Introduction.
Depuis son adoption par référendum en 2005, la constitution de la RDC s’est érigée en fondement non seulement juridique mais également politique de l’Etat, permettant une sortie progressive des décennies des conflits. Ce texte dont l’avant-projet a été établi par le Sénat et approuvé par referendum populaire, ensuite promulgué par le président de la République le 18 février 2006, fixe les principes fondamentaux de la démocratie notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs et la décentralisation.
Cependant, depuis le début du deuxième quinquennat du président Felix-Antoine Tshisekedi, il considère qu’une révision de cette constitution est nécessaire pour répondre aux réalités politiques et économiques et aux aspirations de développement du pays d’autant plus que certaines de ses dispositions freinent la mise en œuvre de projets de réforme et de développement nécessaires pour répondre aux besoins de la population et pour moderniser l’appareil étatique. Par ailleurs, il considère que celle-ci aurait été rédigée « à l’étranger et par les étrangers », d’où l’intention à réviser la loi fondamentale du pays n’est plus à soupçonner.
En ce sens, la perspective d’une révision constitutionnelle est de rigueur au cœur des discussions politiques. Les partisans de cette démarche considèrent que des ajustements sont indispensables pour adopter le cadre constitutionnel aux réalités sociopolitiques actuelles et pour faciliter la réalisation des objectifs du gouvernement. En effet, plusieurs dispositions de cette constitution sont visées telles que l’article 217 qui se rapporte bien à la possibilité pour le pays de conclure des traités ou accords internationaux comportant un abandon partiel de la souveraineté pour favoriser l’unité africaine.
La question de la révision suscite donc des débats intenses opposant les partisans de la réforme qui y voient un levier pour moderniser les institutions et ceux qui craignent que cette initiative ne compromette les principes de l’Etat de droit et de la démocratie.
La problématique devient alors : dans quelle mesure la RDC peut-elle adapter sa constitution pour répondre aux besoins de gouvernance sans compromettre la stabilité intentionnelle et les principes démocratiques qu’elle est censée protéger ?
Dans le cadre de cette réflexion, il convient d’examiner dans un premier temps les objectifs et le fondement de la constitution du 18 février 2006, en plaçant un regard cursif sur le contexte historique et les motivations qui ont conduit à son élaboration(I). Par la suite, il sera important de parler des enjeux que présentent la révision constitutionnelle (II).
I. La constitution du 18 février 2006 : contexte historique, objectifs, acquis et limites.
La Constitution de 2006, comme par ailleurs ses devancières, a été promulguée dans un contexte particulier caractérisé par des crises politiques récurrentes. Elle s’était assignée pour objectif, celui de mettre fin à la crise de légitimité et donner à la RDC toutes les chances de se reconstruire. En effet, conçue dans le cadre des accords de paix et des négociations post-conflits, son objectif ultime est d’instaurer un Etat de droit, garantir la démocratie et assurer la stabilité institutionnelle du pays et de construire des bases solides pour un avenir pacifique.
Néanmoins, au fil des années, de défis nouveaux sont apparus, remettant en cause l’adéquation de ce texte aux réalités contemporaines et suscitant des débats sur l’opportunité d’une révision.
A. Contexte historique et objectifs.
1. Contexte historique.
Depuis son accession à l’indépendance, le 30 juin 1960, la République Démocratique du Congo fait face à des crises politiques récurrentes dont l’une des causes fondamentales est la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Cette contestation a pris un relief avec les guerres qui ont déchiré le pays de 1996 à 2003.
Cette période a été marquée par des conflits internes avec des interventions étrangères qui ont profondément fragilisé, non seulement le fonctionnement des institutions politiques, mais également la cohésion nationale. Cette situation fit germer une prise de conscience collective de la nécessité de reformer les instituions afin de mettre fin à cette instabilité chronique. De ce fait, en vue de mettre fin à cette crise chronique de légitimité et de donner au pays toutes les chances de se reconstruire, les déléguées de la classe politique congolaise et de la société civile, forces vives de la Nation, réunis en Dialogue inter congolais, ont convenu, dans l’Accord Global et inclusif signé à Pretoria en Afrique du Sud le 17 décembre 2002, de mettre en place un nouvel ordre politique, fondé sur une nouvelle Constitution démocratique sur base de laquelle le peuple congolais puisse choisir souverainement ses dirigeants, au terme des élections.
A l’effet de matérialiser ce dessein politique consenti par toutes parties prenantes au Dialogue Inter congolais, le Sénat, issu de l’Accord Global et Inclusif, a déposé, conformément à l’article 104 de la constitution de la transition, un avant-projet de la nouvelle Constitution (à l’Assemblée Nationale qui l’a adopté sous forme de projet de Constitution soumis au referendum populaire pour la réunification, la pacification, la reconstruction du Pays, la restauration de l’intégrité territoriale, et le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national). Cette démarche exceptionnelle à la procédure habituelle de rédaction démocratique de Constitution permit à la population de se prononcer, en amont, sur certaines options qui lui étaient proposées.
2. Objectifs.
Le constituant de 2006 s’est fixé des objectifs fondamentaux qui visent à reconstruire un Etat solide, démocratique et respectueux des droits civils et politiques de ses citoyens.
Tout d’abord, en posant un cadre institutionnel qui protège l’appareil étatique contre les dérives autoritaires et qui favorise l’unité nationale, il cherche à garantir la paix et la stabilité afin de consolider les acquis des accords de paix.
Par ailleurs, le constituant fait valoir une démocratie pluraliste, instaurant un régime de séparation des pouvoirs et garantissant des élections libres, régulières et transparentes, à travers lesquelles les citoyens participent à la vie politique du pays. Ainsi, les nouvelles institutions du pays sont le président de la République, le Parlement, le Gouvernement et les Cours et Tribunaux.
En outre, il tient à réaffirmer l’attachement de la RDC aux droits humains et aux libertés fondamentales, tels que proclamés par les instruments juridiques internationaux auxquels elle a adhéré, et ces droits et libertés ont été intégrés dans le corps même de la Constitution. Pour le Professeur Wasso, cette manière de procéder a été jugée plus satisfaisante qu’une simple référence, dans le préambule, à ces instruments internationaux.
De plus, il promeut la décentralisation en transférant certaines compétences aux entités territoriales décentralisées (ETD) afin de favoriser une meilleure gestion des ressources locales. Dans ce sens, la constitution reconnait la personnalité juridique aux ETD et, ces dernières jouissent de tous les attributs découlant de cette personnalité et par voie de conséquence, possèdent des compétences politiques propres à exercer concurremment avec le pouvoir central.
B. Les acquis et les limites de la constitution de 2006 dans le contexte actuel.
Ce texte a permis d’établir des institutions fortes, de garantir des droits et libertés fondamentaux et de favoriser l’organisation régulière des élections. En revanche, malgré tous mérites, elle montre des limites importantes. Elle se révèle inefficace face aux problèmes persistants de corruption, de mauvaise gestion et d’insécurité notamment dans la partie orientale du pays.
1. Les acquis.
Ce texte, en plus de fonder un régime démocratique et de garantir les droits et libertés fondamentaux, se distingue des précédentes constitutions par une stabilité constitutionnelle rare. En effet, depuis sa promulgation en 2006, elle n’a été révisée qu’une seule fois, en 2011 et cela, pour un nombre limité des dispositions, ce qui témoigne de sa constance et de sa capacité à rester applicable dans un contexte politique en évolution perpétuelle. En dix-huit ans d’existence, elle a donc su résister aux bouleversements, un fait louable dans un pays où les prétendantes constitutions étaient souvent modifiées ou tombées en désuétude en fonction des changements de régime.
Un autre aspect important de cette constitution est l’enracinement progressif d’un processus électoral régulier. Depuis son entrée en vigueur, quatre législatures et présidentielles ont été organisées en RDC (en 2006, 2011, 2018 et 2023). Ces évènements marquants montrent que malgré les défis et les tensions, l’engagement dans une gouvernance démocratique fondée sur le suffrage universel, s’est consolidé. Comparativement aux régimes antérieurs où étaient rares ou inexistantes les élections.
Qui plus est, parmi les acquis les plus symboliques de cette constitution, on compte la première alternance pacifique de l’histoire du pays en 2019, lorsque Joseph Kabila a transmis le pouvoir de son successeur, Felix Tshisekedi. Cette passation pacifique, inédite en RDC, incarne la réussite de l’encrage démocratique promu par le constituant de 2006. Elle illustre également comment cette constitution a su encadrer un changement de pouvoir sans violence, assurant le respect du principe de continuité des institutions.
2. Les limites.
Malgré ses avancées en matière de stabilité et de démocratie, la constitution révèle aujourd’hui des limites importantes qui freinent l’évolution du pays vers une gouvernance efficace et un développement inclusif. Bien que le constituant ait introduit des institutions censées promouvoir la transparence dans la gestion, son efficacité reste limitée face à la corruption endémique, devenue un fait banal faisant partie du quotidien du citoyen congolais.
En dépit de l’existence d’organes de contrôle tels que la Cour des Comptes et l’Inspection Générale des Finances, la corruption persiste à tous les niveaux de l’Etat et les détournements des deniers publics sont monnaie courante. Ce fléau fragilise les finances publiques et prive la population des services de base, créant ainsi la méfiance de celle-ci à l’égard des institutions publiques. La mauvaise gestion administrative est également un problème structurel qui n’a pas pu être résolu. En effet, l’administration publique est marquée par l’inefficacité, le clientélisme et le manque de formation des agents, ce qui impacte gravement les services publics en l’occurrence dans le domaine de l’éducation, de la santé et des infrastructures.
En outre, la sécurité nationale est un autre domaine dans lequel la constitution se révèle inadaptée aux défis actuels notamment à l’est du pays où des conflits armés sévissent depuis des décennies. La persistance de cette insécurité, malgré les dispositifs prévus par le texte constitutionnel met en exergue une carence dans les moyens de défense de l’Etat et son incapacité à garantir la paix et la sécurité pour les citoyens et le territoire national. Les violences perpétrées par les groupes armés ont des répercussions dramatiques sur les droits fondamentaux préservés par cette constitution.
II. La justification et les enjeux de la révision constitutionnelle.
La question de la révision de la constitution en vigueur en RDC suscite des débats intenses entre les partisans d’une modernisation nécessaire et défenseurs de la stabilité institutionnelle. La perspective d’une révision suscite des craintes de dérives politiques notamment l’instrumentalisation du processus pour consolider le pouvoir en place au risque de fragiliser les acquis démocratiques et susciter des contestations populaires.
A. Fondement actuel de la révision constitutionnelle.
Aussi jeune qu’elle soit, la loi fondamentale de 2006 est perçue par ses détracteurs comme inadaptée aux réalités contemporaines marquées par une forte influence étrangère, d’où ces derniers tiennent mordicus à sa révision. En effet, les partisans de cette démarche considèrent que ce texte ne répond plus aux défis contemporains du pays tels que la lutte contre la corruption, l’instauration d’une gouvernance efficace ou encore le développement socio-économique.
De plus, le discours qu’ils ont tous adopté met en exergue l’origine de la constitution qui, selon eux, aurait été rédigée sous une forte influence étrangère et dans les conditions qui ne reflètent pas pleinement les aspirations profondes du souverain primaire.
Cette critique trouve un écho particulier dans l’article 217 qui autorise la ratification des traités impliquant un abandon partiel un abandon partiel de souveraineté au profit de l’unité africaine. En effet, les détracteurs de l’actuelle constitution associent le concept « abandon partiel de souveraineté » à une hypothétique cession de certaines portions de son territoire à des Etats voisins. Pour eux, ce concept est perçu comme une faille juridique pouvant être exploitée pour légitimer une cession des terres congolaises.
En revanche, il s’avère que cette disposition n’est pas une nouveauté moins encore une exception dans le paysage constitutionnel africain. En effet, elle trouve ses racines dans les constitutions antérieures de la RDC et dans celles de nombreux autres Etats Africains. A titre d’exemple, l’article 69 de la constitution du 24 juin 1967 prévoyait déjà la possibilité pour la RDC (à l’époque le Zaïre) de conclure des accords internationaux comportant un abandon partiel de la souveraineté. Cette disposition a été reprise par les différents textes constitutionnels adoptés entre 1992 et 2003.
A notre sens, nous pouvons dire que l’hostilité envers cette disposition dans le contexte actuel n’a pas sa raison d’être d’autant plus que la constitution elle-même, à travers son article 69 al. 3, oblige au président de la République à veiller à l’intégrité territoriale. Ainsi donc, il est impératif de démystifier cette interprétation tendancieuse.
B. Enjeux de la révision constitutionnelle.
Cette initiative soulève des interrogations sur son opportunité, ses motivations profondes et son potentiel impact sur la stabilité démocratique du pays. En effet, si certains justifient cette démarche par le nécessité d’adapter le texte constitutionnel aux défis contemporains et de corriger les lacunes qui freineraient le développement national, d’autres, en l’occurrence les opposants, craignent qu’elle ne serve de brèche à un renforcement du pouvoir personnel du Chef de l’Etat. Ces craintes ne sont pas sans fondement compte tenu de précédents observés dans notre pays.
Imparfaite qu’elle est, la constitution de 2006 a permis de garantir un équilibre et une indépendance entre les trois pouvoirs. Néanmoins, le risque de dérives politiques s’accroit également dans un contexte où les institutions de contrôle sont faibles et où les contre-pouvoirs peinent à jouer pleinement leur rôle. Une modification mal encadrée pourrait rompre cet équilibre et renforcer l’exécutif au détriment des autres institutions en l’occurrence le législatif et le judiciaire. Par ailleurs, dans un contexte où la méfiance envers les institutions est déjà élevée, une telle démarche risquerait de creuser davantage le fossé entre les concitoyens et leurs institutions, compromettant ainsi la légitimité du système politique.
Par ailleurs, une des préoccupations majeures dans ce processus est l’exclusion potentielle de certains citoyens habitant des territoires occupés par les groupes armés notamment le M23 dans la province du Nord-Kivu, comme Masisi et Rutshuru. Ces territoires qui subissent encore les effets de conflits armés sont sous contrôle partiel de forces rebelles, ce qui rend difficile l’organisation d’un referendum constitutionnel dans ces zones. Déjà, lors des élections législatives et présidentielle de décembre 2023, les populations de ces régions n’ont pas pu exercer leur droit de vote, ce qui a suscité de nombreuses critiques sur l’équité et l’inclusivité du processus électoral.
Dans ce contexte, l’organisation d’un referendum pour valider une révision constitutionnelle poserait un problème majeur de légitimité. Une réforme aussi fondamentale qui engage l’avenir politique et institutionnel du pays ne peut être considérée comme légitime si une partie des citoyens en est exclue. Cela pourrait non seulement entacher la crédibilité du processus, mais aussi exacerber les tensions dans un pays déjà marqué par des fractures politiques, ethniques et régionales. La marginalisation des populations de ces territoires pourrait être perçue comme une manœuvre visant à réduire leur influence politique en place.
De plus, cette situation soulève des interrogations quant au respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale, deux principes qui sont au cœur de la légitimité de tout projet de révision constitutionnelle Comment justifier une réforme présentée comme visant à renforcer l’Etat alors que celui-ci n’est pas en mesure d’assurer sa pleine autorité sur l’ensemble du territoire national ? Cette contradiction affaiblit de manière considérable les arguments en faveur d’une révision dans les circonstances actuelles.
Conclusion.
La révision constitutionnelle apparait comme une démarche à la fois légitime et porteuse des défis majeurs. Si l’on ne peut nier que la constitution de 2006, malgré ses mérites, nécessite des ajustements pour mieux répondre aux réalités actuelles du pays et aux aspirations de son peuple. Toute initiative en ce sens doit s’inscrire dans le respect des principes fondamentaux de la démocratie, de l’Etat de droit et de l’intérêt supérieur de la nation. En effet, bien qu’autorisée par la constitution, elle doit éviter de céder aux tentations de renforcer le pouvoir personnel ou de fragiliser les acquis démocratiques. Elle doit, en outre, tenir compte des conditions sécuritaires et politiques actuelles notamment l’état de siège dans certaines provinces (Nord-Kivu et de l’Ituri), et l’exclusion possible de certaines populations du processus référendaire.
Ainsi, le défi majeur réside dans la capacité des dirigeants à conduire cette réforme de manière transparente, inclusive et consensuelle en veillant à préserver la stabilité nationale et à répondre aux attentes des citoyens, d’autant plus qu’une révision constitutionnelle menée avec responsabilité et dans l’intérêt général peut constituer un levier important pour renforcer la gouvernance et garantir un avenir meilleur à la nation. En revanche, si elle est perçue comme une manœuvre partisane ou autoritaire, elle risquerait de compromettre davantage la cohésion.