La réforme de la procédure d’appel en matiere sociale.

Par Claire-Hélène Berny, Avocat.

35826 lectures 1re Parution: Modifié: 5 commentaires 4.99  /5

Explorer : # réforme procédure d'appel # représentation obligatoire # procédure écrite # unicité de l'instance

Le décret du 20 mai 2016 n˚ 2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, pris en application de la loi dite loi Macron, réforme le contentieux prud’homal, que ce soit devant le Conseil de Prud’hommes ou devant la cour d’appel.

Alors que la réforme de la procédure devant la chambre sociale de la cour d’appel était restée, dans un premier temps, peu commentée, il en ressort qu’en réalité, le bouleversement est d’importance.

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C’est ainsi que le décret prévoit qu’à compter des appels interjetés à partir du 1er août 2016, l’appel porté devant la chambre sociale sera régi par les règles applicables à la procédure avec représentation obligatoire. Les parties seront tenues devant cette juridiction de recourir à un avocat ou à un défenseur syndical. Les articles 28 à 30 du décret précité organisent cette nouvelle procédure.

Ainsi, cette procédure jusque alors orale et caractérisée par sa souplesse, devient désormais une procédure écrite et encadrée par des règles et des délais de procédure particulièrement stricts.

Les principaux changements à venir sont les suivants :

  • La représentation devient obligatoire en appel

Il ne sera désormais plus possible pour un justiciable de se présenter seul devant une cour d’appel pour exposer lui-même sa défense.

A partir du 1er août 2016, les justiciables devront nécessairement être représentés devant la cour, soit par un avocat, soit par un défenseur syndical.

Par ailleurs, l’application des règles de la procédure avec représentation obligatoire impose également l’application des règles de territorialité. Pour un avocat dont le barreau n’est pas situé dans le ressort de la cour d’appel, le recours à un avocat postulant, inscrit à un barreau territorialement compétent, sera désormais nécessaire.

Cette nouvelle obligation renchérira d’autant le coût de la procédure, la partie devant alors supporter des honoraires de postulation.

Le décret, en revanche, reste silencieux sur l’application d’une règle de territorialité au défenseur syndical. Pourra-t-il plaider devant toutes les juridictions d’appel, sans limite de territorialité, créant par là-même une différence de traitement entre les justiciables représentés par un avocat et ceux représentés par un défenseur syndical ?

Cette question reste entière.

  • La procédure devient une procédure écrite

L’appel est toujours interjeté devant la chambre sociale de la cour d’appel mais « il est formé, instruit et jugé suivant la procédure avec représentation obligatoire » (nouvel article R1461-2 du Code du Travail)

Cette procédure est prévue aux articles 900 à 930-1 du Code de procédure civile, bien connus des avocats habitués des procédures écrites.

Désormais, les actes de procédure devront être transmis par voie électronique à peine d’irrecevabilité, c’est-à-dire par le biais du réseau privé virtuel des avocats (RPVA) (article 930-1 CPC).

Ce réseau n’étant pas ouvert aux défenseurs syndicaux, il est prévu que ceux-ci pourront effectuer l’ensemble des actes de la procédure sur support papier remis au greffe en autant d’exemplaires qu’il y a de parties destinataires, plus deux. La remise sera constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l’un sera immédiatement restitué (article 30 du décret).

L’avocat ayant pour contradicteur un défenseur syndical devra avoir recours à la voie électronique pour les actes de procédure remis à la juridiction et à la voie de notification pour ceux remis au défenseur syndical. Il devra donc veiller scrupuleusement à la notification effective de ses actes à son contradicteur, dans les délais requis, tout en doublant d’une notification au greffe dans le même temps.

Par ailleurs, les délais procéduraux sont profondément modifiés puisque désormais, et pour les appels interjetés à compter du 1er août 2016 :

  1. L’appelant disposera d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour conclure et transmettre ses pièces ;
  2. L’intimé disposera d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour conclure et éventuellement former un appel incident ;
  3. L’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué aura deux mois pour conclure en réponse.

Le non respect de ces délais est durement sanctionné :

  • Le non respect des délais par l’appelant est sanctionné par la caducité de l’appel
  • Le non respect des délais par l’intimé est sanctionné par l’irrecevabilité de ses conclusions

Par ailleurs, de nouvelles obligations procédurales incombent à l’appelant, dont l’adversaire n’a pas constitué avocat. La déclaration d’appel doit être signifiée dans le délai imparti (un mois à compter de l’avis du greffe) sous peine, encore une fois, de caducité de la déclaration d’appel (article 902 du Code de procédure civile).

Cette caducité ou cette irrecevabilité doit être relevée d’office, la vour ne disposant d’aucun pouvoir d’appréciation sur l’application de ces sanctions.

Les avocats plaidant régulièrement devant la chambre sociale, et ayant l’habitude de délais particulièrement souples, et parfois très longs, devront donc veiller scrupuleusement à ne pas communiquer au-delà du délai imparti, sous peine de voir leur dossier et donc leur client privés de la possibilité de se défendre en appel.

Rappelons enfin que la procédure écrite avec représentation obligatoire devant la Cour d’appel est soumis à un droit de timbre de 225 euros pour chacune des parties. Le décret reste muet sur ce point.

  • Abrogation de la règle de l’unicité de l’instance

L’article R. 1452-6 du Code du travail qui prévoyait l’unicité de l’instance devant le Conseil de Prud’hommes est abrogé à compter du 1er août 2016 (article 8 du décret).

Rappelons qu’aux aux termes de cet article toutes les demandes dérivant du contrat de travail entre les mêmes parties doivent, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, faire l’objet d’une seule instance, à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes.

La suppression à venir de cette règle de l’unicité de l’instance implique deux conséquences en termes de procédure :

  • Recevabilité devant le Conseil de Prud’hommes d’une demande concernant les mêmes parties et le même contrat de travail, alors même qu’une décision a déjà été rendue sur le fondement de ce même contrat et entre ces mêmes parties. Bien évidemment, il s’agit d’une demande qui n’a pas fait l’objet d’une décision préalable. Les limites de la prescription trouveront toujours à s’appliquer
  • Irrecevabilité des demandes nouvelles en appel : en effet, l’application des règles de droit commun de la procédure rendra applicable l’article 564 du Code de procédure civile, qui prévoit « à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ».

Ainsi, seules les prétentions présentées lors de la première instance devant le Conseil de Prud’hommes seront recevables en appel. Toutes nouvelles demandes non présentées devant la juridiction prud’homale sera d’office déclarée irrecevable par la Cour d’appel.

Cette règle est applicable aux instances introduites devant le Conseil de Prud’hommes à compter du 1er août 2016.

Claire-Hélène BERNY
Avocat au Barreau de Lyon
Cabinet AVOC\’ART
ch.berny chez bf-avocats.fr

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 19 juillet 2016 à 09:29
    par justemoi , Le 14 juillet 2016 à 17:50

    Voir la circulaire du Garde des Sceaux du 05 Juillet 2016 : pas de timbre fiscal à régler devant la Chambre Sociale !

    • par Claire-Hélène BERNY , Le 15 juillet 2016 à 11:29

      Effectivement. Merci à vous pour cette mise à jour nécessaire

    • par L.CYFERMAN , Le 19 juillet 2016 à 09:29

      La question qui se pose est celle de savoir si une telle dérogation peut être faite par voie de circulaire.

  • par L.CYFERMAN , Le 19 juillet 2016 à 09:36

    Si il existe un principe, prohibition des demandes nouvelles, et des exceptions : compensation, etc..., il existe aussi des atténuations au principe qui donneront lieu à une jurisprudence abondante comme par exemple : qu’est-ce qu’une demande, en matière du droit du travail, qui était virtuellement comprise dans une demande faite en première instance, qui en serait le complément où l’accessoire ?

  • par Manuelle PUYLAGARDE , Le 18 juillet 2016 à 16:38

    Le Ministre de la justice a fait savoir, par une circulaire du 5 juillet 2016 que, " bien que la procédure d’appel en matière prud’homale soit désormais régie par les articles 900 à 910-1 du code de procédure civile, elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 1635 bis P du code général des impôts, qui institue un droit d’un montant de 225 € " lorsque la constitution d’avocat est obligatoire devant la cour d’appel".

    Donc pas de droit à payer en matière sociale.

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