Pour rappel, il existe plusieurs types de libérations sous conditions :
la libération conditionnelle à mi-peine « classique » à laquelle le condamné-détenu peut être éligible à la moitié de la peine restant à subir, prévue à l’article 729 du Code de procédure pénale (CPP) ;
la libération conditionnelle de fin de peine créée par la loi du 15 août 2014 et obligeant le juge à réexaminer la situation du détenu aux deux-tiers de sa peine prévue par l’article 730-3 du CPP ;
et enfin la libération sous contrainte prévue par l’article 720 du CPP
Dès lors, pour statuer sur une demande de libération conditionnelle, encore faut-il identifier précisément le fondement de cette demande.
C’est précisément sur cette question que la Cour de cassation s’est prononcée dans un arrêt du 11 janvier 2023.
La haute juridiction vient sanctionner un arrêt de la chambre d’application des peines n’ayant pas identifié l’objet exact de la demande qui lui était adressée et, par voie de conséquence, de ne pas y avoir répondu en déclarant la saisine directe irrecevable.
Les faits étaient les suivants : le 25 mars 2021, le condamné saisit le juge de l’application des peines d’une demande de libération conditionnelle classique, ainsi que le lui permet l’article D524 du Code de procédure pénale.
En l’absence de réponse à celle-ci dans un délai de 4 mois, il saisit directement la chambre de l’application des peines de sa demande.
Malheureusement, ce délai de 4 mois laissé au juge d’application des peines pour examiner les demandes qui lui sont soumises est trop rarement respecté.
Il n’entraine pas la remise en liberté du détenu mais lui permet seulement de saisir directement la chambre d’application des peines de sa demande.
Dans la présente espèce, le Président de la chambre de l’application des peines déclare irrecevable la saisine directe de la chambre de l’application des peines en application des articles 730-3 et D 523-1 du Code de procédure pénale au motif que la saisine directe n’est possible que pour les condamnés ayant effectué les deux tiers de leur peine privative de liberté d’une durée de plus de cinq ans.
Fort heureusement, la chambre criminelle de la Cour de cassation va rétablir la réalité des textes, estimant que :
« la saisine directe, par un condamné, de la chambre de l’application des peines, en cas d’absence de réponse à sa demande de libération conditionnelle, n’est pas soumise aux conditions de l’article 730-3 du CPP, lorsqu’elle ne s’inscrit pas dans le cadre de l’examen systématique de la situation des condamnés éligibles à cette mesure ».
La décision du Président de la chambre d’application des peines procède d’une confusion regrettable entre deux mécanismes :
d’une part, la libération conditionnelle de l’article 729 du CPP qui permet à tout condamné de solliciter son admission au bénéfice de la libération conditionnelle dès lors qu’il a exécuté la moitié de sa peine,
et d’autre part, la libération conditionnelle de fin de peine de l’article 730-3 du CPP qui oblige le juge à examiner automatiquement la situation d’un condamné détenu aux deux-tiers de sa peine (la Cour de cassation parle d’« examen systématique de la situation des condamnés »), aux fins de déterminer s’il peut ou non bénéficier d’une libération conditionnelle.
Ce faisant, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle la distinction entre la libération conditionnelle possible à mi-peine (I) et celle qui intervient aux deux-tiers de la peine (II).
I. La libération conditionnelle à mi-peine.
C’était dans ce cadre que s’inscrivait la demande du condamné détenu, et non dans celui de « l’examen systématique de la situation des condamnés à une peine d’emprisonnement ou de réclusion supérieure à cinq ans ayant accompli les deux tiers de leur peine », à savoir la libération conditionnelle de fin de peine.
Cette libération conditionnelle à mi-peine, plus ancien aménagement de peine du droit français (1885), est consacrée à l’article 729 du CPP.
Il s’agit d’une modalité d’exécution de la peine dont l’objectif est de favoriser la réinsertion du condamné tout en prévenant le risque de récidive.
Son octroi est subordonné au respect de plusieurs conditions, lesquelles vont diverger selon que l’on se trouve en présence de la libération conditionnelle « de droit commun » ou des régimes spéciaux de libération conditionnelle :
la libération conditionnelle parentale,
la libération conditionnelle des étrangers,
la libération conditionnelle des condamnés âgés,
la libération conditionnelle des condamnés bénéficiant d’une suspension médicale de peine.
Concernant la libération conditionnelle de droit commun, les conditions de recevabilité de la demande sont les suivantes :
Le condamné doit subir une ou plusieurs peines privatives de liberté, peu important leur nature (délictuelle ou criminelle).
Le condamné doit avoir déjà exécuté une partie de la peine à laquelle il a été condamné, encore appelé « temps d’épreuve » : la moitié de la peine concrètement exécutée (« la durée de la peine accomplie au jour de la demande est au moins égale à la durée de la peine restant à subir »).
Attention, la durée de la peine exécutée s’apprécie par rapport à la durée que la personne doit concrètement subir, une fois celle-ci amputée de ses crédits de réductions de peine automatiques (qui ont depuis disparus depuis l’entrée en vigueur le 1er janvier 2023 de la loi du 22 décembre 2021) et de l’exécution de la détention provisoire.
Le condamné doit manifester des efforts sérieux de réadaptation sociale et doit apporter la preuve de tels efforts.
En outre, le texte dresse une liste de motifs susceptibles de justifier sa demande : 1°/ l’exercice d’une activité professionnelle, d’un stage, d’un emploi temporaire ou le suivi d’une formation ou d’un enseignement 2°/ la participation essentielle à la vie de la famille 3°/ la nécessité de suivre un traitement médical 4°/ les efforts en vue de l’indemnisation des victimes 5°/ l’implication dans tout projet sérieux d’insertion ou de réinsertion.
La demande suit la procédure décrite à l’article D524 du Code de procédure pénale et doit être examinée dans les 4 mois de son dépôt lorsqu’elle relève de la compétence du juge d’application des peines et dans les 6 mois lorsqu’elle relève de la compétence du tribunal de l’application des peines.
L’initiative de la demande appartient naturellement en premier lieu au condamné mais la loi du 15 août 2014 oblige le juge d’application des peines à réexaminer la situation des personnes condamnées à une peine privative de liberté supérieure à 5 ans.
II. La libération conditionnelle de fin de peine ou le réexamen systématique aux deux-tiers de la peine.
A l’instar de la libération sous contrainte (art. 720 du CPP), la libération conditionnelle de fin de peine (art. 730-3 du CPP) consiste en un réexamen obligatoire de la situation du condamné à une date fixe, en vue de statuer sur sa libération et ce, indépendamment de toute requête de sa part.
Le régime est donc légèrement différent de celui de la libération conditionnelle classique.
Ce réexamen ne vaut que pour les peines supérieures à cinq ans et doit avoir lieu aux deux-tiers de la peine, après 18 ans en cas de réclusion criminelle à perpétuité, ou à expiration de la période de sûreté.
Les condamnés pour des faits de terrorisme sont éligibles à ce dispositif.
Le juge de l’application des peines ou le tribunal de l’application doivent conduire un débat contradictoire, devant porter sur l’opportunité ou non d’octroyer une libération conditionnelle.
En cas d’oubli de leur part, la chambre de l’application des peines peut, d’office ou sur saisine de la personne condamnée ou du procureur de la République, tenir ce débat.
Sauf à ce que le détenu ait préalablement fait savoir qu’il refusait toute mesure de libération conditionnelle, les juridictions de l’application des peines ne peuvent se soustraire à cette obligation.
Toutefois, examen obligatoire ne signifie pas octroi automatique de la libération conditionnelle, en sorte que la juridiction compétente demeure libre d’apprécier l’opportunité d’accorder ou non la libération conditionnelle, en fonction des éléments factuels qui lui seront présentés.
C’est ce mécanisme d’examen systématique aux deux-tiers de la peine accomplie que le Président de la Chambre d’application des peines jugeait à tort applicable à la demande pour considérer que les deux-tiers de la peine n’avaient pas encore été effectués et déclarer la saisine irrecevable.
L’examen systématique de la situation des condamnés détenus, auquel sont tenus les magistrats de l’application des peines, aux deux-tiers de la peine concrètement exécutée, n’empêche pas le détenu de faire une demande « classique » de libération conditionnelle, dès lors qu’il en remplit les conditions - ce qui était le cas en l’espèce.
Ainsi, la Cour de cassation réaffirme, au visa de l’article D524 du Code de procédure pénale, que le condamné détenu est parfaitement en droit de demander le réexamen de sa situation, en vue de bénéficier d’une libération conditionnelle, lorsqu’il se trouve à la moitié de sa peine.
Dès lors, on ne saurait lui opposer d’autres conditions que celles classiquement prévues pour la libération conditionnelle.
Plus encore, la chambre criminelle va jusqu’à estimer qu’en déclarant irrecevable la saisine directe et ce faisant, en refusant de donner suite à la demande du condamné détenu, « le Président de la chambre de l’application des peines a excédé ses pouvoirs ».
Le mot est fort et la condamnation ferme.
Et effectivement, le rappel se devait d’être solennel, en ce que le Président de la chambre d’application des peines est allé « au-delà du texte », en ajoutant des conditions à la demande de libération conditionnelle ne figurant pas dans les textes, en l’occurrence l’exigence d’un délai d’accomplissement des deux-tiers de la peine, à l’heure où le taux de surpopulation carcérale n’a jamais aussi élevé en France.