Précisions sur le préjudice sexuel de la victime par ricochet.

Par Flavien Ferrand, Etudiant.

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Explorer : # préjudice sexuel # victime par ricochet # indemnisation

Pour la première fois, la Haute juridiction reconnaît explicitement le préjudice sexuel de la victime par ricochet. Elle affirme que « le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, peut être éprouvé par ricochet par le conjoint de la victime directe qui, à la suite du fait dommageable, subit elle-même un tel préjudice ».
Article actualisé par son auteur en septembre 2022.

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La nomenclature Dintilhac [1] désigne le préjudice sexuel comme « la réparation des préjudices touchant à la sphère sexuelle » [2]. Néanmoins, elle réserve ce poste de préjudice à la seule victime directe. Dans l’arrêt en date du 30 juin 2021 [3], la Cour de cassation étend ce préjudice à la victime par ricochet, unifiant ainsi le traitement des victimes directes et des victimes par ricochet.

L’autre apport de cet arrêt est de prendre en compte le retentissement sexuel éprouvé par le conjoint, victime par ricochet, en cas de décès de la victime directe au titre du préjudice d’affection. Même si cette demande n’a pas pu aboutir en raison de l’article L1142-2, II, du Code de la santé publique, lequel pose des règles particulières en matière d’indemnisation des victimes indirectes d’accident médical non fautif, il y a lieu de penser que cette interprétation s’appliquera en dehors de ce cas de figure.

Cette solution est l’occasion pour les hauts magistrats de préciser les contours du préjudice sexuel par ricochet, ainsi que sa singularité. Si nous ne pouvons pas blâmer la prise en compte des répercussions d’un accident sur la vie sexuelle des victimes, la manière de les reconnaitre et de les indemniser doit avoir du sens ; elle peut avoir pour effet de minimiser les conséquences pour les victimes, et donc lui octroyer une indemnisation moindre, ce qui ne réparera pas la totalité du préjudice subi.

1. Des précisions sur les contours du préjudice sexuel par ricochet.

Le préjudice sexuel comprend trois sous-postes de préjudice [4] :
- Le préjudice morphologique qui est lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ;
- Le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) ;
- Le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical, etc.)

Ce poste de préjudice est repris mot pour mot par la Cour de cassation [5] qui en fait d’ailleurs une application souple. Elle a par exemple reconnu un préjudice sexuel pour la victime directe en cas de gêne positionnelle [6] ou en raison de l’importance des mécanismes psychiques de ralentissement cognitif global, de dépressivité et de dévalorisation de soi [7]. Finalement, le préjudice sexuel est constitué dès que la vie sexuelle de la victime directe est modifiée.

Mais s’il est une chose de reconnaître un préjudice sexuel à la victime directe, il en est une autre de reconnaître un préjudice sexuel à la victime par ricochet. Comme le précise la Haute juridiction, la victime par ricochet peut subir un préjudice sexuel si la victime directe en subit un elle aussi, mais elle n’en subit pas nécessairement un. Alors que les juges du fond ne contrôlent que trop peu la réalité de ce préjudice chez la victime par ricochet [8], ils le déduisent bien trop souvent de celui de la victime directe [9]. Si le préjudice sexuel par ricochet est constitué lorsque la vie sexuelle de la victime par ricochet est modifiée, encore faut-il que ladite victime le prouve. Il est en effet possible que seule la victime directe perde du plaisir à avoir des relations sexuelles, sans que cela impacte forcément la sexualité de la victime par ricochet.

Pourtant, la jurisprudence des juridictions du fond lie, à tort, le préjudice sexuel de la victime par ricochet à celui de la victime directe. Si cette dernière ne peut justifier d’un préjudice sexuel, alors les juges du fond refusent de reconnaître un préjudice sexuel à la victime par ricochet quand bien même il est constitué [10]. A l’inverse, le préjudice sexuel de la victime directe a pu être déduit de celui de la victime par ricochet [11]. Deux interprétations sont possibles :
- Soit le préjudice sexuel par ricochet découle nécessairement du préjudice sexuel direct. Il est donc impossible que la victime par ricochet puisse subir un tel préjudice sans que la victime directe subisse initialement un préjudice sexuel ;
- Soit le préjudice sexuel direct peut émaner tant du dommage corporel que de l’hypothétique préjudice sexuel par ricochet. Ce dernier peut ainsi préexister au préjudice sexuel direct.

Nous pensons qu’il est erroné de faire découler assurément le préjudice sexuel par ricochet du préjudice sexuel direct, les deux participant à la caractérisation de l’un ou l’autre, mais peuvent avant tout être subis isolément.

Le raisonnement soutenu par les juges revient à méconnaître l’objet du préjudice sexuel, lequel répare les conséquences d’un dommage corporel sur la vie sexuelle de la victime. Peu importe donc que la victime par ricochet soit en couple ; le préjudice sexuel par ricochet se déduit des répercussions sur la vie sexuelle de la victime indirecte, et non pas obligatoirement des répercussions sur la vie sexuelle du couple victime. Les deux types de victime doivent pouvoir être indemnisées de leur préjudice sexuel indépendamment de leur situation maritale.

La question de l’indemnisation des relations "hors couple" doit donc être posée. Si nous savons que la jurisprudence accepte d’indemniser le concubin adultère victime par ricochet alors que la victime directe est mariée [12], rien n’est moins sûr pour les couples libres et ou échangistes, ainsi que pour les relations dites de "sexfriend". L’attendu de principe énoncé par la Cour de cassation n’est pas des plus éclairants et selon l’interprétation qui en est faite, le préjudice sexuel pourrait être limité aux seules personnes partageant officiellement la vie de la victime directe. La chambre criminelle a ainsi refusé d’indemniser une concubine de son préjudice moral, cette dernière n’ayant pu prouver une relation stable et continue [13].

Egalement, certaines cours d’appel lient le préjudice sexuel à la « qualité de la relation » qu’a la victime par ricochet avec la personne, victime directe, qu’elle aime [14]. C’est oublier qu’une relation sexuelle peut être réalisée sans amour entre les deux individus… Pour justifier une telle indemnisation, il est possible d’admettre un concubinage sexuel, c’est-à-dire une vie sexuelle commune présentant un caractère de stabilité et de continuité avec lesdites personnes. Cela impliquerait un critère d’exclusivité [15], mais aurait le mérite de participer à la vraisemblance du préjudice sexuel subi. Le préjudice sexuel par ricochet de ces personnes hors couples pourrait ainsi être assimilé au préjudice d’affection des proches de la victime directe. Reste à savoir si le droit veut et doit considérer ces situations.

Dès lors, la création d’un préjudice dit sentimental peut s’entendre. Ce préjudice viserait à indemniser l’impossibilité, tant pour la victime directe que la victime par ricochet, de pouvoir entretenir une relation de qualité, soit de pratiquer une relation sexuelle ou un plaisir physique avec son compagnon. À défaut de créer un tel préjudice, cette impossibilité doit être retenue pour augmenter l’indemnisation accordée au titre du préjudice sexuel.

2. Des précisions sur la singularité du préjudice sexuel par ricochet.

Le préjudice sexuel direct ne doit pas être confondu avec le déficit fonctionnel permanent [16], avec le préjudice d’agrément [17] ou encore avec le préjudice d’établissement [18]. Il est un préjudice autonome [19], repris par la nomenclature Dintilhac [20]. Ce n’est pas le cas du préjudice sexuel par ricochet qui n’est pas mentionné tel quel.

Effectivement, la nomenclature Dintilhac le place au sein du le préjudice extra-patrimonial exceptionnel qui répare « le préjudice de changement dans les conditions de l’existence, dont sont victimes les proches de la victime directe pendant sa survie handicapée » [21]. Le préjudice sexuel par ricochet y est entendu comme « le retentissement sexuel vécu par le conjoint ou le concubin à la suite du handicap subi par la victime directe pendant la maladie traumatique et après sa consolidation » [22].

Tout du moins, les juridictions du fond n’hésitent pas à indemniser la victime par ricochet de son préjudice sexuel de manière autonome [23], alors même que certaines cours d’appel le reconnaissent comme faisant partie des « troubles dans les conditions de l’existence » [24]. Malgré la confusion réalisée avec un des sous-postes de préjudice du déficit fonctionnel permanent réservé classiquement à la victime directe [25], il y a lieu de penser, au vu de la motivation des arrêts, que cette expression vise à remplacer le préjudice extra-patrimonial exceptionnel.

Il est vrai que la nomenclature Dintilhac n’a aucune valeur normative [26], mais les juridictions sont vivement invitées à utiliser cet outil [27]. Cela ne les empêche pas, comme pour le préjudice sexuel par ricochet, d’en faire un préjudice singulier indemnisé de manière autonome. Mais cette singularité a des limites, et la Cour de cassation n’hésite pas à s’appuyer de nouveau sur la nomenclature. Preuve en est, les répercussions sexuelles à la suite du décès de la victime directe sont indemnisées au titre du préjudice d’affection [28].

La Haute juridiction aurait pu choisir d’inclure le retentissement sexuel post mortem au préjudice sexuel de la victime par ricochet. Toutefois, la certitude du préjudice sexuel se serait heurtée à la réalité. Il faut rappeler qu’un couple marié sur deux est destiné à divorcer [29]. A moins d’avoir subi un dommage corporel, le préjudice sexuel de la victime par ricochet disparaît avec le divorce. Il ne lui est plus imposé des pratiques sexuelles différentes en raison de l’état physique ou psychologique de son partenaire, comme c’était le cas avec la victime directe. Dans notre cas, la mort de la victime directe empêche de connaître l’avenir de la victime par ricochet et ce faisant, il est impossible d’affirmer avec certitude la viabilité du couple et donc de savoir si les victimes auraient continué à avoir des relations sexuelles entre elles.

Seule une indemnisation au titre de la perte de chance d’avoir des relations sexuelles avec son compagnon aurait pu être admise en ce qui concerne la victime par ricochet.

Le bénéfice du préjudice d’affection qu’ont décidé de retenir les hauts magistrats permet au contraire d’indemniser intégralement la victime par ricochet du retentissement sexuel lié à la mort de la victime directe.

Pour rappel, ce poste de préjudice vise à réparer le préjudice moral des proches ayant un lien affectif avec la victime directe [30], ce qu’aura nécessairement le compagnon de cette dernière. A l’inverse du préjudice sexuel, le préjudice d’affection n’est pas lié à une idée de temporalité. Ce préjudice existe ou n’existe pas, mais il ne peut en aucun cas disparaître par une évolution de la situation maritale des victimes directe ou par ricochet.

Nous redoutons simplement que ce nouveau sous-poste de préjudice au sein du préjudice d’affection soit surtout symbolique. Au vu de la portée du préjudice d’affection, le risque est une globalisation de celui-ci et donc une mauvaise prise en compte de l’ensemble des répercussions sur la vie de la victime par ricochet.

Flavien Ferrand
Etudiant du Master 2 Justice, procès et procédures
Université de Tours

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Notes de l'article:

[1Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juillet 2005.

[2Ibid., p. 40.

[3Civ. 1ère, 30 juin 2021, n° 19-22.787.

[4Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, préc., p. 40.

[5Civ. 2ème, 17 juin 2010, n° 09-15.842.

[6Civ. 2ème, 4 avril 2019, n° 18-13.704.

[7Civ. 2ème, 24 mai 2017, n° 16-17.563.

[8Paris, Pôle 2, chambre 3, 26 novembre 2018, n° 16/15813 ; Versailles, 3ème chambre, 6 février 2020, nº 18/06012.

[9Versailles, 3ème chambre, 15 juin 2017, n° 15/04787 ; Paris, Pôle 2, chambre 3, 20 novembre 2017, nº 16/01230 ; Lyon, 1ère chambre civile A, 1er mars 2018, n° 17/04065 ; Paris, Pôle 2, chambre 3, 8 juin 2020, nº 17/22349 ; Grenoble, 1re chambre, 7 juillet 2020, nº 20/01051 ; Caen, 1ère chambre civile, 27 octobre 2020, n° 18/01541 ; Reims, chambre civile, 1ère section, 18 mai 2021, n° 20/00370.

[10Paris, Pôle 2, chambre 3, 1er avril 2019, nº 17/12381 ; Grenoble, 1ère chambre, 15 septembre 2020, nº 20/01589.

[11Montpellier, chambre correctionnelle, 18 avril 1991, n° 536/91.

[12Crim., 14 juin 1973, n° 72-91.877 (séparation de corps) ; 19 juin 1975, JurisData n° 1975-700067 ; CA Riom, 9 novembre 1978, JCP 1979, II, 19107 ; CA Rouen, 1ère chambre, 25 avril 1990, JurisData n° 1990-042849.

[13Crim., 25 janvier 2005, n° 04-81.282.

[14Montpellier, 1ère chambre C, 5 février 2019, nº 16/02983 ; Paris, Pôle 2, chambre 2, 24 septembre 2020, n° 18/15985.

[15Crim., 25 janvier 2005, préc.

[16Civ. 2ème, 13 janvier 2012, n° 11-10.224.

[17Crim., 14 juin 1990, n° 89-84.721 ; Civ. 2ème, 6 janvier 1993, n° 91-15.391 ; 12 mai 2011, n° 10-17.148.

[18Civ. 2ème, 12 mai 2011, préc.

[19Civ. 2ème, 17 juin 2010, préc.

[20Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, préc., p. 40.

[21Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, préc., p. 45.

[22Ibid., p. 46.

[23Rennes, 5ème chambre, 8 février 2017, n° 13/07588.

[24Amiens, 1ère chambre civile, 28 novembre 2019, n° 18/00046 ; Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 25 février 2021, n° 19/09918 (préjudice sexuel non retenu).

[25Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, préc., p. 38 ; Civ. 2ème, 23 mars 2017, n° 16-13.350 (indemnisation d’une victime par ricochet au titre du déficit fonctionnel permanent).

[26Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, préc., p. 4 ; M. Robineau, « Le statut normatif de la nomenclature Dintilhac des préjudices », JCP G, n° 42, 17 octobre 2011, 1111 ; M. Bacache, « La nomenclature : une norme ? », Gaz. Pal. 27 déc. 2014, n° 361, p. 7.

[27Circulaire n° 2007-05 relative à l’amélioration des conditions d’exercice du recours subrogatoire des tiers payeurs en cas d’indemnisation du dommage corporel.

[28Civ. 1ère, 30 juin 2021, préc.

[29INSEE, Tableaux de l’économie française, Collection Insee Références, Édition 2018.

[30Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, préc., p. 44.

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