Jonction, omission de statuer et déféré.

Par Romain Laffly, Avocat.

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Saisie sur déféré à l’encontre d’une ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour d’appel doit statuer sur les demandes préalablement soumises au conseiller de la mise en état avant la jonction ordonnée et qu’il n’a pas tranchées.

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Civ. 2e, 19 nov. 2020, F-P+B+I, n° 19-16.055.

Le 27 septembre 2016, une salariée interjette appel d’un jugement du conseil de prud’hommes devant la Cour d’appel d’Orléans et l’employeur relève à son tour appel dès le lendemain. Sur le premier appel, le conseiller de la mise en état est saisi par l’appelante d’un incident d’irrecevabilité de conclusions et d’appel incident de l’intimé et, sur le second, de la caducité de l’appel principal. Les deux incidents étaient donc conduits par la salariée, en qualité d’appelante sur le premier appel et en celle d’intimée sur le second. Le conseiller de la mise en état, après avoir joint les procédures, déboute la salariée de toutes ses demandes et l’appelante défère à la cour l’ordonnance. Par arrêt sur déféré du 18 décembre 2017, la cour d’appel dit n’y avoir lieu à statuer sur la caducité de l’appel et l’irrecevabilité des conclusions. Une fois l’arrêt sur le fond rendu, la salariée et l’Union départementale des syndicats Force Ouvrière d’Indre-et-Loire, qui était intervenante volontaire en cause d’appel, forment un pourvoi contre les deux arrêts. Se prononçant sur l’arrêt rendu sur déféré, la deuxième chambre civile juge :

« Vu les articles 4, 462 et 916 du Code de procédure civile :
9. Il résulte de ces textes que lorsqu’elle est saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, ayant statué dans les cas prévus aux alinéas 2 et 3 de l’article 916, la cour d’appel examine, si la demande lui en est faite, les autres demandes soumises au conseiller de la mise en état que celui-ci n’aurait pas tranchées, y compris en raison d’une omission de statuer, dès lors qu’elles étaient formulées dans les conclusions examinées par le conseiller de la mise en état et que celui-ci n’a pas réservé sa décision sur ces demandes.
10. Pour dire qu’il n’y a pas lieu à déféré, l’arrêt retient d’une part, sur la caducité de l’appel principal de la société, que le dispositif de l’ordonnance ne statue pas sur ce point, les conclusions déposées ne tendant qu’à l’irrecevabilité des conclusions d’intimée et de l’appel incident dans l’instance enregistrée sous le n° 16/03050 et d’autre part, sur l’irrecevabilité de l’appel incident de la société Les Lavandières, que l’irrecevabilité de cet appel a été rejeté du fait qu’il était présenté comme la conséquence de l’irrecevabilité des conclusions d’intimée par lesquelles il était formé.
11. En statuant ainsi alors d’une part, que le conseiller de la mise en état, qui avait joint les procédures enregistrées sous les nos 16/03050 et 16/03066, avait été saisi de conclusions d’incident tendant à la caducité de l’appel de la société intimée dans la procédure n° 16/03066 et d’autre part, que le dispositif des conclusions déposées par Mme X… dans la procédure enregistrée sous le n° 16/03050 lui demandait de déclarer les conclusions de cette intimée irrecevables ainsi que son appel incident, la cour d’appel, qui disposait du pouvoir de réparer l’omission de statuer de l’ordonnance du conseiller de la mise en état qui lui était déférée, a, modifiant l’objet du litige et méconnaissant son office, violé les textes susvisés
 ».

Les faits n’étaient pas si complexes que la présentation factuelle de l’arrêt de cassation le laisserait penser au regard de deux appels croisés, chose somme toute devenue classique en procédure d’appel. La salariée, à la fois appelante et intimée sur l’appel de son employeur, avait régularisé, s’agissant de deux procédures d’appel du même jugement non jointes, deux jeux de conclusions d’incident tendant à voire retenue l’irrecevabilité des conclusions et de l’appel incident de son adversaire et caduque sa déclaration d’appel principal. La Cour d’appel de Pau, sur déféré, avait dit n’y avoir lieu à statuer sur déféré sur la question de la caducité de l’appel dès lors que l’ordonnance de son conseiller n’avait pas statué sur ce point mais seulement sur la question de l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé. Et s’agissant de l’irrecevabilité de l’appel incident, qu’il n’y avait pas plus lieu à statuer puisque l’irrecevabilité de l’appel incident avait été rejeté comme présenté comme la conséquence de l’irrecevabilité des conclusions d’intimée par lesquelles il était formé. La réponse, juridique, de la cour paraissait pour le moins alambiquée mais l’importance n’est finalement pas là. La solution de la deuxième chambre civile ne tient pas à l’erreur de droit relative à l’examen des moyens d’irrecevabilité et de caducité soulevés, mais bien de la conséquence de la jonction des deux procédures.

La solution était finalement simple : il suffisait de constater que les deux instances avaient été jointes par le conseiller de la mise en état pour, dès lors, relever que la cour d’appel disposait du pouvoir de réparer l’omission de statuer de l’ordonnance du conseiller de la mise en état qui lui était déférée.

Si, du fait de la jonction, le conseiller de la mise en état et la cour sur déféré devaient tour à tour statuer sur l’ensemble des moyens soulevés par voie de conclusions échangées dans des instances distinctes comme en témoignent les numéros de rôle différents, l’absence de réponse par le conseiller de la mise en état au moyen de caducité obligeait la cour, cette fois, à statuer sur celui-ci. Dès lors que le moyen, contenu dans le dispositif des conclusions d’incident de l’intimée et soulevant la caducité de l’appel principal de son employeur n’avait pas été examiné par le conseiller de la mise en état, la cour devenait juge de l’omission.

La jurisprudence est ancienne : puisque la jonction, mesure d’administration judiciaire, ne crée pas un même lien d’instance, les conclusions notifiées avant son prononcé saisissent toutes le juge, aucune obligation de récapituler ses prétentions postérieurement à la jonction n’étant non plus imposée par le Code de procédure civile. L’exemple de deux appels d’un jugement par une même partie mais à l’encontre de deux intimés différents permet de comprendre la portée de la règle : la cour doit statuer sur les conclusions notifiées avant la jonction par un appelant à l’encontre du premier intimé et au regard du second jeu de conclusions de cet appelant contre l’autre intimé qui serait déposé après la jonction. Point de conclusions « récapitulatives » dans cette hypothèse.

On comprend dès lors la référence, outre à l’article 916 propre à la procédure sur déféré, à l’article 4 et à l’objet du litige qui est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ce sont les deux fondements qui étaient d’ailleurs visés au soutien des moyens de cassation. Si l’on pourrait ajouter celui de l’article 367 du Code de procédure civile propre à la jonction, on s’interrogera sur le visa de l’article 462 du Code de procédure civile, retenu par la cour de cassation, relatif à la rectification d’erreur ou d’omission matérielle alors qu’était en cause une omission de statuer que l’on trouve à l’article suivant. Mais si le visa de l’article 463 eut été de meilleur ton, on comprend bien sûr l’idée : à défaut de saisir le conseiller de la mise en état (dont les ordonnances ont autorité de chose jugée au principal à défaut d’un recours exercé contre elles dans le délai de 15 jours) d’une requête en omission de statuer, dès lors que le moyen omis était précisément déféré à la cour par la voie du déféré, celle-ci devait nécessairement le prendre en compte. C’était d’autant plus évident que le déféré, qui était porté à nouveau sur les questions de caducité de l’appel comme de l’irrecevabilité des conclusions et de l’appel incident, privait le conseiller de réparer son omission. La deuxième chambre pose sur ce point justement la limite : l’omission devait être réparée par la cour sur déféré dès lors que ces prétentions étaient formulées dans les conclusions examinées par le conseiller de la mise en état et que celui-ci n’avait pas réservé sa décision sur ces demandes. On ajoutera, dès lors encore que la demanderesse au déféré n’avait pas renoncé expressément à ce moyen moyen sur déféré.

Certains verront l’effet classique de l’omission de statuer. D’autres verront, encore et toujours, un « effet » de l’effet dévolutif de la voie de recours qu’est le déféré. La vérité est sans doute un effet des deux.

Article publié initialement sur Dalloz Actualité.

Romain Laffly, Avocat
Associé chez Lexavoue Lyon.

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