L’article 30-3 du Code civil instaure une perte de la nationalité française par désuétude à l’expiration d’un délai de cinquante ans de résidence à l’étranger de l’ascendant français, en l’absence de possession d’état de Français.
La jurisprudence de la Cour de cassation a hésité en ce que le texte édicte une règle de preuve ou une fin de non-recevoir, au sens de l’article 122 du Code de procédure civile.
Après un revirement de jurisprudence, dans un arrêt du 28 février 2018 [1] consacrant une solution selon laquelle il résulte de l’article 30-3 du Code civil et de l’article 126 du Code de procédure civile combinés que le juge doit apprécier les conditions d’application de la fin de non-recevoir au moment où il statue.
Pour les ascendants de français, leur action et leur droit à faire la preuve de leur nationalité française dépend de l’interprétation de l’article 30-3 du Code civil.
Un an plus tard, dans un arrêt du 13 juin 2019, la Cour de cassation opérait un nouveau revirement [2] en ce que le texte édite une règle de preuve et non une fin de non-recevoir.
Ainsi, aucune régularisation ne peut intervenir, la présomption est considérée comme irréfragable.
En conséquence, les ascendants de Français perdent leur droit à faire la preuve de leur nationalité française.
Le contentieux est important pour de nombreux Français nés Français, et particulièrement incompréhensible, leur action déclaratoire de nationalité française aboutie à ce qu’un jugement leur refuse le droit à faire la preuve de leur nationalité française tout en constatant la perte de cette même nationalité.
Cette désuétude soulevée par le Ministère Public et opposée par les juridictions, ne serait-elle pas contraire au principe fondamental reconnu par les lois de la République, en ce qu’elle fait obstacle à un recours juridictionnel effectif, au sens de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ?
La question est posée.
Sur les deux questions prioritaires de constitutionnalité posées par le pourvoi, une seule a été renvoyée au Conseil constitutionnel, le 8 janvier 2025, et enregistrée le 15 janvier 2025.
« L’article 30-3 du Code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, est-il contraire au principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel la perte de la qualité de français par désuétude ne peut être constatée que par un jugement, en ce qu’il instaure une présomption irréfragable de perte de la nationalité française à l’expiration du délai cinquantenaire d’expatriation de l’ascendant, en l’absence de possession d’état de l’intéressé et de son ascendant durant ce délai ? »
La décision du Conseil constitutionnel sera l’occasion de stabiliser la jurisprudence et les interprétations de ce texte, alors que la Cour de cassation semble avoir déjà amorcé un processus de limitation de la portée de l’article 30-3 du civil.
La jurisprudence sur la perte de la nationalité française, s’oriente depuis 2022 vers une limitation de la portée de l’article 30-3 du Code civil, le renvoi et la saisine du Conseil constitutionnel confirme cette orientation.
Dans ce sens, et très récemment, la Cour de cassation a dans un arrêt du 27 novembre 2024, publié au Bulletin [3] a jugé que la désuétude de l’article 30-3 du Code civil ne peut être opposée aux enfants mineurs, au jour de l’introduction de l’action déclaratoire de nationalité française, si elle ne l’a pas été à leur auteur.
La décision du Conseil constitutionnel est attendue.
Mais d’autres questions prioritaires de constitutionnalité mériteraient, elles aussi d’être renvoyées, la question de la prescription cinquantenaire de l’action déclaratoire de nationalité [4] et l’absence de prescription pour l’action négatoire de nationalité française du Ministère public régie par l’article 29-3 du Code civil sont-elles conformes au principe de l’égalité devant la loi ? Et du procès équitable ?
Dans un arrêt du 4 avril 2019 [5] la Cour de cassation a refusé de renvoyer cette autre question prioritaire de constitutionnalité de l’article 30-3 du Code civil.
Elle semble prête à le faire aujourd’hui.
Affaire à suivre…