La loi de finances pour 2024 tient ses promesses sur ce sujet avec notamment l’instauration d’un nouveau délit de facilitation de la fraude fiscale, la possibilité pour l’Administration de collecter des contenus sur internet ou encore la création d’une peine complémentaire de privation du droit au bénéfice de réductions et crédits d’impôt en cas de condamnation pour fraude fiscale.
I - Rappel historique de la loi de finances.
Pendant de nombreuses années l’Administration fiscale disposait d’un monopole de l’action publique en matière de fraude fiscale ; elle était seule habilitée à porter plainte pour fraude fiscale à l’encontre d’un contribuable sous réserve de l’avis conforme de la Commission des Infractions Fiscales à partir de 1977.
Le parquet pouvait cependant lancer des poursuites pour blanchiment de fraude fiscale, comme dans l’affaire des « Panama Papers ».
1) La suppression du « verrou de Bercy. »
La loi du 23 octobre 2018 en son article 36 avait supprimé ce monopole de l’action publique en matière de fraude fiscale qualifié de « verrou de Bercy ».
Depuis le 25 octobre 2018, l’article L228 du livre des procédures fiscales prévoit que doivent désormais être automatiquement transmis au parquet par la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) les dossiers concernant des affaires graves et caractérisées, c’est-à-dire ayant conduit à l’application, sur des droits éludés supérieurs à 100 000 euros, des majorations prévues pour les infractions les plus graves (100% pour l’opposition à contrôle fiscal, 80% en cas d’activité occulte, d’abus de droit ou de manœuvres frauduleuses, de défaut de déclaration d’avoirs financiers détenus à l’étranger ou de trafics illicites ou 40% pour manquement délibéré à condition qu’il y ait eu récidive au cours d’une période de six ans).
Par dérogation, pour les contribuables soumis à une obligation de déclaration patrimoniale à la Haute Autorité pour la Transparence de la Cie Publique, le seuil de droits éludés conduisant à une obligation de dénonciation au parquet est réduit de moitié, soit 50 000 euros, et il suffit que la pénalité de 40% soit appliquée pour que cette transmission automatique au Parquet soit applicable.
C’est ensuite le Procureur de la République auquel il appartient d’évaluer l’opportunité d’engager des poursuites pour fraude fiscale à l’encontre des contribuables ayant fait l’objet d’une dénonciation obligatoire.
L’administration fiscale peut continuer à déposer plainte pour fraude fiscale après l’avis conforme de la Commission des Infractions Fiscales dans les même conditions qu’avant 2018.
Depuis son entrée en vigueur le 1 er janvier 2019, la réforme du « verrou de Bercy » s’est traduite par une augmentation significative des dossiers puisque le nombre de dossiers transmis par l’administration fiscale a augmenté de près de 75% entre 2018 et 2021.
La procédure de transmission automatique des dossiers a elle-même connu une forte progression puisque le nombre de dénonciations obligatoires a atteint 1 217 dossiers en 2021.
2) La loi de finances pour 2020 et la possibilité pour l’Administration de collecter des contenus sur les sites internet des opérateurs de plateformes en ligne.
L’article 154 de la loi 2019-1479 du 28 décembre 2019 a autorisé, à titre expérimental et pour une durée de trois années, les agents de la DGFiP et de la Direction des Douanes à collecter et à exploiter au moyen de traitements automatisés et informatisés les contenus librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateformes en ligne, manifestement rendus publics par leurs utilisateurs, afin de détecter certaines infractions graves aux dispositions du Code général des impôts et du Code des douanes.
Le décret 2021-148 du 11-2-2021 a défini les modalités d’application de ce nouveau dispositif.
3) Le rapport sénatorial « Fraude et évasion fiscales » du 25 octobre 2022.
Le Sénat a, dans un rapport du 25 octobre 2022 intitulé « Fraude et évasion fiscales », préconisé d’améliorer l’arsenal législatif pour lutter contre la fraude fiscale et adapter les moyens et méthodes aux nouvelles pratiques constatées.
Le rapport avait estimé souhaitable de proposer des ajustements nécessaires pour assurer l’efficacité et l’effectivité des dispositifs existant.
Le rapport prévoyait notamment 4 séries de recommandations :
1. Renforcer l’efficacité de la réponse judiciaire à la fraude fiscale par une fluidification des relations entre l’administration fiscale et les autorités judiciaires,
2. Poursuivre et amplifier les efforts déployés pour lutter contre la fraude à la TVA au niveau national comme européen,
3. Assortir les dispositifs d’accès aux données des garanties juridiques nécessaires pour assurer leur pleine effectivité,
4. Renforcer les outils de lutte contre les montages fiscaux abusifs.
4) Le communiqué de presse du 9 mai 2023 sur les mesures de lutte contre la fraude fiscale et douanière.
Le 9 mai 2023, Gabriel Attal, alors Ministre des Comptes Publics, a annoncé une série de mesures de lutte contre la fraude fiscale et douanière.
Le Ministre a rappelé que les droits notifiés par la DGFIP s’élevaient à 14,6 Md€ en 2022 euros et a annoncé :
- Un renforcement des contrôles fiscaux, En matière de contrôle fiscal, le nombre de contrôles fiscaux des particuliers augmentera de 25% d’ici 2027 et cet effort portera sur les plus gros patrimoines,
- Un renforcement des effectifs du contrôle fiscal et de la lutte contre la fraude fiscale avec une augmentation de 15% d’ici la fin du quinquennat,
- La création d’un Conseil de l’évaluation des fraudes,
diverses mesures de lutte contre la fraude « tout en accompagnant toujours mieux les contribuables de bonne foi même lorsqu’ils commettent de petites erreurs », - Un durcissement inédit de la réponse pénale contre les fraudes fiscales les plus graves (délit spécifique d’incitation à la fraude fiscale, peine complémentaire de travaux d’intérêt général à l’encontre des personnes reconnues coupables de fraude fiscale, création d’une sanction d’indignité fiscale qui priverait temporairement les personnes condamnées pour manquements graves à leurs obligations fiscales, du droit de percevoir des réductions d’impôt et crédits d’impôt).
Le projet de loi de finances pour 2024 a retenus certaines de ces propositions.
II - Le projet de loi de finances pour 2024 et la fraude fiscale.
1) le contrôle des prix de transfert.
Comme le Gouvernement l’avait annoncé, ce projet contient dans son article 22 deux séries de mesures portant sur le contrôle des prix de transfert :
- l’une élargit le champ d’application de l’obligation de tenue d’une documentation des prix de transfert en réduisant le seuil de déclenchement lié au chiffre d’affaires ou au montant d’actif brut de 400 M€ à 150 M€ pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024 et renforce la sanction encourue et la portée de cette obligation,
- l’autre vise la rectification des valeurs attribuées lors des transferts d’actifs ou droits incorporels difficiles à évaluer en admettant une rectification sur la base de résultats postérieurs à l’exercice au cours duquel a eu lieu la transaction et prolonge le délai de reprise de l’administration en cette matière jusqu’à la fin de la sixième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due.
2) L’institution d’un nouveau délit de facilitation de la fraude fiscale.
Le projet prévoit dans son article 20 de créer un délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale, visant les personnes physiques ou morales qui mettent à la disposition de tiers des moyens, services, actes ou instruments leur permettant de se soustraire à leurs obligations fiscales.
Ce nouveau délit permettrait d’engager de manière autonome des poursuites pénales à l’encontre de l’organisateur présumé d’un montage de fraude fiscale sans avoir à la notion de complicité notamment de fraude fiscale.
Serait visée la mise à disposition, à titre gratuit ou onéreux, d’un ou plusieurs moyens, services, actes ou instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers ayant pour but de permettre à un ou des tiers de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de tous les impôts.
Ces moyens, services, actes ou instruments consistent en :
1° L’ouverture de comptes ou la souscription de contrats auprès d’organismes établis à l’étranger,
2° L’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger,
3° La fourniture d’une fausse identité, de faux documents ou de toute autre falsification,
4° La mise à disposition ou la justification d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger,
5° La réalisation de toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration.
Le délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale serait puni, pour les personnes physiques, de 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 250 000 euros ou de 5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende lorsque la mise à disposition est commise en utilisant un service de communication au public en ligne outre les peines complémentaires prévues aux articles 1741 et 1750 du CGI (affichage et diffusion du jugement, privation des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer une profession libérale, commerciale ou industrielle et de gérer, diriger ou contrôler une entreprise commerciale ou industrielle, suspension du permis de conduire, nouvelle peine de privation des droits à réductions et crédits d’impôt sur le revenu et d’IFI).
Les personnes morales encourraient en application des articles 131-37 et 131-38 du Code pénal une amende égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques (soit 750 000 euros ou 1 500 000 euros), ainsi que les peines complémentaires prévues par les 1° à 6°, 9° et 12° de l’article 131-39 du Code pénal (dissolution, interdiction d’exercer l’activité dans le cadre de laquelle l’infraction a été commise, placement sous surveillance judiciaire, fermeture d’établissements, exclusion des marchés publics, interdiction de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé, affichage et diffusion de la décision, interdiction de percevoir des aides publiques).
3) La recherche sur internet de données destinées au contrôle fiscal.
Le projet prévoit dans son article 22, d’une part, une prolongation pour 2 ans du dispositif instauré par l’article 154 de finances pour 2020 qui avait autorisé, à titre expérimental, l’administration fiscale, ainsi que l’administration des douanes, à collecter et exploiter, au moyen de traitements informatisés et automatisés, les informations publiées par les utilisateurs de plateforme en ligne, à fins de recherche d’éventuelles infractions afin de détecter certaines infractions et, d’autre part, un nouveau dispositif de collecte par l’Administration de données sur internet.
L’expérimentation du dispositif de collecte et d’exploitation, au moyen de traitements informatisés et automatisés, des contenus librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateformes en ligne, effectué dans les conditions actuelles serait prolongé jusqu’au plus tard jusqu’au 31 décembre 2024 dans l’attente d’un décret fixant les nouvelles modalités d’application de ce dispositif et l’expérimentation de ce dispositif effectué dans de nouvelles conditions serait prolongée pour une durée de deux ans suivant la publication du décret à intervenir.
Les agents de l’Administration fiscale seraient également habilités à réaliser des enquêtes actives sous pseudonyme sur des sites internet, réseaux sociaux et applications de messagerie, afin de rechercher et ou de constater certains manquements constitutifs des infractions fiscales suivantes :
- défaut ou retard de production d’une déclaration en cas de découverte d’une activité occulte,
- insuffisances de déclaration,
- défaut de déclaration des comptes ou contrats d’assurance-vie détenus à l’étranger ou des trusts,
- disposition de biens ou de sommes d’argent ayant trait à une activité illicite, donnant lieu à présomption de revenus.
Les agents pourraient prendre connaissance de toute information publiquement accessible sur les plateformes ou interfaces en ligne, y compris lorsque l’accès à ces plateformes ou interfaces requiert une inscription à un compte étant précisé que certains agents (ceux affectés à un service à compétence nationale désigné par décret) pourraient également participer à des échanges électroniques y compris avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces manquements.
Les agents pourraient naturellement extraire ou conserver les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces manquements et tous éléments de preuve obtenus dans le cadre des enquêtes diligentées.
Par contre, l’article prévoit expressément que, à peine de nullité, ces actes ne peuvent pas constituer une incitation à commettre un manquement.
Ce nouveau dispositif entrerait en vigueur le 1er janvier 2024 à condition que le décret d’application de ce texte soit publié avant cette date.
4) La création d’une peine complémentaire de privation temporaire du droit au bénéfice de réductions et crédits d’impôt.
Le projet prévoit dans son article 21 de créer une peine complémentaire de privation temporaire du droit au bénéfice de réductions et crédits d’impôt en cas de fraude fiscale aggravée.
Seraient concernées par cette peine complémentaire les personnes physiques reconnues coupables du délit de fraude fiscale (ou de recel ou de blanchiment de fraude fiscale) avec les circonstances aggravantes prévues aux deuxième à huitième alinéas de l’article 1741 du CGI c’est-à-dire lorsque la fraude a été commise en bande organisée ou réalisée ou facilitée au moyen :
1° Soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;
2° Soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;
3° Soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents ou de toute autre falsification ;
4° Soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;
5° Soit d’un acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle.
Les personnes pourraient alors être privées par le jugement du tribunal judiciaire, pour une durée maximale de trois ans, du droit à l’octroi de réductions ou crédits d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur la fortune immobilière à l’exclusion des crédits d’impôts octroyés sur le fondement d’une convention internationale ayant pour objet l’élimination de la double imposition.