L’entreprise en tant qu’unité économique créatrice de la valeur et de l’emploi, constitue présentement un vecteur du développement et de la croissance économique. En effet la stabilité des entreprises, à l’heure qu’il est, demeurent toujours menacée et leur chemin est incessamment semé d’embûches vu les circonstances et les crises accidentelles dont elles ne sortent pas souvent indemnes, d’où le souci d’œuvrer à leur prémunition contre les risques qui sont à l’affût en vue de leur garantir la continuité et la permanence.
Face à cette réalité pour le moins préoccupante que presque toutes les législations du monde entier s’efforcent continuellement à mettre en place des mesures, métaphoriquement, palliatives et à les moderniser au fur et à mesure pour remédier aux crises pouvant éventuellement se profiler à l’horizon. Ainsi le législateur marocain quant à lui n’est pas resté bouche bée face à ce constat puisque, depuis toujours, il essaie de mettre sa législation au diapason des évolutions recensées en la matière. A ce propos il a mis en place un faisceau de mesures anticipatives tendant à faire dissiper en amont toute crise susceptible d’ankyloser la continuité de l’entreprise avant même la recrudescence de la situation et à la mettre à l’abri de tout évènement compromettant.
La procédure de conciliation s’agit de l’une de ces mesures proactives visant à sauver l’entreprise avant qu’elle ne tombe dans la cessation de paiement et qu’elle n’occasionne de ce fait une atteinte à l’ordre public économique. La conciliation est pilotée par un conciliateur pouvant être choisi par le chef d’entreprise lui-même et au cours de laquelle il s’entremet pour trouver un accord entre l’entreprise en cause et ses créanciers. Pour ce faire, ceux-ci sont appelés au cours de la conciliation à faire preuve de fidélité et de dévouement vis-à-vis de l’entreprise et non pas à s’en détourner. En d’autres termes, les créanciers sont conviés de se résigner à ravitailler la trésorerie de l’entreprise en y’injectant de nouveaux apports et biens ou globalement da continuer à la financer.
C’est pourquoi, dans le but d’exhorter les créanciers à se prêter à ce soutien, que le législateur avait instauré un privilège conséquent et significatif au profit de cette catégorie de créanciers. C’est le fameux privilège de la New money. Il s’agit d’une sorte de récompense en faveur des créanciers qui, en dépit des problèmes risquant de mettre l’entreprise dans l’embarras, n’ont pas tourné le dos.
Le privilège de la New money donne le droit à tout créancier continuant de procurer du financement à l’entreprise, lors de la conciliation, d’être payé immédiatement si possible ou par priorité à tous les autres créanciers bien qu’ils soient titulaires de sûretés. Autrement dit, ce privilège garantie à son titulaire un rang favorable dans l’hypothèse d’un plan de sauvegarde, de redressement ou en cas de liquidation judiciaire car il va passer avant toutes les autres créances à l’exception des frais de justice et du super-privilège des créances salariales.
Au Maroc, le privilège de la New money fait l’objet d’une consécration par l’article 558 du livre V. Pourtant, le fait d’en bénéficier est bel et bien sujet à trois conditions sine qua none, à défaut desquelles le créancier y aspirant sera taxé d’inéligibilité au privilège.
Premièrement, aux termes de l’article susmentionné, l’éligibilité à ce privilège suppose d’abord que le créancier consente soit un nouvel apport en trésorerie soit un nouveau bien ou service en vue de la poursuite de l’activité de l’entreprise et sa pérennité. Toutefois l’alinéa 3 du même article prévoit que ledit privilège ne profite pas aux actionnaires et associés qui, dans le cadre d’une augmentation de capital, consentent de nouveaux financements. Cette exception est motivée par le fait que les actionnaires et associés n’ont pas A priori la qualité de créanciers et que dans le cadre d’une augmentation de capital les actionnaires et associés reçoivent en échange des parts sociales et des actions, lesquelles sont rémunérées par des dividendes. Par ailleurs, il convient de préciser que les associés auront vocation à exciper du privilège de la New money en cas d’avances en compte courant d’associés.
Deuxièmement, il ressort de l’alinéa 4 de l’article 558 du Code de commerce que les créanciers signataires de l’accord ne peuvent bénéficier directement ou indirectement de cette disposition au titre de leurs concours antérieurs à l’ouverture de la procédure de conciliation. Ceci dit, le nouvel apport procuré par les créanciers doit nécessairement intervenir durant la procédure de conciliation et non pas antérieurement à son ouverture.
Troisièmement, l’éligibilité au privilège de la New money est conditionnée par l’aboutissement à un accord ayant fait l’objet d’une homologation par le président du tribunal de commerce conformément à l’article 556 du livre V. Autrement dit, les créanciers ne se prévaudront pas de cet avantage que si la procédure de conciliation s’est soldée par la conclusion d’un accord auquel les créanciers ont adhéré.
Il sied de signaler que le privilège de la New money fait bénéficier son titulaire d’une certaine suprématie par rapport aux créances postérieures au jugement d’ouverture de la sauvegarde et du redressement ainsi que celles nées en cas de plan de continuation d’une entreprise soumise à la liquidation judiciaire qui sont respectivement prévues aux articles 565 et 590 et au 2ème alinéa de l’article 652.
Au bout du compte, l’intérêt de l’institution de ce privilège est foncièrement incitatif pouvant être envisageable comme une aubaine de taille profitant aux créanciers qui tiennent compagnie à l’entreprise en difficulté en vue d’éluder une déconfiture potentielle susceptible de nuire à l’ordre public économique et enfanter en conséquences d’innombrables crises sur le plan social.