Le contexte.
La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « Loi Sapin 2 » a mis en place un dispositif général de protection des lanceurs d’alerte en droit français.
Cette loi a été modifiée par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, laquelle est venue transposer en droit français la directive européenne du 23 octobre 2019 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte et créer un cadre commun de protection au sein de l’Union Européenne.
Le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 pris en application de la loi du 21 mars 2022 apporte des précisions sur les procédures de recueil et de traitement des signalements. Les entités françaises employant au moins cinquante salariés vont ainsi devoir ajuster leur dispositif.
Un signalement écrit ou oral.
Le canal de réception des signalements permet au lanceur d’alerte d’adresser un signalement écrit ou oral selon ce que prévoit la procédure de l’entité.
Si la procédure prévoit la possibilité d’adresser un signalement par oral, le décret précise que ce signalement peut s’effectuer par téléphone ou par tout autre système de messagerie vocale. A la demande de l’auteur du signalement, le signalement peut aussi s’effectuer lors d’une visioconférence ou d’une rencontre physique organisée au plus tard vingt jours ouvrés après réception de la demande. Tout signalement effectué oralement est consigné selon les modalités prévues par la procédure et ce conformément au décret.
Le canal de réception des signalements doit permettre au lanceur d’alerte de transmettre tout élément, quel que soit sa forme ou son support, de nature à étayer le signalement de faits
La procédure doit prévoir que l’auteur du signalement est informé par écrit de la réception de son signalement dans un délai de sept jours ouvrés à compter de cette réception.
Les conditions de recevabilité et les suites données au signalement.
Les conditions de recevabilité prévues par la loi doivent être vérifiées par l’entité destinataire de l’alerte.
La procédure peut prévoir que l’auteur du signalement transmet en même temps que son signalement tout élément justifiant qu’il appartient à l’une des catégories de personnes pouvant émettre un signalement. Le décret rappelle que l’entité peut également demander tout complément d’information à l’auteur du signalement.
La procédure doit préciser les suites données aux signalements qui ne respecteraient pas les conditions prévues par le dispositif légal. Le lanceur d’alerte sera alors informé obligatoirement des raisons pour lesquelles son signalement a été considéré comme étant irrecevable.
En outre, la procédure doit préciser les suites qui seront données aux signalements anonymes.
Un délai de traitement raisonnable n’excédant pas trois mois.
Lorsque les allégations sont avérées, la procédure prévoit que l’entité communique par écrit à l’auteur du signalement des informations sur les mesures envisagées ou prises pour évaluer l’exactitude des allégations et, le cas échéant, remédier à l’objet du signalement.
Cette communication doit intervenir dans un délai raisonnable n’excédant pas trois mois à compter de l’accusé de réception du signalement ou à défaut à compter de la période de sept jours ouvrés suivant le signalement.
Lorsque les allégations sont inexactes ou infondées, ou lorsque le signalement est devenu sans objet, il est procédé à la clôture du signalement. Le lanceur d’alerte doit être informé par écrit de la clôture du dossier.
Les dispositifs d’alerte au sein des groupes de sociétés.
La procédure indique la ou les personnes, ou le ou les services désignés par l’entité pour recueillir et traiter les signalements.
La réception et le traitement peuvent être gérés par des personnes ou services différents.
Il est possible de confier la réception des signalements à un tiers qui peut être une personne physique ou une personne morale à la condition que cela soit prévue dans la procédure. Cette option est intéressante dans les groupes de sociétés puisque la procédure de recueil des signalements peut être commune à plusieurs ou à l’ensemble des sociétés d’un groupe.
En outre, il est précisé que les entités employant moins de 250 salariés peuvent prévoir, après décision concordante de leurs organes compétents, que le canal de réception des signalements ainsi que l’évaluation de l’exactitude des allégations formulées font l’objet de ressources partagées entre elles.
A contrario, cela signifie qu’il n’est donc pas possible de prévoir une procédure commune pour l’évaluation de l’exactitude des allégations formulées dans les entités employant plus de 250 salariés.
Des évolutions sont donc à prévoir pour le traitement des alertes dans les groupes de sociétés où le plus souvent c’est la société mère qui reçoit et parfois traite les signalements.
Sur ce point, le décret précise que lorsque l’entité estime que le signalement porte sur des faits qui se sont produits ou sont très susceptibles de se produire dans une entité appartenant au même groupe, elle peut inviter l’auteur du signalement à l’adresser également à cette dernière.
Le traitement de l’alerte pourra alors être conjoint entre les deux entités qui auront reçu le même signalement.
En revanche, lorsque l’entité estime que le signalement serait traité de manière plus efficace par une autre entité du groupe, elle peut inviter son auteur à retirer le signalement qu’elle a reçu.
Dans ce cas, le signalement sera alors traité uniquement par l’autre entité (par exemple la maison mère). Cette option est naturellement conditionnée au retrait du signalement par le lanceur d’alerte. Si l’auteur refuse de retirer son signalement, l’entité employant 250 salariés ou plus sera dans l’obligation de procéder elle-même à l’évaluation de l’exactitude des allégations formulées.
Le recueil externe des signalements.
Désormais, tout lanceur d’alerte peut adresser un signalement vers des autorités externes.
Pour mémoire, une distinction doit être opérée entre le signalement interne, le signalement externe et le signalement public. La loi du 21 mars 2022 mars supprime la procédure hiérarchisée en trois temps. Le lanceur d’alerte peut dorénavant choisir librement entre un signalement interne et un signalement externe. En revanche, l’alerte publique n’est possible que dans certaines situations.
La liste des autorités externes compétentes pour recevoir des signalements est annexée au décret du 3 octobre 2022.
A titre d’exemple, il est possible pour un lanceur d’alerte d’adresser son signalement directement à l’Agence Française Anticorruption, l’Autorité de la Concurrence, la DGCCRF, l’AMF, l’ACPR, la CNIL ou bien encore au Défenseur des droits.
Chaque autorité devra publier sur son site internet, dans une section facilement identifiable, les informations sur l’existence de la procédure de recueil et de traitement des signalements.
La procédure doit prévoir que l’auteur de l’alerte précise, concomitamment à son signalement adressé à une autorité, s’il a ou non transmis ce dernier par la voie interne de son entreprise.
La procédure de traitement externe est similaire à la procédure de traitement interne évoquée précédemment.
En cas d’afflux important de signalements, l’autorité compétente est autorisée par le décret à prioriser les signalements les plus graves, notamment ceux pour lesquels il existe un risque de destruction de preuves ou un risque que l’auteur du signalement fasse l’objet d’une mesure de représailles.
Chaque autorité adressera avant le 31 décembre de chaque année au Défenseur des droits un rapport sur le fonctionnement de sa procédure de recueil et de traitement des signalements.
Enfin, il est à noter que la Cour des comptes poursuit sa démarche d’ouverture vers les citoyens en se dotant d’une plateforme de signalement. Une procédure en ligne permet désormais à tout citoyen de signaler à la Cour des irrégularités ou des dysfonctionnements constatés dans la gestion publique.
Que ce soit dans la sphère privée ou la sphère publique, le renforcement du statut protecteur des lanceurs d’alerte ainsi que les différents canaux de signalement possibles devraient accroître le nombre des signalements.
Il est donc essentiel pour les organisations d’adapter leur procédure de recueil et de traitement des signalements et de se doter des moyens humains et matériels nécessaires afin d’être en mesure de traiter les alertes et de conduire efficacement les enquêtes internes.