Deux appelants voient leur appel radié pour défaut d’exécution de la décision de première instance par application de l’Article 526 du Code de procédure civile [1].
Aucun déféré n’étant possible contre cette mesure d’administration judiciaire, ils forment alors un recours contre l’ordonnance afin de voir constaté l’excès de pouvoir du Conseiller de la mise en état.
Mais la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le juge irrecevable dès lors que la mesure de radiation du rôle, prise en application de l’Article 526 du Code de procédure civile, est une mesure d’administration judiciaire, sans aucun caractère juridictionnel et sans aucune incidence sur le lien d’instance qui subsiste.
Au visa des Articles 526, 537 et 916 du Code de procédure civile, ensemble l’Article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation accueille le pourvoi, casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt et renvoie les parties à nouveau devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée dès lors « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il était allégué que la radiation de l’affaire procédait d’une méconnaissance par le conseiller de la mise en état de l’étendue de ses pouvoirs, dès lors que le jugement attaqué n’était pas assorti de l’exécution provisoire à l’égard de Monsieur Bandachowicz, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Cet arrêt de la deuxième chambre civile, destiné à une large publication, qui autorise un recours-nullité contre une mesure d’administration judiciaire est-il un revirement ? Disons-le d’emblée, pas véritablement, mais la solution dégagée, audacieuse, doit être saluée.
Les praticiens savent en effet que si, en cas d’absence de voie de recours, toute décision peut faire l’objet d’un recours-nullité immédiat si le juge a commis un excès de pouvoir, ils savent aussi (sans doute un peu moins) que lorsque la décision attaquée est une mesure d’administration judiciaire, elle n’est sujette à aucun recours, même un recours-nullité. Car si un appel-nullité peut être formé même si un texte exclut expressément l’appel, l’Article 537 précise que « les mesures d’administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours » et le texte vaut pour tout recours, y compris le recours-nullité qui n’est pas une voie de recours autonome [2]. Très tôt, la Haute juridiction a estimé qu’aucune mesure d’administration judiciaire ne pouvait faire l’objet d’un recours, fût-ce pour excès de pouvoir [3].
Or, la radiation est, sans équivoque, une mesure d’administration judiciaire puisque l’Article 383 dispose que « la radiation et le retrait du rôle sont des mesures d’administration judiciaire ». Et, pour « enfoncer le clou », même l’Article 526 précise que la radiation en appel « est une mesure d’administration judiciaire », définition conservée avec le nouvel Article 524 issu du décret du 11 décembre 2019 qui prévoit, entre autres dispositions, que les décisions de première instance sont désormais de droits exécutoires à titre provisoire [4]. La position de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence disant irrecevable le déféré-nullité pouvait dès lors s’expliquer au regard des textes comme de la jurisprudence, établie, de la Cour de cassation.
Création prétorienne, le recours-nullité, qui revêt un caractère subsidiaire donc puisqu’il suppose l’absence de voie de recours, peut être intenté contre toute décision à caractère juridictionnel à condition qu’il soit formé dans le délai légal et par une partie au litige. Il s’exprime le plus généralement avec l’appel-nullité en cas d’excès de pouvoir positif (le juge s’arroge des attributions que la loi lui refuse) ou négatif (le juge refuse d’exercer les compétences que la loi lui attribue) mais peut concerner d’autres recours. Ainsi et bien que le déféré-nullité, qui fut en l’espèce tenté, soit assez rare, il est parfaitement envisageable contre une ordonnance d’un Conseiller de la mise en état qui aurait commis un excès de pouvoir.
Mais par application de l’Article 916 du Code de procédure civile, seulement certaines ordonnances du Conseiller de la mise en état peuvent être déférées à la Cour, ce qui implique de facto que certaines d’entre elles, contre lesquelles un déféré ne peut être formé, peuvent faire l’objet d’un déféré-nullité.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence savait qu’un tel recours pouvait être initié et elle a encore récemment eu l’occasion de juger recevable un déféré-nullité contre une ordonnance de son conseiller qui avait refusé de statuer sur un incident de nullité d’une assignation en intervention forcée, caractérisant un excès de pouvoir négatif [5]. La Cour d’appel savait aussi qu’aucun recours-nullité ne pouvait être intenté, quelle que soit la décision, contre une mesure d’administration judiciaire. Pourtant, le pourvoi, qui pouvait être déconseillé, fut accueilli.
A la lecture, rapide, de l’arrêt, on jurerait un revirement. Mais il s’agit certainement plus d’un entre-deux. En effet, avant d’adopter sa solution qui semble rendre possible tout recours pour excès de pouvoir contre une mesure d’administration judiciaire, la Haute Cour, après le visa des Articles 526, 537 et 916 du Code de procédure civile et de l’Article 6, §1, précise : « Attendu qu’il découle du second de ces textes qu’une mesure d’administration judiciaire n’est sujette à aucun recours, fût-ce pour excès de pouvoir ; que bien que le premier de ces textes qualifie de mesure d’administration judiciaire la décision de radiation de l’affaire du rôle lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel, cette décision affecte l’exercice du droit d’appel, de sorte qu’elle peut faire l’objet d’un recours en cas d’excès de pouvoir ».
La nuance de l’attendu est capitale. La deuxième Chambre civile prend bien la peine de rappeler de premier chef qu’une mesure d’administration judiciaire n’est sujette à aucun recours, fût-ce pour excès de pouvoir. Mais elle place au-dessus de tout l’accès au juge, garanti par l’Article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c’est-à-dire l’exercice même du droit d’appel qui figure dans le Code de procédure civile.
Car ici, et c’est là toute la différence, un seul des deux appelants avait été condamné sous exécution provisoire. Certes le lien d’instance subsistait du fait de la mesure de radiation comme l’avait estimé la Cour d’appel et les appelants pouvaient toujours, ultérieurement, saisir le juge de l’exécution ou même le Premier président aux fins d’obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire puis, une fois obtenue, solliciter du Conseiller de la mise en état le rétablissement de l’affaire au rôle, mais, au cas présent, le droit d’appel stricto sensu de l’un des appelants était atteint.
Dans pareille hypothèse, le Conseiller de la mise en état, et la Cour sur déféré, aurait dû privilégier une application distributive de la mesure de radiation et juger que celle-ci n’affectait les droits que de l’un des appelants, celui concerné par l’exécution provisoire, la procédure d’appel pouvant être poursuivie par l’autre.
Aussi, c’est donc plus une garantie fondamentale qui est consacrée par la Cour de cassation plutôt qu’un revirement qu’une lecture (trop) rapide de l’arrêt laisserait imaginer. Ce n’est pas une révolution, mais cette motivation est inspirante alors que le décret du 11 décembre 2019, entré en vigueur au 1er janvier 2020, aura nécessairement un impact sur le contentieux de la radiation.
Article paru initialement sur Dalloz Actualité.