Introduction.
Dans le cadre des objectifs que l’OHADA (organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) s’est assigné notamment celui d’assurer la sécurité juridique et judiciaire des transactions économiques pour stimuler l’investissement, le législateur du droit harmonisé a aménagé une procédure spéciale, simple, rapide et efficace pour le recouvrement de certaines créances remplissant un certain nombre de conditions.
Il s’agit de la procédure d’injonction de payer qui est prévue et régie par les dispositions des 18 premiers articles de l’acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUVE).
Ainsi, lorsque certaines conditions (1) sont remplies, le créancier peut saisir la juridiction compétente (2) en mettant en œuvre cette procédure (3) afin d’obtenir une décision (4) à laquelle la loi attache des effets (5) et contre laquelle certains recours peuvent être exercés (6).
1- Les conditions relatives à la créance.
Pour obtenir une ordonnance d’injonction de payer, la créance dont le recouvrement est poursuivi doit remplir deux séries de conditions : celles relatives à la nature de la créance et celles relatives à l’origine ou la cause de la créance.
1-1) Les conditions relatives à la nature de la créance.
- Une créance certaine : la créance certaine est celle qui ne fait l’objet d’aucune contestation. Le créancier et le débiteur sont tous les deux d’accord sur son existence. Elle doit être réelle donc non éventuelle, elle ne doit pas être assortie d’une condition suspensive non plus.
- Une créance liquide : la créance liquide est celle dont le montant est déterminé. Son quantum est connu de manière précise. Cela peut résulter d’une reconnaissance de dette qui mentionne le montant avec précision, d’une facture ou de tous autres documents qui déterminent le montant principal et les intérêts le cas échéant. Exemple : une créance de 10.000.000 GNF ; Une créance principale de 50.000.000 GNF et les intérêts de 17.000.000 GNF.
La créance liquide est également celle dont le montant est déterminable à travers un calcul simple. Exemple : le débiteur doit au créancier 10 mois de loyers pour un loyer mensuel de 2.000.000 GNF. En revanche, l’on ne peut faire recours à l’injonction de payer pour le recouvrement d’une créance dont le montant définitif reste à déterminer en raison des paiements effectués par le débiteur [1]. Ou encore une créance à propos de laquelle une procédure de reddition de compte est pendante entre les parties en raison de la contestation sur le montant [2] ; - Une créance exigible : la créance exigible est celle dont l’échéance est arrivée. La date convenue entre les parties pour son paiement est arrivée. Exemple : une créance payable le 10 décembre 2023 devient exigible à cette date. Avant cette date, son recouvrement ne peut être poursuivi par la procédure d’injonction de payer.
Conséquemment, les créances assorties d’un terme suspensif ne peuvent être recouvrées selon cette procédure.
1-2) Les conditions relatives à la cause de la créance.
Pour obtenir une ordonnance d’injonction de payer, la créance dont le recouvrement est poursuivi doit avoir une origine contractuelle ou cambiaire.
- Une créance d’origine contractuelle : l’on dit qu’elle est d’origine contractuelle lorsque la créance résulte d’un contrat. Exemple : le loyer résultant d’un contrat de bail ou la créance résultant d’une prestation de services. Il s’ensuit que les créances d’origine délictuelle, quasi-délictuelle, quasi-contractuelle ou légale sont exclues du champ de cette procédure. Ainsi, le recouvrement d’un impôt, d’une taxe ou des dommages-intérêts ne peut être poursuivi selon la procédure d’injonction de payer.
- Une créance d’origine cambiaire : outre les créances d’origines contractuelles, celles qui résulte de l’émission ou de l’acceptation d’un effet de commerce (lettre de change ou billet à ordre) ou d’un chèque, dont la provision s’est révélée insuffisante ou inexistante peuvent également être recouvrées selon la procédure d’injonction de payer. Ce choix du législateur communautaire est aisément compréhensible car, ces titres indiquent toujours un montant précis.
Il y a cependant lieu de préciser que concernant les créances résultant de l’émission d’une lettre de change, la procédure ne peut être engagée que contre le tireur dont l’engagement résulte de ce titre. Pour poursuivre le recouvrement contre le tiré d’une lettre de change, il faut qu’il l’ait préalablement acceptée. Puisqu’une simple émission du titre par le tireur n’engage en rien le tiré qui n’a pas accepté.
Quant au bénéficiaire d’un chèque, il peut toujours engager cette procédure contre son émetteur en cas d’insuffisance ou d’inexistence de la provision. Exemple : Monsieur Sacko émet au profit de monsieur Kaba un chèque de Dix millions de francs guinéens (10.000.000 GNF) alors qu’il n’a que six millions de francs guinéens (6000.000 GNF) dans son compte bancaire ou rien du tout. Dans ce cas, monsieur KABA peut poursuivre le recouvrement du reliquat de 4.000.000 GNF ou de tous les 10.000.000 GNF selon les cas, à travers la procédure d’injonction de payer.
Il ressort clairement de toutes ces conditions que la procédure d’injonction de payer ne concerne que les créances dont l’existence, le montant et l’origine ne nécessitent pas de démonstrations complexes. C’est d’ailleurs pour cette raison que le législateur communautaire a simplifié leur recouvrement.
Pour que cette procédure aboutisse, elle doit être engagée devant la juridiction compétente (2).
2- La juridiction compétente en matière d’injonction de payer.
Sur la compétence territoriale de la juridiction, la procédure d’injonction de payer ne fait pas exception à la maxime actor sequitur forem rei qui signifie que le tribunal territorialement compétent est celui du défendeur. Comme cela résulte de l’article 3 de l’AUVE, la juridiction compétente est celle du domicile ou du lieu où réside effectivement le débiteur ou l’un d’entre eux en cas de pluralité de débiteurs.
S’agissant de la compétence matérielle, c’est la juridiction compétente en matière civile selon l’organisation judiciaire de chaque État-partie qui doit connaitre de cette procédure. Il faut tout de même préciser que ce n’est pas la juridiction elle-même qui est compétente pour statuer sur une requête aux fins d’injonction de payer, mais plutôt son président qui constitue la juridiction présidentielle.
Pour obtenir une ordonnance d’injonction de payer, le créancier doit introduire au greffe de la juridiction compétente une requête (3) dont la recevabilité dépend de certaines mentions obligatoires.
3- La requête aux fins d’injonction de payer.
La requête est l’acte par lequel la procédure est introduite. C’est elle qui saisit le président de la juridiction compétente. Étant l’acte de saisine, la requête doit, à peine d’irrecevabilité, contenir certaines mentions indiquées à l’article 4 de l’AUVE qui sont :
1) Les noms, prénoms, profession et domiciles des parties ou, pour les personnes morales, leurs forme, dénomination et siège social.
Il résulte de cette disposition que l’exigence de l’indication de ces éléments d’identification de la personne physique ou morale est une obligation dont l’inobservation est sanctionnée par l’irrecevabilité. A ce propos, la CCJA (Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA) a déjà jugé dans son arrêt N°041/2005 du 07 juillet 2005 que la requête aux fins d’injonction de payer qui ne précise ni la forme juridique de la personne morale requérante ni celle de la personne morale dont la condamnation est demandée, viole l’article 4 et doit en conséquence être déclarée irrecevable.
2) l’indication précise du montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance ainsi que le fondement de celle-ci.
Elle est accompagnée des documents justificatifs en originaux ou en copies certifiées conformes.
Ce deuxième point exige un élément qui est inhérent à la nature de la procédure d’injonction de payer. Car si la procédure de recouvrement a été simplifiée par le législateur communautaire, c’est parce que cette créance dont le recouvrement est poursuivi est déterminée ou facilement déterminable. Donc, la requête qui n’indique pas le montant de la somme réclamée ou qui précise seulement une partie du montant sans indiquer les autres éléments alors qu’elle réclame la totalité, ne permet pas à la juridiction de statuer sur le montant pour le paiement duquel le débiteur doit être condamné. C’est donc à bon droit qu’une telle requête est déclarée irrecevable par la juridiction compétente. La Cour d’appel de Ouagadougou, dans son arrêt n°043 du 20 juin 2008 a, à cet effet, jugé que la requête aux fins d’injonction de payer qui se contente d’indiquer le montant réclamé en principal outre les intérêts de droit et les frais de procédure sans évaluer les intérêts de droit, doit être déclarée irrecevable.
L’alinéa 2 du paragraphe 2 de l’article 4 exige également que la requête soit accompagnée de documents justificatifs de la créance en originaux ou en copies certifiées conformes. Cette indication pourrait, à certains égards, paraitre superflue, tant il est vrai que les documents justificatifs de la créance sont indispensables et qu’ils représentent le substrat même de la décision du président sans lesquels il n’y a presqu’aucune chance qu’une ordonnance d’injonction de payer soit rendue.
4- La décision de la juridiction.
Lorsque la requête aux fins d’injonction de payer est introduite, soit le président de la juridiction compétente rend une ordonnance d’injonction de payer ou il rejette la requête.
L’ordonnance d’injonction de payer.
Lorsqu’il estime, au vu des pièces, que la demande est fondée en tout ou en partie, le président de la juridiction compétente rend une ordonnance d’injonction de payer pour le montant qu’il fixe dans sa décision. Il faut préciser que cette ordonnance peut accueillir partiellement les prétentions du requérant en ordonnant le paiement d’une partie du montant réclamé et en rejetant l’autre partie en fonction des pièces justificatives produites par le créancier.
Le créancier qui a bénéficié d’une ordonnance d’injonction de payer doit la signifier au débiteur dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’ordonnance a été rendue.
Cette signification qui doit se faire par acte extrajudiciaire, doit contenir les mentions indiquées à l’article 8 de l’AUVE, qui sont : la sommation d’avoir à payer le montant indiqué dans l’ordonnance ou lorsque le débiteur entend faire valoir des moyens de défense, à former opposition en indiquant le délai dans lequel elle doit être faite ; la juridiction devant laquelle elle doit être portée et les formes selon lesquelles elle doit être faites.
Elle doit indiquer également au débiteur qu’il peut prendre connaissance des documents produits par le créancier au greffe de la juridiction dont le président a rendu l’ordonnance d’injonction de payer et qu’à défaut de faire opposition dans le délai indiqué il peut être contraint par toutes voies de droit au paiement de la somme indiquée dans l’ordonnance.
La sanction de l’inobservation de l’obligation de signification dans le délai de trois mois est que l’ordonnance d’injonction de payer sera non avenue. Donc elle sera privée de tout effet comme si elle n’avait jamais existé.
Quant aux mentions obligatoires de l’exploit de signification, leur inobservation est sanctionnée par la nullité de l’exploit. A titre d’illustration, la Cour d’appel de Ouagadougou a jugé dans l’arrêt n°043 du 20 juin 2008 qu’il y a lieu d’annuler l’exploit qui porte à la connaissance du débiteur l’existence d’une ordonnance d’injonction de payer sans indiquer le montant des intérêts et frais de greffe, dès lors qu’il ne permet pas au débiteur de connaitre l’étendue de son obligation.
La décision de rejet de la requête.
Lorsque le président de la juridiction compétente saisi d’une requête aux fins d’injonction de payer estime qu’au vu des pièces produites par le créancier la demande n’est pas fondée, il rejette purement et simplement la requête. Ce rejet met fin à la procédure de recouvrement simplifié.
5- Les effets de la décision.
Lorsque l’ordonnance d’injonction de payer est rendue, si le débiteur ne forme pas opposition dans le délai de 15 jours ou lorsqu’il se désiste de son opposition, le créancier peut, dans un délai de deux mois, demander l’apposition de la formule exécutoire au greffe de la juridiction dont le président a rendu l’ordonnance. Après cette formalité, l’ordonnance d’injonction de payer produit tous les effets d’une décision contradictoire et est insusceptible d’appel conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 16 de l’AUVE. Il faut rappeler que l’ordonnance d’injonction de payer est non avenue si dans les deux mois de sa date le créancier n’accomplit pas les formalités tendant à l’apposition de la formule exécutoire.
Lorsque le débiteur n’est pas d’accord avec la décision du président, il exerce les voies de recours.
6- Les voies de recours.
6-1) En cas d’ordonnance d’injonction de payer.
L’opposition.
Lorsqu’une ordonnance d’injonction de payer est rendue contre un débiteur, si celui-ci entend contester cette décision, il doit former opposition dans les quinze jours suivant la signification à personne de l’ordonnance d’injonction de payer. Si la signification n’a pas été faite à personne, ce délai commence à courir à partir de la première mesure d’exécution rendant indisponible tout ou partie des biens du débiteur. Ainsi, le législateur communautaire, pour se rassurer que le débiteur est effectivement informé de l’existence de l’ordonnance, exige qu’il soit personnellement touché par l’exploit de signification ou qu’une partie de ses biens soit rendue indisponible, pour que le délai d’exercice de l’opposition commence à courir à son égard.
La juridiction compétente pour statuer sur l’opposition est celle dont le président a rendu l’ordonnance d’injonction de payer. Cette juridiction une fois saisie de l’opposition, procède à une tentative de conciliation. Lorsque la conciliation aboutit, le président dresse un procès-verbal de conciliation signé par les parties dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire. Ce procès-verbal, au sens de l’article 33 paragraphe 3 de l’AUVE est un titre exécutoire.
Au contraire, si la conciliation n’aboutit pas, la juridiction statue sur la demande de paiement et rend une décision qui aura la même valeur qu’une décision contradictoire. Cette décision se substitue à l’ordonnance d’injonction de payer.
Il est utile de rappeler que la tentative de conciliation prévue à l’article 12 de l’AUVE n’est pas une formalité prescrite à peine de nullité, puisqu’il n’y a pas de nullité sans texte. Cela est d’autant plus vrai que l’article 12 susvisé ne prévoit aucune sanction en cas d’inobservation de cette formalité. C’est pourquoi la Cour d’appel de Dakar dans son arrêt n°495 du 08 juillet 2010 a établi que le grief fondé sur ce qu’il ne ressort pas des mentions d’un jugement que cette formalité (tentative de conciliation) a été observée doit être rejeté comme inopérant.
Lorsque la décision rendue sur opposition donne satisfaction aux parties, elle met fin à la procédure. Dans le cas contraire, la partie qui n’est pas satisfaite de la décision, interjette appel contre ce jugement.
L’appel.
L’appel contre le jugement rendue sur opposition doit être exercé selon les conditions prévues par la loi interne de chaque État-partie en la matière. Cependant l’AUVE prévoit un délai de 30 jours pour exercer cette voie de recours qui s’impose à tous les États-parties.
Cas des décisions rendues en premier et dernier ressort.
Dans l’organisation judiciaire de certains États-parties, certains contentieux relèvent, en premier et dernier ressort, de la compétence de certaines juridictions de premier degré. C’est le cas de la République de Guinée où la loi 0034 du 04 juillet 2021 portant création, attribution, organisation et fonctionnement des juridictions de commerce, en son article 9 prévoit que les tribunaux de commerce statuent en premier et dernier ressort sur toutes les demandes dont le montant en principale n’excède pas cinquante millions de francs guinéens (50.000.000 GNF).
Conformément à cette disposition, les décisions rendues par les tribunaux de commerce pour les affaires dont le taux ne dépasse pas le seuil sus-indiqué sont insusceptibles d’appel. Ainsi, l’appel étant exclu, le recours ouvert contre de telles décisions est le pourvoi en cassation. C’est l’hypothèse de la cassation directe. La CCJA a confirmé cette position dans son arrêt CCJA 1e ch n°085, 28-3-2019, sté Dekel oil cote d’ivoire c/ Ahoulou Amou Hyacinthe.
Distinction entre le délai de 30 jours et le délai d’un mois.
L’article 15 de l’AUVE prévoit un délai de 30 jours pour interjeter appel contre un jugement rendu sur opposition. Pour la computation de ce délai, il est important de faire une distinction entre ce délai exprimé en jours et le délai d’un mois.
Les délais de procédure en droit OHADA étant des délais francs, leur date de départ (dies a quo) et leur date d’arrivée (dies ad quem) ne sont pas comptées qu’ils soient exprimés en jours ou en mois.
Il faut relever que les délais exprimés en mois se comptent de quantième à quantième, c’est-à-dire selon les dates anniversaires. Exemple : une période d’un mois allant du 10 juillet au 10 aout, ou une période allant du 15 février au 15 mars. Il s’ensuit qu’une période d’un mois peut faire moins de 30 jours tout comme elle peut faire plus de 30 jours en fonction du nombre de jours que contiennent les mois concernés.
En revanche, un délai exprimé en jours comme c’est le cas à l’article 15 de l’AUVE, oblige à compter le nombre de jours indiqué sans considération des quantièmes.
Aussi, cette computation doit-elle respecter les règles applicables aux délais francs.
C’est-à-dire qu’il faut exclure le premier et le dernier jours. Lorsque le dernier jour tombe sur un samedi, un dimanche ou un jour férié, le délai sera prolongé jusqu’au 1er jour ouvrable suivant. Cette distinction est illustrée par l’arrêt CCJA 1e ch.,n°066, 14-3-2019 banque Maroco centrafricaine c/ la sté centrafricaine des télécommunications, dans lequel la CCJA a jugé que contrairement aux affirmations de la requérante, le délai d’appel contre un jugement sur opposition à injonction de payer n’est pas exprimé en mois et sa computation ne se fait pas sur la base des dates anniversaires.
6-2) En cas de rejet de la requête.
Lorsque la requête aux fins d’injonction de payer est rejetée, la procédure simplifiée de recouvrement prend fin. Il n’y a plus de recours permettant au créancier d’obtenir une ordonnance d’injonction de payer.
Cependant, il peut faire recours à la procédure de droit commun pour obtenir une décision. Car si le rejet de la requête signifie que le créancier ne peut pas recouvrer sa créance par cette procédure simplifiée parce que ne remplissant pas les conditions, elle ne signifie pas que la créance n’existe pas.