La mort ne prévient pas. A cette phrase parfois angoissante, il conviendrait d’ajouter que le mort, lui, ne prévient pas non plus de son décès. N’y voyez aucun cynisme mais plutôt un pragmatisme raisonné. Car aucune copropriété, aucun syndic, ni même aucun avocat intervenant dans ce domaine ne peut prétendre ne pas avoir été confronté à cette problématique. Celle d’un logement inoccupé, d’un propriétaire absent, d’un investissement locatif géré par une agence occulte et peu préoccupée et où l’habitude de ne pas avoir d’interlocuteur s’est installée. Or, comment savoir que ces mises en demeure, ces relances pour impayés, ces correspondances sans réponse résultent non pas d’une désertion mais d’un décès. La nouvelle est souvent fortuite et (malheureusement) présage d’une suite, souvent judiciaire, longue et chronophage.
Concrétisons avec un dossier que j’ai suivi il y’a déjà plusieurs années. Je suis saisi en 2010 pour un recouvrement de charges classique. Après une mise en demeure restée infructueuse, j’assigne le copropriétaire débiteur devant le Tribunal.
L’assignation est délivrée par dépôt à l’Etude du Commissaire de justice [1], ce qui signifie que l’adresse du défendeur a été identifiée mais qu’il n’était pas présent à son domicile. L’affaire est plaidée, le Syndicat des copropriétaires obtient gain de cause. Une signification du jugement est réalisée par le Commissaire de justice, selon les mêmes modalités, et le débiteur ne s’acquittant toujours pas, une saisie bancaire est effectuée et s’avère fructueuse. La copropriété récupère sa créance, jusque là tout va bien.
Toutefois, le copropriétaire en question continue de ne pas régler ses charges. Un nouvel arriéré important s’étant accumulé, je suis de nouveau saisi en 2013. Me référant à la précédente gestion du dossier, j’engage la même procédure. Or, au moment de la signification de l’assignation, le Commissaire de justice ne parvenant pas à retrouver les éléments d’identification de la réalité de la domiciliation sur place, procède, car il s’agit d’un Commissaire consciencieux, à une enquête de quartier et apprend le décès du débiteur par la boulangère du coin. La procédure doit donc être modifiée. En effet, de manière logique (et puis aussi morale), il n’est évidemment pas possible d’initier un procès à l’encontre d’un mort, ni même d’obtenir un jugement. Jusque là tout allait bien, cela va changer.
Après renseignement auprès de l’Etat civil, le décès du copropriétaire a effectivement été constaté en 2012. Pas de chance, ce dernier est décédé en Martinique d’où il est originaire, ce qui signifie que l’ensemble des démarches devra s’accomplir Outre-mer. La succession semble vacante dès lors qu’aucun héritier ne s’est manifesté et ne semble être connu. A ce titre, j’obtiens la désignation des Domaines sur simple requête auprès du Tribunal. Pourtant, une fois saisis, les Domaines m’informent de l’existence d’un acte de dévolution successorale désignant trois héritiers dont l’un est mineur. Me revoilà reparti à rechercher l’adresse de ces héritiers, du tuteur de celui mineur, et à les sommer d’opter à la succession. Ces derniers ne répondant pas, ils sont considérés comme acceptant pur et simple et j’engage une nouvelle procédure à Fort-de-France pour la désignation d’un mandataire à l’Indivision successorale. Le mandataire enfin désigné, j’obtiens un jugement à son encontre en 2020, pour enfin procéder au recouvrement complet de la créance en 2022 ! Entre temps, la dette s’est accumulée, la trésorerie de la copropriété a décliné et les copropriétaires ont abhorré cette situation !
De ce chemin de croix, il faut retenir que le recouvrement de charges dans le cas d’un copropriétaire décédé constitue un véritable casse-tête pour le Syndicat. Il faut dès lors saisir les portes de sortie qui peuvent s’offrir et connaître les rouages de cette procédure si particulière afin d’en éviter les écueils.
I. Avant toute procédure judiciaire : que faire en cas de connaissance du décès d’un copropriétaire ?
Autant, avant d’en être informée, la copropriété n’est pas en mesure de réagir, autant, une fois la nouvelle révélée, il est intéressant d’en sen soucier. Les mesures préalables à l’engament d’un contentieux judiciaire sont souvent utiles et permettent d’abréger la situation d’impayés. Il n’est pas rare qu’un héritier se manifeste et accepte, en contrepartie de conserver son bien, de solder sa créance. Le syndic a donc tout intérêt à être proactif.
a) Le syndic n’est pas obligé de rechercher l’existence d’héritiers mais il y a intérêt.
En effet, si dans les prérogatives imposées au syndic par l’article 18 de la Loi du 10 juillet 1965 il n’incombe aucune obligation de rechercher un héritier, l’existence d’impayés de charges doit le conduire à initier des démarches pour rechercher un débiteur solvable. Effectivement, autant il n’est pas contestable que la recherche d’une succession est particulièrement compliquée, autant cette tentative aura l’avantage d’éviter qu’un héritier se manifeste en cours de procédure et donc contraigne le Syndicat à recommencer son action. Tel avait par ailleurs été le cas dans les faits susmentionnés en introduction.
Le recours à un généalogiste : plusieurs agences prestigieuses et anciennes se sont spécialisées dans la recherche d’héritiers. L’avantage de recourir à un généalogiste réside surtout dans l’absence total d’avance de coûts pour le Syndicat des copropriétaires dès lors que le généalogiste se rémunère directement sous forme de commission auprès de l’héritier retrouvé. Néanmoins, cette solution doit être utilisée comme un outil et non comme une unique finalité. Les recherches du généalogiste peuvent parfois s’éterniser, en vain, et devenir fastidieuses. Pendant ce temps, les charges cours et ne sont toujours pas payées. En d’autres termes, il convient à mon sens d’utiliser le généalogiste avec parcimonie et accepter, dans un délai raisonnable, le résultat ou son absence.
La requête auprès d’un notaire : eu égard à leur monopole dans la liquidation des successions, cette démarche est particulièrement opportune. Elle permet tout d’abord d’identifier les héritiers mais également d’entrer en contact avec eux pour tenter d’obtenir un recouvrement amiable et rapide de la créance de charges. Toutefois, le notaire est tenu au secret professionnel et, sans accord des héritiers ou décision de justice, il refusera de communiquer quelconque élément. En réalité, la meilleur approche consiste à intervenir auprès du notaire avec le nom des héritiers, souvent identifiés au préalable par un généalogiste, et de solliciter d’entrer en relation avec eux.
b) Le syndic n’est pas obligé de notifier les appels de fonds aux héritiers mais il y a intérêt.
En principe, les dispositions de l’article 65 du Décret du 17 mars 1967 disposent en leur deux premiers alinéas :
« En vue de l’application des articles 64 et 64-2, chaque copropriétaire ou titulaire d’un droit d’usufruit ou de nue-propriété sur un lot ou une fraction de lot notifie au syndic son domicile réel ou élu ainsi que son adresse électronique, s’il a donné son accord pour recevoir des notifications et mises en demeure par voie électronique.
Les notifications et mises en demeure prévues par les articles 64 et 64-2 sont valablement faites au dernier domicile ou à la dernière adresse électronique indiquée au syndic ».
Il faut comprendre de ce texte qu’il appartient au copropriétaire de notifier son adresse réelle au syndic. Que ce dernier n’est pas contraint de la rechercher quand bien même il aurait connaissance du décès du copropriétaire en question ou de l’adresse de son héritier. Le syndic n’est tenu de modifier l’adressage de ces courriers que si le transfert lui est notifié par lettre recommandée par le copropriétaire ou que la succession lui est dûment dénoncée par le notaire [2]. Plus encore, la jurisprudence a déjà reproché à un syndic d’avoir notifié des correspondances au notaire sans vérifier que ce dernier était véritablement en charge de la succession et détenait un mandat des héritiers [3].
Toutefois, la jurisprudence a également fait preuve de souplesse et admis la validité d’une correspondance envoyée à une autre adresse que celle notifiée au syndic dès lors que l’adresse réelle permettait de toucher le copropriétaire, ce que n’offrait pas l’adresse préalablement mentionnée. A cet effet, il doit être recommandé au syndic, si le mandat du notaire est établi, de notifier les appels de fonds à ce dernier quitte à doubler les envois à l’adresse initiale et au notaire (lequel pouvant aisément communiquer par courriel électronique). A nouveau, l’avantage d’une telle démarche réside dans la prise de contact effective avec les héritiers pour un règlement rapide de la dette de charges.
II. L’engagement d’une procédure judiciaire : que choisir en cas de décès d’un copropriétaire ?
Pour recouvrer la dette de charges dans le cas d’un copropriétaire décédé, deux situations vont s’imposer au Syndicat des copropriétaires : les héritiers ont été identifiés et ont accepté la succession (a), la succession est vacante (b).
a) Les héritiers ont été identifiés et ont accepté la succession.
C’est évidemment la situation la plus simple, d’où l’intérêt de tenter la recherche préalable des héritiers (c.f. I.). Néanmoins, il arrive parfois (même souvent) que les héritiers acceptent la succession sans se préoccuper de solder le passif du défunt. Dans ce cas, le Syndicat des copropriétaires devra engager une procédure judiciaire à l’encontre leur encontre. Quelques subtilités doivent alors être précisées.
La solidarité permet de ne poursuivre que l’héritier le plus solvable : cette astuce permet de simplifier la procédure qui ne sera dirigée qu’à l’encontre d’une seule personne. Par exemple, dans l’affaire mentionnée en préambule, je n’aurai pas été obligé de poursuivre l’héritier mineur. La solidarité entre les indivisaires successoraux induit que chacun d’entre eux est redevable de l’intégralité de la dette auprès du Syndicat des copropriétaires, à charge pour celui condamné de se retourner contre ses coindivisaires. Cependant, le dicton en droit dit que « la solidarité ne se présume pas » [4]. En ce sens, soit elle découle d’une disposition légale (les charges communes des époux, par exemple), soit d’une disposition contractuelle. En matière de copropriété, le Règlement de copropriété fait office de contrat entre tous les copropriétaires.
C’est à ce titre que la majorité des Règlements comporte une clause de solidarité, du type : « En cas d’indivision de la propriété d’un lot, tous les propriétaires indivis et leurs héritiers et représentants seront solidairement et indivisiblement responsables entre eux, vis-à-vis du Syndicat des copropriétaires, sans bénéfice de discussion, de toutes sommes dues afférentes audit lot ».
A l’appui de cette stipulation, le Syndicat devra envisager de l’opportunité de ne poursuivre qu’un seul héritier afin de minimiser les coûts de la procédure ou, simplement, si seulement un seul des héritiers a été identifié. Cela lui évitera d’aller rechercher les autres.
La sommation d’opter permet de mettre fin à l’inertie des héritiers : prévue aux articles 771 et 772 du Code civil, la sommation d’opter peut être signifiée aux héritiers, par la voie d’un Commissaire de justice, après l’écoulement d’un délai de quatre mois après l’ouverture de la succession. Cet acte impose à l’héritier de se prononcer sur la succession à défaut de quoi il sera considéré comme acceptant pur et simple. Le cas échéant, la procédure en recouvrement pourra être engagée à son encontre.
La désignation d’un mandataire successoral facilite la procédure judicaire et les exécution forcée à venir : cette mesure est particulièrement opportune lorsque les légataires universels [les héritiers] ne parviennent pas à s’entendre. L’article 23 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit justement en son alinéa 2 :
« En cas d’indivision, les indivisaires sont représentés par un mandataire commun qui est, à défaut d’accord, désigné par le président du tribunal judiciaire saisi par l’un d’entre eux ou par le syndic ».
Sur ce fondement, le Syndicat des copropriétaires pourra non seulement diriger la procédure à l’encontre exclusive du mandataire judiciaire désigné mais également poursuivre les exécutions forcées, dont la saisie immobilière, en son nom.
b) La succession est vacante.
L’article 809 du Code civil prévoit les trois cas dans lesquels la succession doit être considérée comme vacante :
« La succession est vacante :
1° Lorsqu’il ne se présente personne pour réclamer la succession et qu’il n’y a pas d’héritier connu ;
2° Lorsque tous les héritiers connus ont renoncé à la succession ;
3° Lorsque, après l’expiration d’un délai de six mois depuis l’ouverture de la succession, les héritiers connus n’ont pas opté, de manière tacite ou expresse ».
Ainsi, lorsque que le Syndicat des copropriétaires se trouve confronté à cette situation, le recouvrement de la dette ne peut passer que par la voie judiciaire. Pour ce faire, il est d’abord contraint de faire désigner la Direction Nationale d’Interventions Domaniales (DNID). Cet organe rattachée à la Direction générale des Finances publiques est saisie sur requête auprès du Tribunal judiciaire du lieu de décès du copropriétaire. D’où la complexité lorsque le débiteur est décédé en Martinique. Une fois la DNID dûment désignée, le Syndicat des copropriétaires pourra diriger son action judiciaire à son encontre et poursuivre les voies d’exécution forcée à son nom.
Il faut savoir que les Domaines peuvent se décharger de leur mission lorsqu’ils identifient un ou plusieurs héritiers. De ce fait, leur intervention permet aussi de retrouver parfois des héritiers et donc d’engager une procédure à leur encontre selon les modalités mentionnées en supra.
III. Après la procédure judiciaire : petit point sur les procédures d’exécution forcée.
Le Code des procédures civiles d’exécution offre un large panel au créancier de mesures exécutoires pour obtenir le recouvrement forcé de sa décision judiciaire. De la saisie-vente de biens mobiliers à la saisie bancaire, ou encore à la saisie des rémunérations, les outils sont abondants.
Toutefois, si le créancier à le choix de la mesure, cette dernière ne doit pas être disproportionnée :
« Le créancier a le choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa créance. L’exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l’obligation » [5].
Dans le cas d’un recouvrement de charges à l’égard d’un copropriétaire décédé, l’ensemble des mesures citées peut être appliqué à l’encontre des héritiers. Toutefois, lorsque les Domaines sont saisis, la seule hypothèse d’exécution forcée valable est la saisie immobilière. Cette mesure est hautement complexe et nécessite un vote préalable des copropriétaires en assemblée générale. Elle implique également un coût plus élevé. Pour qu’une procédure de saisie immobilière aboutisse, il faut généralement compter un an et demi.
Discussions en cours :
Décès d une copropriétaire héritiers inconnus Ke syndic nommé un avocat( sans accord des copropriétaires) qui va payer les honoraires de cet avocat ( Merci de ce renseignement dont je n arrive pas à trouver réponse car il y a une AG très très prochainement. Cordialement
Bonjour,
Votre syndic a pour mission de gérer la copropriété et, dans ce cadre, il doit procéder aux mesures nécessaires pour le recouvrement des dettes de charges.
Il n’a pas à solliciter l’autorisation de l’assemblée générale pour y procéder (article 55 du décret du 17 mars 1967).
La plupart des procédures en recouvrement de charges nécessitent l’intervention d’un avocat, d’autant plus quand le copropriétaire décédé n’a pas d’héritiers connus et qu’il faut saisir les Domaines (postulation obligatoire de l’avocat).
S’agissant du coût de ce prestataire, il est réparti en charge commune générale avec la précision qu’à l’issue du procès une condamnation à des frais de procédure sera certainement accordée à la Copropriété pour lui permettre de se rembourser en partie.
Bonne journée.
Me Dulac