Connu depuis la Grèce antique, l’outil de la médiation a traversé toutes les époques pour être codifié dans les conventions et traités internationaux modernes. On le retrouve ainsi dans les conventions de La Haye du 29 juillet 1899 et du 18 octobre 1907 portant sur le règlement pacifique des conflits internationaux.
L’article 1 de la convention de La Haye du 18 octobre 1907 énonce ainsi :
« Le rôle du médiateur consiste à concilier les prétentions opposées et à apaiser les ressentiments qui peuvent être produits entre les États en conflit ».
L’article 2 de la même convention précise :
« En cas de dissentiment grave ou de conflit, avant de passer aux armes, les puissances contractantes conviennent d’avoir recours, en tant que les circonstances le permettront, aux bons offices ou à la médiation d’une ou plusieurs puissances amies ».
Cette codification a été reprise dans la Charte des Nations-Unies du 26/06/1945 en différents articles.
Ainsi, retrouve t-on la médiation à l’article 2 Point 3 :
« Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ».
Puis à l’article 2 point 4 :
« Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les Buts des Nations Unies ».
Ainsi que dans son article 33 en son Point 1 :
« Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales, doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix ».
Et son Point 2 :
« Le Conseil de Sécurité, s’il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différend par de tels moyens ».
Cette appétence d’une gouvernance mondiale du dialogue se retrouve ainsi dans le rapport A/66/811 du 25 juin 2012 du Secrétaire général intitulé « Renforcement du rôle de la médiation dans le règlement pacifique des différends et la prévention et le règlement des conflits ».
Pour autant, en Europe, peu de personnes savent que la France a joué un rôle précurseur bien avant le cadre européen, en introduisant la médiation administrative dans les domaines des travaux publics et marchés de fournitures par le biais du décret du 24 décembre 1907, modifié par Décret n° 53-405 du 11 mai 1953 et par Décret n° 81-272 du 18 mars 1981.
Elle a également joué cette même posture en introduisant la médiation dès 1993 en matière pénale. Puis en l’élargissant en 1995 à la procédure civile, pénale et administrative.
Entre 2011 et 2015, elle n’a fait que transposer le cadre européen en droit interne tout en introduisant, dans la simplification de la procédure civile, la présentation devant le juge d’un préalable à la résolution amiable des différends.
Cette période dense a permis au législateur de préparer les juridictions administratives à l’introduction de la médiation dans le Code de justice administrative, par le biais d’un décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 dit JADE (Justice Administrative de Demain). Jusqu’à l’expertise.
Ce décret va notamment introduire la notion d’expert-médiateur au visa de l’article R621.1, permettant au juge administratif désignant un expert de justice de lui confier une mission de médiation.
Cette spécificité propre aux juridictions administratives françaises a marqué une nette distinction avec les juridictions judiciaires qui ne peuvent pas confier à l’expert de justice la mission de concilier les parties au visa de l’article 240 du Code de procédure civile.
La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a permis à ce que le recours à la médiation devienne un mode de droit commun de résolution des différends, à l’initiative partagée, en intégrant dans le Code de justice administrative, les articles L213‐1 à L213‐10.
La mise en œuvre de ces nouvelles dispositions sur la médiation administrative s’est accompagnée de la création d’un comité justice administrative et médiation au Conseil d’État, chargé de promouvoir le règlement alternatif des litiges, en collaboration active avec les partenaires institutionnels extérieurs et parties prenantes de la médiation. Et, des correspondants médiation par juridiction afin de développer les réseaux locaux de médiateurs et de promouvoir auprès des magistrats et des agents de greffe ce nouveau mode de traitement des litiges.
Entre 2016 et 2023, le processus s’est généralisé en perpétuant la distinction nette en matière administrative, par la signature d’une convention-cadre nationale portant sur la promotion du recours à la médiation administrative, une charte éthique du médiateur dans les litiges administratifs, une expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux, en renforçant l’ensemble du dispositif par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2024 et de réforme pour la justice.
Pour autant, en 2024, force est de constater que la médiation administrative comme la place de l’expert-médiateur administratif restent malmenées. Ce malgré ces débuts prometteurs et les premières Assises de la Médiation administrative en 2019.
Alors que le projet de loi de finance 2023, listait en son point C la nécessité de mettre en place des moyens dimensionnés à la hausse du contentieux administratif dans l’objectif d’une maîtrise efficiente des délais de jugement. Et, que le Conseil d’État pointait, en 2022, la hausse du nombre de dossiers enregistrés par la section du contentieux en données nettes, de 10 034 en 2020 à 11 313 en 2021, soit une hausse de 10,7% par rapport à 2019.
Et, que les choix du législateur et de l’administration pour 2023 et 2024 devaient avoir une incidence directe sur les entrées contentieuses dès lors que le juge administratif est le principal juge de l’administration.
Ainsi, malgré cette démarche volontariste de promotion de la médiation en 2023, avec la fixation d’objectifs chiffrés à 1 % des requêtes et des résultats très prometteurs avec des taux d’accord en fin de médiation de 53,5 %, le constat reste timoré avec à peine 1 800 médiations déclenchées devant les juridictions administratives.
Le recours à l’article R621-1 du Code de justice administrative reste embryonnaire devant les tribunaux administratifs comme devant les cours administratives et le Conseil d’État.
Cette pauvreté reste liée à plusieurs facteurs reposant sur une observation d’expert de terrain mettant en avant la disparition des référents médiation auprès de chaque juridiction administrative : l’organisation disparate d’une juridiction à une autre dans la gestion et la répartition des dossiers en médiation ; la demande des conseils, le peu de formation accordée aux magistrats et greffes administratifs.
Un facteur structurel entre également en jeu, lié à la méconnaissance du réel vivier de médiateurs administratifs qualifiés dans les chambres d’une part. D’autre part, au vivier des experts administratifs qui sont également médiateurs inscrits. Enfin, pour la chambre de l’environnement, le vivier des experts nouvellement inscrits à la rubrique d’expertise I.12. Gouvernance environnementale, concertation, médiation.
À l’heure où conseils, parties et juridictions s’accordent à dire que la médiation est un outil efficace, tous restent en demande constante d’excellente. Et, l’expert, dans sa posture constante de garant de l’excellence, a toute sa place dans l’évolution de la médiation.
Ce plaidoyer reposerait ainsi sur le rappel du champ de l’expertise-médiation devant les juridictions administratives et le grand pouvoir régulateur qu’apporterait son recours de par la garantie d’une posture d’excellence de l’expert-médiateur.
I- Rappel du champ de l’expertise-médiation devant les juridictions administratives.
A- Cadre non novateur.
L’expertise-médiation n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, nouvelle. Pour autant, il a été d’usage de se référer à la terminologie de la conciliation plutôt qu’à celle de la médiation. Ainsi, on constate qu’avant 1953 et la création des tribunaux administratifs, les conseils de préfectures autorisaient les experts désignés à diligenter des missions de conciliation.
1°/ Pratique administrative jusqu’en 1986.
Ainsi, de 1953 à 1973, le juge administratif délivrait des ordonnances d’expertise habilitant les experts à des missions de conciliation, au regard de l’article 93 du décret 73-1122 du 17/12/1973, repris par l’art 240 CPC.
En 1979, un revirement du Conseil d’état (CE, décision du 12 octobre 1979, n°15131) met fin à cette pratique pour gommer une distinction administrative au regard de l’article 240 introduit dans le nouveau code de procédure civile, interdisant au juge judiciaire de donner à l’expert mission de conciliation.
Le juge administratif entre alors pendant une période allant de 1979 à 1986, durant laquelle il n’est plus en capacité de délivrer d’ordonnances d’expertises permettant aux experts de concilier.
2°/ Revirement jurisprudentiel depuis 1986
En 1986, le législateur fait naître l’expert-conciliateur administratif par l’article 3 de la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 codifié à l’art L.3 du code des tribunaux administratifs, puis à l’article L211-4 Code de justice administratif.
Cette nouvelle posture de l’expert, unique aux juridictions administratives françaises va permettre un revirement du Conseil d’État et le retour en 2005 d’ordonnances d’expertise habilitant les experts à des missions de conciliation [1].
L’année 2016 marque d’une pierre blanche la naissance de l’expert-médiateur par les articles 23 et 35-I du décret 2016-1480 du 2 novembre 2016 dit décret JADE (Justice Administrative de Demain) qui introduisent l’article R621-1 dans le Code de justice administrative :
« La juridiction peut, soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ».
Trois ans plus tard, le décret n°2019-82 du 7 février 2019 par son article 39 modifie l’article R621.1 en permettant à l’expert de s’auto-désigner avec l’accord des parties :
« la juridiction peut soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L’expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l’initiative, avec l’accord des parties, d’une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l’article L. 213-2, l’expert remet son rapport d’expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation ».
Dans ce sillage, l’article R158 Code des tribunaux administratifs précise alors : « Sous réserve des exceptions prévues par l’article L. 213-2, l’expert remet son rapport d’expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation ».
Ainsi en 2024, on peut retenir que la désignation de l’expert-médiateur devant les juridictions administratives peut se faire de 3 façons : soit il s’auto-désigne ; soit il est désigné par le juge ou à la demande d’une des parties ou des parties ensemble.
D’autre part, on peut retenir que la désignation de l’expert-médiateur est uniquement devant les juridictions administratives car l’article 23 modifiant l’art R621-1 CJA vient en contradiction avec l’article 240 CPC.
B- Modalités de la mission d’expert en médiation.
Concernant le déclenchement, les modalités de cette mission d’expertise restent particulières.
En premier lieu, la mission d’expertise peut être diligentée soit avant dépôt du pré-rapport de l’expertise, soit après dépôt du rapport final d’expert.
En second lieu, l’initiative appartient, soit à l’expert en charge de l’expertise principale, de s’auto-désigner avec l’accord des parties, soit au magistrat en charge du contrôle.
Si le juge prend l’initiative, ce dernier a le choix de confier la mission d’expertise en médiation :
- soit au même expert en charge de l’expertise principale, sous réserve que ce dernier soit expert-médiateur assermenté garant de sa posture et du processus de la médiation ;
- soit à un autre expert, expert-médiateur assermenté garant de sa posture et du processus de la médiation. Ce, au regard du principe d’impartialité et de neutralité.
En dernier lieu, cette expertise reste indépendante de l’expertise principale, et avec l’accord des parties, déclenche des frais d’expertise complémentaires propres.
Son déclenchement suspend les délais de l’expertise principale.
L’issue de cette expertise en médiation reste simple. Si l’expertise en médiation est déclenchée avant dépôt du pré-rapport de l’expertise, soit l’expert-médiateur dépose un rapport d’expertise en médiation de non-accord, et l’expertise principale reprend, et l’expert principal dépose son pré-rapport et rapport d’expertise. Soit l’expert-médiateur dépose un rapport d’expertise en médiation d’accord et, l’expertise principale reprend en prenant acte de l’accord et l’expert principal n’est plus dans l’obligation de déposer son pré-rapport et rapport d’expertise.
Si l’expertise en médiation a été déclenchée après dépôt du rapport final d’expert, soit l’expert-médiateur dépose un rapport d’expertise en médiation de non-accord, et les parties reviennent devant la juridiction. Soit l’expert-médiateur dépose un rapport d’expertise en médiation d’accord, et les parties ne reviennent pas devant la juridiction.
II- Portée de l’expertise-médiation devant les juridictions françaises.
A- Une régulation raisonnée des juridictions.
1°/ Situations d’une mission d’expertise en médiation confiée pendant une expertise.
Dans l’hypothèse où la mission d’expertise en médiation serait confiée pendant la mission d’expertise technique, à un même expert, les garanties requises de l’expert désigné peuvent présenter un grand avantage pour l’efficacité du processus, l’expert-médiateur étant spécialisé dans la problématique technique et connaissant les parties et leur réactivité. Mais cet avantage reste aussi une double garantie d’impartialité à la charge de l’expert désigné.
S’agissant de l’organisation, l’expertise en médiation reste un outil de régulation au service des juridictions. D’abord concernant de l’ordonnance : il pourrait être retenu l’idée de créer une « ordonnance-type deux-en-un » désignant un seul expert pour la première mission d’expertise technique et une seconde mission pour l’expertise en médiation. Ce pour des raisons de simplification administrative pour le greffe, comme pour le juge et les parties, et la caisse de dépôt et consignation,
Ensuite, concernant la provision de cet expert unique, il pourrait alors être retenu l’idée d’une provision unique, toujours pour des raisons de simplification administrative. Qui préciserait le montant de la provision pour chaque mission, versé et consigné en une seule fois auprés de la caisse des dépôts et consignation. Mais il pourrait être aussi retenu l’idée d’une provision unique versée en deux temps : un premier dépôt consigné avant le commencement de l’expertise première, comme en expertise classique. Et un second dépôt consigné avant le commencement de l’expertise en médiation.
Ce dépôt différé permettrait alors une maitrise financière raisonnée de l’expertise et un chiffrage préalable pour validation de l’expertise médiation. En cas de refus, cette expertise en médiation serait simplement invalidée par les parties. Et, il n’y aurait pas de consignation.
Dans l’hypothèse où l’expertise en médiation serait confiée pendant la mission d’expertise technique, à un autre expert au regard du principe d’impartialité, les garanties requises de l’expert désigné peuvent présenter le même avantage que présentement évoqué, pour l’efficacité du processus, l’expert-médiateur étant spécialisé dans la problématique technique.
Par contre, il ne connait ni la problématique technique, ni les parties, ni leur réactivité. Et n’a donc pas la charge d’une double garantie d’impartialité à sa charge.
S’agissant de l’organisation, là aussi, l’expertise en médiation reste un outil de régulation au service des juridictions. Car la proposition de l’« ordonnance-type » pourrait aussi être retenue, en désignant, dès le départ, deux experts distincts. Avec deux sous référencements administratifs. Même raisonnement pour la provision pour laquelle il n’y aurait pas l’idée d’une provision unique, mais de deux provisions distinctes par missions, versée et consignée auprès de la caisse des dépôts et consignation. Pouvant être aussi versées en deux temps : un premier dépôt consigné avant le commencement de l’expertise première, comme en expertise classique. Et un second dépôt consigné avant le commencement de l’expertise en médiation. Ce dépôt différé permettrait aussi une maitrise financière raisonnée de l’expertise et un chiffrage préalable pour validation de l’expertise médiation du second expert. En cas de refus, cette expertise en médiation serait simplement invalidée par les parties. Et, il n’y aurait pas de consignation.
2°/ Situations d’une mission d’expertise en médiation confiée après une expertise.
Dans le premier cas où la mission est confiée au même expert, le raisonnement reste inchangé.
L’idée de l’ordonnance type deux-en-un reste un outil pertinent en termes de simplification et de régulation de la juridiction. Car cela éviterait aux parties de ressaisir la juridiction et recréer un nouveau référencement dossier. Il suffirait que les parties précisent, une fois la première expertise terminée, au greffe par un simple courrier leur accord ou refus au déclenchement de l’expertise en médiation. En cas d’accord, l’ordonnance type s’enclencherait alors automatiquement.
La provision préalablement chiffrée et validée pourrait alors être versée et consignée, comme en expertise classique, auprès de la Caisse des Dépôts et Consignation.
Dans le second cas où la mission est confiée à un autre expert au regard de l’impartialité, l’idée de l’ordonnance type deux-en-un reste aussi un outil pertinent en termes de simplification et de régulation de la juridiction. Car, la désignation du second expert étant déjà inscrite dans l’ordonnance, les parties n’auraient pas à ressaisir la juridiction. Elles n’auraient qu’à indiquer là aussi une fois la première expertise terminée, au greffe par un simple courrier leur accord ou refus au déclenchement de l’expertise en médiation. En cas d’accord, l’ordonnance-type s’enclencherait alors automatiquement. La provision préalablement chiffrée et validée pourrait alors être versée et consignée comme en expertise classique, auprès de la Caisse des Dépôts et Consignation.
S’agissant de l’expert en médiation désigné, ses garanties requises peuvent présenter le même avantage que présentement évoqué, pour l’efficacité du processus.
Soit c’est le même expert désigné pour les deux missions, et il reste spécialisé dans la problématique technique. Il connait la problématique technique, les parties et leur réactivité. Et, reste tributaire d’une double garantie d’impartialité.
Soit ce n’est pas le même expert désigné pour les deux missions. Il ne connait ni la problématique technique, ni les parties ni leur réactivité. Et, n’est pas tributaire d’une double garantie d’impartialité.
B- Le déroulement de l’expertise en médiation.
1°/ Confidentialité en expertise médiation.
L’article L213-2 Alinéa 2 du Code de justice administrative énonce :
« Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord des parties.
« Il est fait exception au deuxième alinéa dans les cas suivants :
« 1° En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ;
« 2° Lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre ».
Le Conseil d’État a précisé la question de la confidentialité dans ses arrêts des 13 et 14 novembre 2023 [2]
Dans la 1ère décision du 13 novembre 2023, la haute juridiction s’est prononcé sur la confidentialité et le délai imposé au regard de l’article L213-6 du Code de justice administrative. En précisant qu’une demande de médiation n’interrompt pas le délai de saisine du juge du référé-suspension en matière d’urbanisme.
Ainsi les parties devront être vigilantes à l’articulation du processus de médiation et de celle d’un référé-suspension : cette vigilance devra porter à la fois sur la confidentialité et sur l’organisation d’une médiation rapide (25 jours) car si cette dernière s’avérait trop longue, elle priverait alors le requérant de la possibilité de déposer une requête en référé-suspension dans le délai imparti. Nous sommes donc au cœur d’une expertise du dialogue de l’urgence avec des délais très courts. Pour les parties, les conseils, comme pour l’expert-médiateur. Voir trop courts et impossibles à tenir.
Dans la 2ème décision du 14 novembre 2023, la haute juridiction s’est prononcé sur la confidentialité au regard de l’article L213-2 du même code. D’abord concernant les pièces transmises en expertise-médiation en énonçant :
« Doivent demeurer confidentielles, sauf accord contraire des parties et sous réserve des exceptions prévues par cet article, sans pouvoir être divulguées à des tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle, que les seules constatations du médiateur et déclarations des parties recueillies au cours de la médiation, c’est-à-dire les actes, documents ou déclarations, émanant du médiateur ou des parties, qui comportent des propositions, demandes ou prises de position formulées en vue de la résolution amiable du litige par la médiation ».
Ensuite en précisant :
« le cas particulier où le juge administratif ordonne avant dire droit une expertise et où l’expert, conformément à ce que prévoit l’article R621-1 du CJA, se voit confier une mission de médiation, doivent, de même, demeurer confidentiels les documents retraçant les propositions, demandes ou prises de position de l’expert ou des parties, formulées dans le cadre de la mission de médiation en vue de la résolution amiable du litige ».
La Haute juridiction en déduit alors que :
« Il appartient alors à l’expert, ainsi que le prévoit l’article R621-1, de remettre à la juridiction un rapport d’expertise ne faisant pas état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation ».
Et précise encore :
« En revanche, l’article L213-2 du CJA ne [fait] pas obstacle à ce que soient invoqués ou produits devant le juge administratif d’autres documents, émanant notamment de tiers, alors même qu’ils auraient été établis ou produits dans le cadre de la médiation. Tel est en particulier le cas pour des documents procédant à des constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert à la demande du médiateur ou à l’initiative des parties dans le cadre de la médiation, dans toute la mesure où ces documents ne font pas état des positions avancées par le médiateur ou les parties en vue de la résolution du litige dans le cadre de la médiation ».
2°/ Critère matériel de la confidentialité en expertise médiation.
Ainsi pourrait-on retenir, à l’aune de cette jurisprudence récente, que la confidentialité de ces informations ne serait pas fonction d’un critère formel (des catégories de pièces) mais d’un critère matériel.
Il faut donc retenir dans la pratique expertale que l’expert-médiateur désigné devra impérativement vérifier, pièces par pièces, si celles-ci comportent ou non des informations confidentielles. Et, qu’il le fasse confirmer par écrit par les conseils.
Le Conseil d’État, dans cette même logique, a retenu que les informations non couvertes par le principe de confidentialité ne seraient logiquement pas confidentielles.
Cette logique s’appliquerait aux :
- documents déjà présents dans l’assignation et l’expertise initiale ;
- documents réputés confidentiels pour lesquelles la confidentialité a été levée par les parties elles-mêmes (levée par écrit pour garantir cette affirmation) ;
- documents de tiers expert (constats/avis expertal) faisant état de constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert à la demande de l’expert-médiateur ou à l’initiative des parties dans le cadre de la médiation, dans toute la mesure où ces documents ne font pas état des positions avancées par le médiateur ou les parties en vue de la résolution du litige dans le cadre de la médiation.
Ainsi, ce que l’on peut retenir suite à ce 2ème arrêt reste que :
- par principe, la confidentialité s’applique en expertise en médiation aux actes, documents, déclarations en vertu de l’article L213-2 du Code de justice administrative et que leur divulgation ne se fera qu’avec l’accord (écrit) des parties ou que leur utilisation relève d’une des exceptions prévues à cet article.
- À défaut, le refus du juge reste de rigueur, « le juge ne saurait fonder son appréciation sur de telles pièces ».
- Les autres pièces peuvent être invoquées ou produites devant le juge administratif et ce dernier peut les prendre en compte pour statuer sur le litige porté devant lui, dans le respect du caractère contradictoire de l’instruction.
L’organisation de l’expertise en médiation est désormais lancée, il ne reste qu’à sa généralisation auprès de toutes les juridictions administratives.