Les tribulations du médiateur national de l'énergie en France. Par Laure Singla, Environnementaliste expert.

Les tribulations du médiateur national de l’énergie en France.

Par Laure Singla, Environnementaliste expert.

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Explorer : # médiation énergétique # indépendance et impartialité # recommandations # litiges de consommation

Dans son rapport 2022, le médiateur public de l’énergie Sollen (pour Solution en Ligne aux Litiges d’Energie) décrit une année 2022 marquée par une hausse sans précédent des coûts de l’énergie. Et par son activité densifiée.
Relevant l’augmentation exponentielle de la précarité énergétique sur le tout le territoire, il estime que certains professionnels sont moins bien protégés que les consommateurs domestiques. Il dénonce des pratiques à risques de certains fournisseurs dont le panorama n’a cessé d’évolué. Et met des cartons rouges aux fournisseurs comme OHM Energie, Mega Energie, Mint Energie et Wekiwi, Gaz de Bordeaux.

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Toutefois, même si sa mission publique est importante et ne va que croître dans les années à venir, des réserves sérieuses commencent à émerger. Portant d’abord sur son indépendance et son impartialité au regard de ses recommandations actuelles. Portant ensuite sur sa neutralité à la lecture du fond des recommandations qui ne reposent sur aucune base de calcul claire et précise des factures litigieuses, pas de prise en compte des autos relevés et relevés d’index par agent assermenté Enedis. Enfin des réserves sur le fait que le médiateur institutionnel de l’énergie considère en 2022 que peu des litiges concernent les autres énergies.

I. Rappel des missions du médiateur national de l’énergie.

Le médiateur national de l’énergie est une Autorité Publique Indépendante(API) créée par la loi n°2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie, ayant pour missions de proposer des solutions amiables aux litiges avec les entreprises du secteur de l’énergie et d’informer les consommateurs d’énergie sur leurs droits.

A/ Rappel du statut et des missions du médiateur national de l’énergie.

La Loi n°2017- 55 du 20 janvier 2017 a crée une distinction entre les Autorités Administratives Indépendantes (AAI) et les Autorités Publiques Indépendantes (API). Et a fixé la liste à 17 AAI et 7 API. Cette distinction reste importante et repose sur leur statut car les API disposent de la personnalité morale alors que les AAI n’ont pas de personnalité juridique propre.

Le champ de compétence et les modalités des interventions du médiateur public de l’énergie sont encadrés par les articles L122-1 à L122-5 et R122-1 à R122-12 du code de l’énergie. Il est doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Son financement est assuré par l’État et son budget est voté chaque année par le Parlement en loi de finances.

Le médiateur national de l’énergie est un médiateur public au sens de l’article L611-1 du code de la consommation. En assurant une mission de médiation des litiges de consommation au terme des articles R122-1 et suivants du code de l’énergie, et pour les litiges des consommateurs personnes physiques, par les articles L612-1 et suivants et R612-1 et suivants du code de la consommation.
Ses recommandations n’engagent pas l’état en cas de conflit.

Depuis sa création, un rapport annuel est consultable en ligne. En 2022, le rapport affiche clairement une collaboration régulière avec les pouvoirs publics et acteurs du secteur. Et met en avant un « guide de recommandations de bonnes pratiques » récapitulant 15 recommandations « génériques » et proposant en 2022 une nouvelle organisation pour une meilleure efficacité de la médiation.

B/ Rappel du pouvoir de recommandations.

L’API médiateur de l’énergie a permis l’émergence de rapports dans lesquels des propositions pour faire avancer la médiation de l’énergie sont très intéressantes.
Ainsi, on peut retenir la proposition n°4 du rapport 2022 qui repose sur la proposition de créer un fournisseur d’électricité de dernier recours car le retour de pratiques fait apparaître que la loi a effectivement prévu un fournisseur de dernier recours pour la fourniture de gaz naturel. Mais pas pour l’électricité.

Ce constat peut également s’appliquer à la proposition n°5 du récent rapport qui porte sur le fait de porter à 3 semaines le délai de paiement d’une facture d’énergie après son émission. Car là aussi, il reprend le décret du 13 août 2008, relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau, qui fixe la date limite de paiement d’une facture d’énergie à « 14 jours après sa date d’émission ». Et le retient avec justesse un délai trop court, n’incluant pas le temps d’envoi de la facture, et celui d’envoi d’un TIP ou d’un chèque. Délais dans les faits, pour lesquels le consommateur ne dispose que de 5 jours.

La proposition n°7 est ineluctable la plus forte et la plus intéressante du rapport 2022 car elle porte sur le nécessaire besoin d’améliorer la qualité, la clarté et la fiabilité des informations données dans le cadre de la souscription d’un contrat de fourniture d’énergie. Et les retours de pratiques démontrent que près de la moitié des litiges recevables dont est saisi le médiateur institutionnel concernent « une contestation des consommations facturées ».
A ce problème, le médiateur propose que comme utilisé pour la consommation du gaz, soit crée sans attendre une évolution réglementaire, une rubrique Electricité « consommation annuelle de référence », et que soit définie la notion de « consommation annuelle prévisionnelle d’électricité́ ». Ceci pour permettre une clarté cohérente des besoins et des offres. L’estimation annuelle sera alors connue à l’avance par le consommateur en prenant en compte le prix TTC du kWh et celui de l’abonnement.

Ces propositions non encore appliquées restent pertinentes et démontrent une connaissance certaine du marché dérégulé de l’énergie et ses dérives, en portant à la connaissance des acteurs comme des consommateurs et l’état un constat de la situation et les leviers pour avancer autrement.

Mais le rapport reste emprunt d’un déséquilibre quand aux retours de pratiques en médiation, des recommandations données au regard des devoirs du médiateur public.

II. Réserves portées aux propositions et recommandations du médiateur national de l’énergie.

S’il faut rappeler que les recommandations données par le médiateur public n’ont pas de portée juridique, il convient de constater un argumentaire sur le fond surprenant de ces dernières qui posent véritablement un problématique d’indépendance, d’impartialité et de neutralité

A/ Réserves sur l’indépendance et l’impartialité du médiateur national de l’énergie.

Tout médiateur, public ou privé, doit être garant du processus de la médiation et de sa posture. En ce sens, il doit être impartial, neutre et indépendant [1].

Or, la lecture de la proposition n°8 du rapport 2022 met en défaut cette indépendance et cette impartialité. Le médiateur public constate en effet que 46% de ses saisines recevables en médiation reposent sur des contestations des niveaux de consommations facturées.
Et sa proposition n°8 repose sur le fait de « Limiter les litiges liés aux relevés de consommation ou erreurs d’identification de compteurs ».
Il appuie cette proposition sur le fait qu’il constate l’absence de relevé d’index de consommation du compteur pas toujours systématiquement réalisé au moment des mises en service, lors des des résiliations ou des changements de fournisseur ou d’offre. Il préconise alors la généralisation des compteurs communicants (Linky, Pinky) , mais en attendant, et pour chaque consommateur non équipé d’un compteur communicant, une facturation fiable doit être assurée. Il va plus loin en proposant aux fournisseurs de refuser une mise en service ou une résiliation de contrat tant qu’ils ne disposent pas d’un relevé, y compris un auto-relevé, de l’index de consommation du compteur. Imposant ainsi au consommateur d’effectuer un auto-relevé ou un relevé du compteur effectué par le gestionnaire de réseau et facturé au consommateur. Dans le cadre d’un changement de fournisseur ou d’offre, le recours à un index estimé ne pourrait être accepté qu’à la double condition que le compteur ait été relevé dans les 6 mois précédents et que le consommateur en ait été préalablement informé et en ait accepté le principe.

Cette proposition n°8 appelle à deux grandes réserves :
- La première réserve porte sur le refus systématique de reconnaissance par le médiateur public des auto-relevés et relevés compteurs effectués par agents assermentés dans la plupart des recommandations entre janvier et septembre 2023 [2]. Le médiateur public allant jusqu’à dire dans une recommandation en présence d’une photo compteur prise par un agent assermenté Enedis que ce dernier a fait « une mauvaise retranscription des données » [3]. Ce en l’absence d’argumentaire.

- La seconde réserve porte sur la posture d’indépendance et d’impartialité du médiateur de l’énergie et sa méconnaissance de la jurisprudence actuelle : le médiateur institutionnel émet une proposition allant à l’encontre de la jurisprudence actuelle et prend un avis tranché favorable au compteur Linky mettant en faveur EDF qui pose à la fois un problématique d’indépendance et de d’impartialité au regard de sa posture, mais aussi au regard de la jurisprudence actuelle.

Or cette posture va créer à très court terme une défiance vis à vis du médiateur public et du processus en lui même de la médiation. La grande majorité des saisines reposant sur le montant des factures établies par les fournisseurs.

Cette posture reste contreproductive au processus de médiation pour les consommateurs comme les professionnels. Et va à l’encontre même de la jurisprudence actuelle qui ne reconnaît pas le caractère obligatoire du compteur Linky [4], a retenu ses effets sur la santé humaine [5] et impose même sa dépose [6].

B/ Réserves sur la neutralité du médiateur national de l’énergie.

Un médiateur, public comme privé, doit veiller à garantir en permanence sa neutralité.

Or la proposition n°9 du rapport 2022 tend à aviver des clivages qui mettent en défaut cette neutralité. En effet, quand le médiateur propose de « Bloquer la souscription d’un contrat de fourniture d’électricité ou de gaz naturel dès la détection d’une erreur d’identification du compteur », on ne peut que retenir une certaine réserve sur sa neutralité. Sachant que le médiateur national de l’énergie énonce clairement collaborer étroitement avec les pouvoirs publics et les acteurs du secteur, et préconise cette proposition en l’a faisant reposer sur le fait que 10% des contentieux repose sur des erreurs d’identification de compteurs, dénommées « erreurs de PDL » (Points De Livraison) ou « erreur de PRM » (Point Référence Mesure) en électricité et « erreur de PCE » (Point de Comptage et Estimation) en gaz.
Ce constat reste curieux en 2023, au regard de la facturation électronique de tous les fournisseurs qui impose obligatoirement le PDL /PRM. Car si un fournisseur transmet une facture, c’est qu’elle est obligatoirement pourvue d’un index de relevé et donc d’un PDL ou PRM. 

Le médiateur propose alors « sous la responsabilité des gestionnaires de réseaux de distribution », la mise en place d’un dispositif de prévention des erreurs de PDL/PRM et PCE. Ce qui dans la pratique s’avère infaisable des turn-over des personnels des gestionnaires de réseaux actuels.
Le médiateur, va plus loin en proposant de « bloquer automatiquement la souscription d’un contrat, dès qu’un risque d’erreur d’identification du compteur est détecté, notamment en vérifiant systématiquement une 2e information » et de « responsabiliser les fournisseurs » qui n’appliquent pas correctement les procédures mises en place dans le cadre de la concertation sous l’égide de la CRE.
Il suggère également de « faire figurer les numéros de PDL/ PRM et PCE sur les baux de location et les actes de vente » et que le consommateur puisse être en droit « d’ exiger des services clientèle des fournisseurs qu’ils questionnent plus précisément les consommateurs pour obtenir une identification la plus fiable possible du point de consommation auquel rattacher le contrat »
En informant « immédiatement (mail, SMS, ...) le consommateur dont le PDL/PCE a fait l’objet d’une demande de résiliation ou de changement de fournisseur, pour qu’il puisse vérifier qu’il est bien à l’origine de cette demande »

L’ensemble de cette proposition amène à de grandes réserves :

- D’abord au regard des codes de l’énergie et de la consommation en ses articles L442-2, L224-1 à L224-16, car il convient de rappeler qu’un médiateur, institutionnel ou pas, ne peut pas recommander de « bloquer automatiquement la souscription d’un contrat » , sans mettre son résident et tout l’habitat automatiquement en situation de précarité énergétique.
- D’autre part, au regard des pratiques professionnelles existantes, dans le secteur des bails de location, qui depuis longtemps appliquent déjà le relevé d’index pour chaque renouvellement de bail. Quand aux actes de ventes, ils sont parfois annexés des relevés d’index Eau/Electricité/Gaz en annexe qui suffit.
- Enfin, au regard des RGPD, où la confidentialité des données peut être piratée.

En conclusion, le rapport 2022 du médiateur public de l’énergie [7] soulève des questionnements sérieux qui risquent de pousser nos juridictions vers la reconnaissance d’un droit opposable de l’énergie, au regard de ces propositions surprenantes et de son regard sur les « autres énergies » émergentes comme l’hydrogène, ou les carburants alternatifs qui dans le secteur des transports ne fait que commencer.

Laure Singla
Environnementaliste expert
PHD International environmental law Promotion François Molins,
PDG fondateur SAS Juris Eco Conseil,
Médiateur administratif et environnemental,
Présidence du Cercle des Médiateurs Environnementaux & Administratifs,
Expert près la CA de Montpellier et la CAA de Toulouse,
Membre CEJICAM, CNEJAE, CEJC, CMEJ

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Notes de l'article:

[1Code National de déontologie du médiateur.

[2Cf recommandations D2023-00001 à 05965 du médiateur Sollen.

[3Cf recommandation D2023-05965 du 6/09/2023.

[4CA Bordeaux. arrêt du 17 novembre 2020 RG n° 19/02419.

[5TJ de Tours – ordonnance de référé du 30 juillet 2019 RG n° 19/20244- TJ St Étienne. Ordonnance de référé du 5
janvier 2023 RG n° 22/00680.

[6CA de Pau Arrêt du 11 juillet 2023 RG n° 21/00850.

[7Ancien commissaire de la marine nationale, tout à tour haut magistrat, conseiller technique au cabinet du président de l’Assemblée nationale, président de la Caisse nationale militaire de Sécurité sociale, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie, directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale, membre suppléant du Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS).

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