La rencontre du droit de l’arbitrage et du droit des sociétés soulève de bien d’épineuses questions, dont l’étude ne se limite pas à une simple jurisprudence. Les actes statutaires et extra-statutaires sont avant même d’être institutionnels sont des contrats. Ils s’inscrivent dans la durée et se renouvelle incessamment. Il est donc envisageable d’anticiper l’intégration d’une clause de règlement contractuel des éventuels différends notamment par la clause de médiation et d’arbitrage. Ces clauses ne pourront être mises en œuvre que dans le respect de l’ordre public sociétaire [3], qui peut être considéré comme une déclaque de l’ordre public économique [4]. Dès lors, se pose la question de l’arbitrabilité et de la médiabilité des conflits sociétaires.
À l’aune de la récente jurisprudence, il convient d’explorer la problématique de l’arbitrabilité des conflits en matière de droit des sociétés, en analysant plus particulièrement la décision de la CCJA pour déterminer les critères dont elle a tenu compte afin d’apprécier la validité de la clause arbitrale insérée dans les statuts.
I- L’arbitrabilité des litiges sociétaires.
L’arbitrabilité des litiges en droit des sociétés ne revêt pas un caractère anodin en droit français. Elle est patente tant par la jurisprudence que par la doctrine [5], exprimant ainsi une volonté de flexibilité que le législateur continue d’offrir aux organes des sociétés, leur permettant d’organiser au mieux la gestion des conflits. En dépit des dispositions de l’article 2060 du Code civil, de la nature d’ordre public, qui régissent le droit des sociétés [6], certains juges manifestent une sensibilité à l’égard des clauses de règlement alternatif amiable. Ainsi, dans un arrêt, la Cour a estimé que la clause d’arbitrage n’était pas manifestement nulle ou inapplicable, malgré le caractère d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil. De ce fait, l’ordre public sociétaire semble appréhender de moins en moins les pactes extrastatutaires. Cette tolérance manifeste de l’ordre public se traduit également lors de la constitution de la société, de son fonctionnement, de sa dissolution [7], ainsi que des modalités d’acquisition et de perte de la qualité d’associé.
À l’instar de son homologue français, la jurisprudence OHADA admet progressivement l’arbitrabilité des litiges en droit des sociétés. La jurisprudence est abondante sur la question et l’arrêt de la CCJA inscrit dans un contexte particulier des dispositions statutaires. Les actes sociétaires tels que le pacte d’actionnaires, les conventions réglementées, les statuts et les conventions de cession s’inscrivent tous dans un cadre contractuel. Il n’est pas rare que des contentieux surviennent entre les organes de la société lors de l’exécution de ces actes. Ces derniers peuvent structurer leurs relations à travers des clauses compromissoires favorisant ainsi la gestion proactive des litiges. La résolution de ces conflits est alors d’autant plus essentielle qu’elles affectent souvent indirectement des tiers que sont les autres associés et la société elle-même et ses partenaires. Cette réalité explique que les clauses d’arbitrage sont acceptées dans les relations entre associés, qu’elles s’appuient sur les statuts ou sur des pactes extrastatutaires. Dès lors, la prévalence des clauses d’arbitrage dans les conventions de cession démontre que les contentieux impliquant des structures sociétaires trouvent dans l’arbitrage une voie appropriée de résolution.
La force juridique de la clause d’arbitrage a été considérablement renforcée par la jurisprudence de la CCJA du 11 juillet 2024. Ainsi, la Cour promeut une approche pragmatique de la résolution des conflits internes, en permettant aux parties de choisir une modalité de règlement plus rapide et flexible que les procédures judiciaires traditionnelles. En revanche, la CCJA, dans sa décision, n’a pas précisé de manière explicite, les critères à considérer pour évaluer la validité de la clause compromissoire dans le cadre de ce litige sociétaire, afin que ces critères puissent s’appliquer à d’autres cas similaires.
II- L’utilité des critères adoptés par la CCJA pour l’arbitrabilité des conflits sociétaires.
Comme l’affirmait Simon Farges, l’arbitrabilité des litiges en droit des sociétés est désormais acquise. Cependant, cette certitude n’est-elle pas conditionnée par des critères limitant son admission pour éviter de heurter l’ordre public ? Ou est-ce l’ordre public conditionne, à son tour, l’arbitrabilité des litiges en droit des sociétés ? Pour répondre à cette question, il est essentiel d’examiner la décision de la CCJA.
En se référant aux dispositions de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales, plus particulièrement aux articles 147, 148 et 149, la CCJA a admis l’arbitrabilité des litiges sociétaires. En ce sens, compte tenu de ces dispositions transposables dans le droit des États membres, le maintien de l’efficacité de l’arbitrage dans les conflits d’intérêt entre associés est impératif. Par conséquent, la cour a jugé que la clause d’arbitrage insérée dans l’acte statutaire ne saurait être déclarée nulle au seul motif que les parties en cause sont des actionnaires d’une société. Ainsi, en 2010, la CCJA avait déjà affirmé dans un arrêt que le juge doit se déclarer incompétent comme le demandait l’une des parties, dès lors qu’existe une clause compromissoire [8].
Pour valider une clause d’arbitrage, la Cour a également prise en compte le principe de l’autonomie [9] des clauses compromissoires, qui repose sur deux notions essentielles : l’indépendance et la séparabilité. La séparabilité stipule que les vices qui pourraient entacher le contrat n’affectent pas la clause d’arbitrage, tandis que l’indépendance signifie que les exceptions contenues dans d’autres contrats ou documents annexes ne sauraient être opposées à la clause d’arbitrage [10]. Se fondant sur ce principe, la Cour est parvenue à la conclusion selon laquelle, même si certaines clauses statutaires peuvent être jugées illicites, cela n’invalide pas nécessairement la clause compromissoire. Toutefois, comment la cour a-t-elle appréciée l’autonomie de la clause ? Contrairement au droit français, le droit OHADA s’inspire des règles matérielles pour confirmer lentement l’autonomie de la convention d’arbitrage, et indirectement sa validité [11]. Cette décision renforce le principe d’autonomie des clauses compromissoires, et, dans la mesure où la médiation est considérée comme étant dérivée de l’arbitrage, elle bénéficie des mêmes prérogatives que sa "mère".
En approfondissant son analyse, la Cour a examiné les termes de la clause d’arbitrage afin de déterminer si celle-ci était conforme aux dispositions légales tant dans le cadre de l’OHADA que dans le droit camerounais. Autrement dit, il s’agit d’évaluer la conformité de la clause avec l’ordre public de l’OHADA [12] en général et du Cameroun en particulier. La notion d’ordre public selon le droit OHADA demeure sujette à controverse et manque d’une définition précise émanant de la CCJA. L’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage se réfère à l’ordre public des « États membres ». Il convient alors de s’interroger sur l’uniformité et l’homogénéité de l’ordre public interne parmi les États membres.
Ainsi, l’ordre public interne est-il uniforme parmi les États membres ? La notion d’ordre public interne a été clarifiée par un arrêt de la CCJA en 2008, concernant un litige entre la société Sonapra et la société SHB. Dans cette décision, la CCJA a souligné la distinction entre deux systèmes juridiques : l’ordre public interne, applicable uniquement aux arbitrages internes, et l’ordre public international, pertinent uniquement pour les arbitrages internationaux. Cette décision soulève certaines questions. D’une part, elle révèle l’existence d’une pluralité d’ordres publics.
Bien que les États membres disposent d’un cadre juridique commun, chacun d’eux possède également ses propres normes impératives, qui peuvent varier d’un pays à l’autre. Par conséquent, ce qui est perçu comme une violation de l’ordre public dans un État membre peut ne pas l’être dans un autre. De plus, cette décision de la CCJA laisse entendre que les règles d’arbitrage interne peuvent primer sur les principes d’harmonisation du droit commercial au sein de l’OHADA, ce qui pourrait entraîner des conséquences imprévisibles pour des litiges similaires à venir concernant la médiation. Ce critère semble donc incomplet et requiert davantage de clarification.
Pour conclure, la Cour a examiné les conditions de mise en œuvre de la clause d’arbitrage en s’intéressant aux principes directeurs du processus arbitral. Le principe de la compétence-compétence entre en jeu. Ainsi, la saisine d’une juridiction étatique ne doit pas être interprétée comme une renonciation à l’arbitrage. In fine, il incombe à l’arbitre de statuer, à titre prioritaire, sur la validité de la clause et sur sa propre compétence. La Cour a également veillé à respecter le principe du contradictoire tout au long de la procédure.
En somme, le caractère arbitrable des litiges entre associés, la validité des clauses compromissoires, ainsi que le respect des principes de procédure et de légalité, se posent comme des critères nécessaires à la validation de la clause compromissoire par la CCJA dans les affaires relevant de l’OHADA. Cette réflexion mérite d’être étendue à la question de la médiabilité des litiges sociétaires.