Délit de « provocation à l’identification » de policiers ou gendarmes : censure du Conseil Constitutionnel.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste.

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Explorer : # liberté d'expression # sécurité globale # droit constitutionnel # identification policière

Par une décision n°2021-817 DC rendue le 20 mai 2021, le Conseil Constitutionnel censure l’article 52 de la loi dite Sécurité Globale.

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1) Le contexte.

La proposition de loi relative à la sécurité globale dite aujourd’hui « proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés », déposée par les députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue à l’Assemblée Nationale le 20 octobre dernier, a fait polémique quant à son article, qui prévoyait notamment la prohibition de l’usage de l’image des policiers nationaux et militaires de la gendarmerie en intervention, car il a été considéré comme contraire aux libertés fondamentales d’expression et de presse par une grande partie de la population et notamment par celle qui subit les bavures policières et dont les vidéos des policiers sont leur seule défense.

L’affaire de Michel Z., producteur de musique victime d’une arrestation arbitraire en novembre 2020, suite à un violent échange avec des policiers tenant des propos expressément racistes, illustre parfaitement l’absurdité liberticide de cette proposition de loi.

L’article 24 de la proposition de loi sécurité globale était rédigé ainsi :

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ».

Ce dernier a fait l’objet d’un amendement le 20 novembre 2020 suite aux nombreux rassemblements : « sans préjudice du droit d’informer […] dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

Un autre amendement dans la même finalité a été apporté le 1er mars 2021, pour ensuite être adopté définitivement le 7 avril 2021 par l’Assemblée Nationale dans les termes suivants :

« La provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police, d’un agent des douanes lorsqu’il est en opération ».

2) Le recours devant le Conseil Constitutionnel.

C’est dans ce contexte que plus d’une soixantaine de députés ainsi que le Premier Ministre ont saisi le Conseil Constitutionnel, sur le fondement de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution de 1958, c’est-à-dire dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité a priori, afin de savoir si l’article 52 de la loi Sécurité Globale instaurant un délit de « provocation à l’identification » des forces de l’ordre puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, est conforme à la Constitution ou non.

Le moyen avancé par les requérants repose avant tout sur la méconnaissance dans cet article, du principe de légalité des délits et des peines.

En effet, ils soutiennent que la rédaction de l’article est trop vague et peut ainsi être sujette à de multiples interprétations contradictoires qui mettent en péril l’unité de la justice.

Ce sont notamment les termes « but manifeste » et « intégrité psychique » qui posent problème pour les requérants.

Le premier est estimé flou quant à ses éléments matériels et intentionnels. Le second est considéré comme étant insuffisamment déterminé.

De même, les requérants font également valoir dans un second moyen, que l’article 52 de la loi Sécurité Globale porterait atteinte à la liberté d’expression et notamment celle des journalistes et manifestants.

Enfin, les requérants estiment que le délit de « provocation à l’identification » contreviendrait au principe d’égalité devant la justice, et plus précisément de proportionnalité des peines au regard de l’excessive peine d’emprisonnement prévue, et de la porte ouverte à l’arbitraire des interprétations hasardeuses.

3) L’article 52 (ex-24) de la Loi Sécurité Globale est contraire à la Constitution.

Le Conseil Constitutionnel considère que cet article est contraire à la Constitution sur le fondement de l’article 34 de la Constitution selon lequel « la loi fixe les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » et de l’article 8 de la Déclaration de 1789 qui oblige le législateur à définir les crimes et délits de manière suffisamment claire et précise pour exclure tout arbitraire et garantir une justice égale pour tous.

Le Conseil Constitutionnel reproche ainsi au législateur le manque de précision quant à la portée de l’identification des agents des forces de police, alors même que cette identification constitue l’élément constitutif de l’infraction prévue.

De plus, les juges de la Cour suprême soulignent tout particulièrement le flou qui caractérise cet article et qui le rend ainsi particulièrement dangereux à l’égard de l’Etat de droit : en effet, le moment de l’identification est insuffisamment déterminé pour que le délit soit objectivement et justement caractérisé, car une hésitation subsiste entre le moment où l’infraction est commise lorsque l’agent est en opération, ou bien lorsqu’il a seulement participé à une opération déjà passée.

Et enfin, le Conseil Constitutionnel juge l’article 52 comme étant inconstitutionnel en raison de l’indétermination de l’expression « but manifeste » qui n’est caractérisée à la seule provocation à l’identification, elle aussi indéterminée.

Par conséquent, le Conseil Constitutionnel considère que l’article 52 de la Loi Sécurité Globale est contraire à la Constitution, en ce qu’il méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines par son manque flagrant de clarté.

L’article ainsi censuré ne peut pas être promulgué, c’est-à-dire qu’il est alors neutralisé pour ne jamais entrer en vigueur ni produire aucun effet pratique.

Toutefois, cette censure pour détermination insuffisante du délit pourrait désormais inviter le gouvernement et les députés à réfléchir à une autre formulation plus claire, afin que la disposition dans son intention, soit finalement adoptée.

A cet effet, il est fortement probable que l’article 52 réapparaisse dans son contenu, dans le futur article 19 de la loi sur le séparatisme portée par Gérald Darmanin (cf Canard Enchaîné du 26 mai 2021 p. 2).

4) Portée de la décision.

Cette décision du Conseil Constitutionnel a été particulièrement saluée par les opposants à l’adoption de la Loi Sécurité Globale, étant perçue comme un souffle d’espoir qui garantit et protège les droits et libertés fondamentaux contre la menace de la peur, de l’insécurité et de la haine, quoique, en dernière instance.

De plus, cette décision fait primer les libertés fondamentales et publiques d’expression, de presse et d’opinion ainsi que le principe de sécurité juridique avant toute exigence de sécurité qui invite à l’arbitraire.

En fin de compte, le Conseil Constitutionnel, dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité et en son rôle de gardien des libertés, n’a fait que rappeler la prédominance de celles-ci sur toute autre disposition législative, et contre celles qui sont particulièrement liberticides.

De même, cette décision se distingue en ce qu’elle illustre le rôle de contrepouvoir dont le Conseil Constitutionnel est chargé,non seulement en ce qui concerne la censure de l’article 52 de la Loi Sécurité Globale, mais aussi la censure des articles relatifs à l’utilisation de drones par les forces de police lors des manifestations (article 47), l’usage des caméras embarquées (article 48) et sur l’autorisation à la police municipale et aux gardes champêtres d’exercer certaines attributions normalement confiées à la police judiciaire (article 1er).

Sources.

- Décision n°2021-817 DC du 20 mai 2021.

- Proposition de loi n°3452 enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 20 octobre 2020.

- Amendement n°1363 déposé le vendredi 20 novembre 2020 par l’Assemblée Nationale.

- Amendement n°150 du 1er mars 2021 par le Sénat.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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