Jusqu’à présent la réponse semblait simple : il était préférable d’agir à l’encontre de l’entrepreneur principal lié au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, même s’il est vrai qu’il ne faut jamais se priver de la possibilité d’exercer un recours également contre le sous-traitant.
En effet, le régime d’engagement de la responsabilité de l’entrepreneur principal est plus favorable car :
Avant réception, l’entrepreneur principal est tenu d’une obligation contractuelle de résultat (et non de moyens). Il n’est donc pas nécessaire de rapporter la preuve d’une faute commise par le constructeur.
Après réception, l’entrepreneur principal est tenu des garanties légales que sont la garantie de parfait achèvement, la garantie biennale de bon fonctionnement et la responsabilité décennale. Ces garanties légales ne nécessitent pas que soit rapportée la preuve d’une faute. L’entrepreneur est également tenu de la responsabilité contractuelle de droit commun pour les désordres dits intermédiaires (obligation de moyens).
Alors que la responsabilité du sous-traitant ne peut être engagée que sur le plan extra contractuel à condition de rapporter la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité.
La différence est cependant ténue puisque même s’il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve d’une faute commise par l’entrepreneur principal (dans le cas des garanties légales et dans le cas de la responsabilité contractuelle avant réception) il convient de rapporter la preuve de l’imputabilité du désordre ou de la malfaçon à cet entrepreneur.
Différence d’autant plus ténue que l’entrepreneur principal, comme le sous-traitant, est assuré pour les désordres de nature biennale et décennale. Il s’agit là d’une obligation légale pour l’entrepreneur principal. S’agissant du sous-traitant, quasiment toutes les polices comportent également cette garantie.
En conséquence, jusqu’à présent, il pouvait être opportun d’agir non seulement contre l’entrepreneur principal, mais également contre le sous-traitant pour sécuriser la procédure et mettre le plus de chances de son côté quant au recouvrement des condamnations qui seront in fine prononcées.
Désormais, il apparaît indispensable d’agir non seulement contre l’entrepreneur principal mais également contre le sous-traitant car la Cour de cassation a précisé que le principe de proportionnalité ne s’applique pas en matière de responsabilité extra contractuelle.
Cela signifie que le maître de l’ouvrage doit pouvoir obtenir du sous-traitant une indemnisation intégrale qu’il ne pourrait pas nécessairement obtenir de la part de l’entrepreneur principal.
En effet, la Cour de cassation a jugé que la sanction prononcée à l’égard du constructeur doit être proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui affectent l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 15 octobre 2015, n° 14-23612 et Cass, 3ème civ, 22 novembre 2018, n° 17-12537).
Cette jurisprudence a pu conduire dans certains cas à ce que le maître de l’ouvrage soit débouté de sa demande démolition et reconstruction de l’ouvrage, les juridictions préférant opter pour une solution réparatoire même si celle-ci n’avait pas pour effet de remédier intégralement au préjudice subi par le maître de l’ouvrage.
Dans son arrêt du 4 avril 2024, la Cour de cassation juge que le principe de proportionnalité ne s’applique pas en matière de responsabilité extra contractuelle :
« 3. En application de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil et du principe de la réparation intégrale, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, de sorte que la victime doit être indemnisée sans perte ni profit.
4. Il en résulte que le juge du fond, statuant en matière extra-contractuelle, ne peut apprécier la réparation due à la victime au regard du caractère disproportionné de son coût pour le responsable du dommage.
5. La cour d’appel a exactement énoncé que la demande de démolition ne pouvait prospérer qu’à condition d’établir que la construction édifiée en violation des prescriptions du permis de construire avait causé un préjudice direct au voisin ».
En conséquence, si l’on applique cette jurisprudence à l’action du maître de l’ouvrage à l’encontre du sous-traitant, le principe de proportionnalité ne pourrait être opposé.