’évolution du temps, la Constitution comme loi fondamentale d’une nation, n’échappe pas aux défis et enjeux politiques.
Dans certaines situations, l’on se retrouve parfois face à un dilemme entre le besoin d’adapter le texte constitutionnel aux enjeux contemporains, et l’opportunité de la démarche à un instant précis.
Ainsi, une révision constitutionnelle quoique juridiquement fondée (I), peut conduire à se questionner sur la nécessité voire l’urgence de sa réalisation à une époque donnée. Sur ce deuxième point, la Constitution de la RDC nous servira de cas d’école, en analysant les enjeux sur le terrain et en y associant une voie de sortie (II).
I. Fondements juridiques d’une révision constitutionnelle.
La révision constitutionnelle définit la procédure juridique particulière par laquelle la Constitution voit une ou plusieurs de ses dispositions revisitées. En effet, elle entraîne l’intervention du pouvoir constituant dérivé qui déclenche une procédure juridique spécifique, avec pour objectif de permettre à la loi fondamentale de s’adapter aux contextes socio-politiques et de perdurer dans le temps.
Les procédés d’une révision constitutionnelle diffèrent selon qu’il s’agit d’une Constitution souple (A) ou rigide (B).
A. Souplesse d’une constitution.
Une Constitution est dite « souple » lorsqu’elle est susceptible d’être révisée par les mêmes organes et selon les mêmes procédures servant à l’adoption des lois ordinaires. En effet, l’intérêt de cette procédure est de pouvoir adapter la Constitution aux circonstances actuelles, sans un quelconque formalisme excessif ou strictement encadré, et sans un blocage politique.
Cependant, cette procédure présente le risque d’aboutir à une instabilité du texte constitutionnel dans la mesure où celui-ci serait susceptible d’être modifié au gré des circonstances et des rapports de force, alors même qu’il a pour fonction de mettre en place un cadre institutionnel permettant de surmonter les crises. En l’espèce, la Constitution perdrait ainsi de sa portée symbolique, voire de sa suprématie par rapport aux autres textes juridiques.
À l’opposé d’une Constitution souple se trouve l’autre forme de Constitution dite rigide (B).
B. Rigidité d’une constitution.
Une Constitution est dite « rigide » lorsqu’elle ne peut être révisée que par un organe distinct et/ou selon une procédure différente de celles servant à l’adoption des lois ordinaires. Le référendum en est l’une des parfaites illustrations, puisqu’il fait intervenir directement le peuple, reconnu comme détenteur de la souveraineté nationale dans plusieurs Constitutions, le cas notamment de l’article 5 de la Constitution congolaise du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour.
Dans ce cas de figure, la Constitution est alors préservée des modifications trop fréquentes et conserve ainsi un statut spécifique et sa primauté par rapport aux autres règles de droit, correspondant à son rang de « pacte fondamental » de la Nation. En revanche, la contrainte de telles procédures peut engendrer des blocages difficilement surmontables.
Somme toute, qu’elle soit souple ou rigide, nous pensons pas qu’il n’existe au monde de bonne ou mauvaise Constitution. En effet, l’efficacité d’une Constitution ne dépend pas seulement de son contenu, mais assez souvent de l’usage qui en est fait. En d’autres termes, la qualité d’une Constitution est généralement tributaire de la qualité de son application par ses usagers.
C’est ce que nous tâcherons de voir avec l’analyse de la Constitution congolaise, que nous prenons à titre illustratif pour le besoin de l’exercice (II).
II. Révision constitutionnelle en RDC : enjeux et préconisation.
En République Démocratique du Congo, la problématique de la révision de la Constitution actuellement en vigueur se heurte aux enjeux politiques (A). Face à ce dilemme, il conviendra de proposer une voie de sortie susceptible de dissiper tout malentendu dans le chef des sceptiques qui s’y opposent (B).
A. L’impératif juridique face aux enjeux politiques.
L’application partielle d’une Constitution est une violation de celle-ci. En effet, la Constitution est un corps, un tout, qui nécessite d’être appliquée avec la même rigueur du premier au dernier article, c’est-à-dire intégralement.
Partant de ce postulat, il n’est pas possible de renier aux autorités attitrées l’initiative d’une révision constitutionnelle. À titre de rappel, il convient de faire remarquer que depuis sa promulgation par le président de la République Joseph Kabila Kabange le 18 février 2006, la Constitution de la RDC a connu une seule révision, rendue possible par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains de ses articles.
En effet, l’exposé de motif de cette loi soutenait alors en son temps que « certaines dispositions se sont révélées handicapantes et inadaptées aux réalités politiques et socio-économiques de la République Démocratique du Congo, et que des dysfonctionnements imprévus par le constituant originaire sont apparus dans la vie des institutions de la République tant au niveau national que provincial ».
Ceci dit, conformément à l’article 218 de la Constitution telle que révisée et complétée à ce jour, l’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment :
Au président de la République ;
Au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres ;
A chacune des Chambres du Parlement à l’initiative de la moitié de ses membres ;
A une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100.000 personnes, s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux Chambres.
Cette énumération exhaustive reprend de manière explicite les initiateurs attitrés de la procédure de révision constitutionnelle en RDC.
Hormis l’énumération des catégories de personnes attitrées, cet article 218 de la Constitution soumet chacune de ces initiatives à l’approbation soit de chacune des deux Chambres du Parlement, à savoir l’Assemblée Nationale et le Sénat, qui statuent respectivement à la majorité absolue, de l’opportunité du projet, de la proposition ou de la pétition de révision, soit directement par le peuple par voie de référendum, celui-ci convoqué par le président de la République. Il convient de rappeler que ces deux formes d’expression découlent de deux mécanismes reconnus en droit constitutionnel, à savoir la démocratie représentative pour la première hypothèse, et la démocratie participative pour la seconde hypothèse.
Cependant, le dernier alinéa de cet article 218 permet d’outrepasser la consultation populaire par voie référendaire, au profit de l’approbation du Parlement réuni en Congrès, à la majorité des 3/5ᵉ, des membres les composant. Par conséquent, au regard de ce qui précède, il ne fait désormais l’ombre d’aucun doute que du point de vue du droit, le fait pour le président de la République d’envisager l’hypothèse d’une potentielle révision constitutionnelle en RDC ne devrait poser aucune gêne, à condition qu’elle soit faite dans le strict respect des contours tels qu’érigés par la Constitution.
Néanmoins, sur le plan politique, plusieurs enjeux semblent jaillir au point de faire naître une forme de réticence dans le chef d’une frange de la population, surtout au sein de la classe politique. Ainsi, il se dégage alors deux tendances, d’une part les adeptes de la révision constitutionnelle qui, étrangement, sont pour la plupart les partisans du pouvoir en place. D’autre part, nous retrouvons les antagonistes à cette démarche qui, sans surprise, sont issus pour la plupart des structures proches de l’opposition politique, sans oublier certaines voix qui s’élèvent au sein de la société civile.
En effet, le principal enjeu au centre des vifs débats alimentés actuellement en RDC autour de cette question sur la révision constitutionnelle, demeure la crainte d’un potentiel « glissement ». Ce vocable fréquemment employé par l’opinion publique pour faire référence au risque d’un potentiel troisième mandat de l’actuel président de la République. Pour les antagonistes, soulever cette question de révision constitutionnelle en tout début du deuxième et dernier mandat du président de la République en fonction, serait inopportune et représenterait en quelque sorte une sorte de « red flag », ou encore un signal d’alerte sur l’intention de celui-ci de se pérenniser au pouvoir au-delà des deux mandats tels que constitutionnellement garantis.
Cette réticence des antagonistes semble avoir été raffermie par l’allocution du président de la République Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, prononcée à Kisangani dans la province de la Tshopo (Nord-Est de la RDC), en date du 23 octobre 2024, annonçant la mise en place au premier trimestre de l’an 2025 d’un Comité scientifique qui aura pour mission principale de réfléchir sur les réformes constitutionnelles à apporter car, dit-il, « l’actuelle Constitution n’est pas bonne, elle a d’ailleurs été rédigée par des étrangers, dans un pays étranger ».
Face à ces deux tendances diamétralement opposées, il convient de préconiser une voie de sortie pour concilier les points de vue des uns et des autres (B) car la Constitution est un héritage commun, elle met en lumière l’identité nationale d’un État.
B. Les préconisations.
Pour dissiper tout malentendu entre les fervents défenseurs de la révision constitutionnelle et les antagonistes, comme préconisation, nous proposons que cette révision constitutionnelle ait effectivement lieu pour le besoin de réforme constitutionnelle, dans l’optique de mettre à jour les dispositions désuètes, mais que la teneur des dispositions modifiées n’entre en vigueur et ne produise leurs effets qu’au lendemain de la passation de pouvoir entre l’actuel président de la République, en cours de son deuxième et dernier mandat constitutionnel, et l’entrant, au terme des élections de décembre 2028.
En clair, nous proposons que les modifications qui découleront de la révision constitutionnelle envisagée, voire du changement même de la Constitution (si impératif il y aura), soient postposées jusqu’en janvier 2029, lors de la passation de pouvoir entre l’actuel Président et le nouveau, et que dans l’entre-temps, l’actuelle Constitution demeure en vigueur jusqu’en décembre 2028, c’est-à-dire au soir de la tenue des élections.
Ceci pour deux raisons majeures :
1. L’actuel président de la République a prêté serment, le 20/01/2024, sur le fondement de la Constitution actuellement en vigueur et cet acte solennel ne peut en aucun cas rétroagir.
2. Les réformes constitutionnelles qui seront initiées intégreront toutes les forces vives de la RDC et serviront d’héritage pour la prochaine législature de 2029-2034 et celles à venir.
Ainsi, une application différée des nouvelles dispositions révisées rendrait inclusive la procédure de révision de la Constitution et résoudrait définitivement la problématique
d’exclusion d’une frange de la population à ce processus d’une importance capitale.
Car, rappelons-le, la Constitution est une loi mère d’une nation, une loi fondamentale.
Elle est donc, à ce titre, une affaire de tous.