La règle de l’inopposabilité des délais de recours est prévue par les articles L112-6 du Code des relations entre le public et l’administration et l’article R421-5 du Code de justice administrative qui rendent inopposables les délais de recours lorsque l’administration n’a pas fourni au destinataire de l’acte les informations nécessaires à la connaissance des voies et délais de recours.
L’article L112-6 du Code des relations entre le public et l’administration est relatif à l’obligation pour l’administration de délivrer un accusé de réception à certaines demandes reçues du public. Quant à l’article R421-5 du Code de justice administrative, il est relatif aux notifications des décisions administratives devant comporter l’ensemble des voies et délais de recours sous peine d’inopposabilité des délais de recours.
La logique qui sous-tend cette règle est que toute décision explicite doit comporter les informations suffisantes devant permettre à l’intéressé de connaitre les voies et délais de recours. Elle s’applique également aux décisions implicites de rejet soumises à l’obligation d’un accusé de réception. Cette règle s’applique aussi bien en matière de recours pour excès de pouvoirs qu’en matière de recours de plein contentieux.
En effet, les délais de recours contre une décision administrative sont très brefs. Ils sont généralement d’une durée de deux mois pour la plupart. Certaines décisions ont même une durée inférieure à deux mois.
L’administré, qui est souvent un profane face à la complexité de la procédure administrative, risque de voir son recours rejeté pour motif de forclusion. Dans ces conditions, la règle de l’inopposabilité constitue une garantie pour l’administré d’accéder à la justice et une sanction contre l’administration quand cette dernière ne fournit pas au destinataire de l’acte les informations nécessaires à la connaissance des voies et délais de recours.
Le non-respect des règles de notification a pour conséquence d’entrainer, d’une part, l’inopposabilité des délais de recours et, d’autre part, l’application d’un délai raisonnable d’un an au cours duquel le recours de l’intéressé sera déclaré recevable. Toutefois, des exceptions existent aussi bien pour la règle de l’inopposabilité des délais de recours que pour le délai raisonnable d’un an.
Il convient dans un premier temps, d’aborder les principes régissant la règle de l’inopposabilité des délais de recours (I) et, dans un second temps, les situations d’inapplicabilité de la règle de l’inopposabilité des délais de recours (II).
I - Les principes régissant la règle de l’inopposabilité des délais de recours.
Le principe de l’inopposabilité des délais de recours devant le juge administratif, d’une part, impose à l’administration d’indiquer au demandeur les informations nécessaires à la connaissance des voies et délais de recours. Il s’agit de l’applicabilité de la règle de l’inopposabilité des délais de recours en cas de manquement aux obligations de notifications (A). D’autre part, la règle de l’inopposabilité des délais de recours prévoit l’application d’un délai raisonnable de recours comme conséquence du non-respect des formalités de notification (B).
A - L’applicabilité de la règle de l’inopposabilité des délais de recours en cas de manquement aux obligations de notifications.
Quel que soit le fondement de la délivrance d’une notification à une décision administrative, l’acte doit comporter un certain nombre de mentions nécessaires pour faire courir le délai de recours.
1 - L’absence d’accusé de réception aux demandes faite à l’administration.
L’obligation d’accuser réception de certaines demandes faites par le public est prévue par l’article L112-3 du Code des relations entre le public et l’administration qui précise que « Toute demande adressée à l’administration fait l’objet d’un accusé de réception.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables :
1° Aux demandes abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ;
2° Aux demandes, définies par décret en Conseil d’Etat, pour lesquelles l’administration dispose d’un bref délai pour répondre ou qui n’appellent pas d’autre réponse que le service d’une prestation ou la délivrance d’un document prévus par les lois ou règlements ».
Les voies et délais de recours que l’autorité administrative doit mentionner dans la notification de sa décision par l’accusé de réception doivent comporter suffisamment de précisions pour permettre à l’intéressé de ne pas se tromper dans son recours. Ainsi, aux termes de l’article R112-5 du Code des relations entre le public et l’administration :
« L’accusé de réception prévu par l’article L112-3 comporte les mentions suivantes :
1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d’une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ;
2° La désignation, l’adresse postale et, le cas échéant, électronique, ainsi que le numéro de téléphone du service chargé du dossier ;
3° Le cas échéant, les informations mentionnées à l’article L114-5, dans les conditions prévues par cet article.
Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d’acceptation. Dans le premier cas, l’accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l’encontre de la décision. Dans le second cas, il mentionne la possibilité offerte au demandeur de se voir délivrer l’attestation prévue à l’article L232-3 ».
Par ailleurs, l’article L112-6 du même code ajoute que « Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. Le défaut de délivrance d’un accusé de réception n’emporte pas l’inopposabilité des délais de recours à l’encontre de l’auteur de la demande lorsqu’une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant l’expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une décision implicite ». Elle s’applique donc aux demandes soumises à l’obligation d’un accusé de réception prévu à l’article L112-3 du même code. Pour ces demandes, l’administration est tenue de délivrer un accusé de réception au demandeur ou à défaut, de lui délivrer une décision expresse mentionnant les voies et délais de recours [1]. Toutefois, l’article L112-3 précité exclut l’accusé de réception pour les demandes abusives et celles pour lesquelles l’administration dispose d’un bref délai pour répondre ou qui n’appellent pas d’autre réponse que le service d’une prestation ou la délivrance d’un document prévus par les lois ou règlements.
Ainsi, le Conseil d’État a jugé, dans son arrêt du 13 janvier 2003, que « toute personne est informée, par l’accusé de réception, des délais et voies de recours contre la décision, implicite ou explicite, qui sera prise sur sa demande et qu’à défaut d’une telle mention, les délais de recours ne lui sont pas opposables » [2].
2 - L’absence d’indication des voies et délais de recours dans la notification de la décision explicite.
L’inopposabilité des délais de recours s’applique également aux décisions non soumises à l’obligation d’accusé de réception sur le fondement de l’article R421-5 du Code de justice administrative. C’est le cas des relations entre l’administration et ses agents qui sont exclues de l’obligation d’accusé de réception des demandes. Toutefois, l’inopposabilité des délais de recours prévue à l’article R421-5 du Code de justice administrative s’applique aux décisions explicites prises par l’administration à l’égard de ses agents. Dans sa décision du 28 février 2002, la Cour administrative d’appel de Nancy a jugé que les délais de recours contre une décision d’une commune de notation d’un fonctionnaire territorial ne mentionnant pas les délais et voies de recours est inopposable à ce dernier [3].
Il convient de rappeler que l’article R421-5 du Code de justice administrative n’impose pas l’obligation d’un accusé de réception, mais exige que l’administration mentionne, dans ses décisions explicites de rejet, les voies et délais de recours permettant d’informer le demandeur sur son recours. Aux termes de cette disposition précitée, « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ». Toutefois, le Code de justice administrative, contrairement à l’article L112-6 du Code des relations entre le public et l’administration, ne fait pas de distinction entre les demandes soumises à l’obligation d’accusé de réception et les autres demandes. Elle impose uniquement que toute réponse de l’administration comporte la mention des délais et voies de recours sous peine d’inopposabilité des délais de recours. L’article R421-2 du Code de justice administrative prévoit un délai de deux mois pour saisir la juridiction administrative pour les décisions implicites de rejet sans préciser le sort des décisions implicites de rejet non assorties d’un accusé de réception. Aux termes de cette disposition, « dans les cas où le silence gardé par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l’intéressé dispose, pour former un recours, d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet ». Cette disposition rend inopposable les délais de recours uniquement pour les décisions explicites de rejet dépourvues des mentions obligatoires de notifications ou ayant indiqué des informations de recours insuffisantes.
Cette différence de traitement entre les actes visés à l’article L112-6 du Code des relations entre l’administration et le public et ceux visés par l’article R421-2 du Code de justice administrative avait été contestée devant le Conseil d’État pour inconstitutionnalité en raison du fait que le délai court à l’égard des fonctionnaires à partir de la naissance d’une décision implicite de rejet malgré l’absence d’accusé de réception. Pour refuser de déférer la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a justifié son choix de la manière suivante : « La nature des relations qu’un agent employé par une personne publique, entretient, en cette qualité, avec son employeur, est différente, même lorsqu’il a perdu cette qualité, de celle entretenue par l’administration avec le public, y compris l’agent en sa qualité de citoyen ou d’usager. En excluant l’application aux relations entre l’administration et ses agents des dispositions des articles L112-3 et L112-6 du Code des relations entre le public et l’administration, qui ont pour objet de régir les relations du public avec l’administration, sans viser à intervenir dans les relations entre l’administration et ses agents, les dispositions de l’article L112-2 du même code ne procèdent dès lors pas de distinctions injustifiées entre les administrés et les agents de l’administration et assurent aux justiciables des garanties propres à chacune des différentes natures de litiges qui sont susceptibles de les opposer à l’administration » [4].
3 - L’absence d’indication de la juridiction administrative compétente.
Ainsi, la notification de la décision administrative doit indiquer la juridiction administrative compétente et la désigner afin de permettre à l’intéressé de connaître la juridiction auprès de laquelle son recours contentieux doit être déposé. Dans sa décision du 25 mars 2016, le Conseil d’État a sanctionné l’absence d’indication de la juridiction compétente ayant entrainé la saisine, par l’administré, d’une juridiction incompétente. Il a, de ce fait, considéré que « si l’auteur d’un recours juridictionnel tendant à l’annulation d’une décision administrative doit être réputé avoir eu connaissance de la décision qu’il attaque au plus tard à la date à laquelle il a formé son recours, ni le recours devant une juridiction incompétente ni la notification d’une décision de rejet par une telle juridiction ne sont de nature à faire courir les délais de recours devant le juge administratif à l’encontre de la décision litigieuse » [5]. La notification doit indiquer si le recours contentieux « doit être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle » [6]. La Cour administrative d’appel de Marseille a jugé, dans son arrêt du 7 avril 2008, que n’est pas conforme aux dispositions de l’article R421-5 du Code de justice administrative la notification indiquant au destinataire de l’acte qu’il pouvait les contester dans le délai de deux mois devant le tribunal judiciaire ou le tribunal administratif compétent. Une telle notification ne comporte pas une indication des voies de recours suffisamment claire pour renseigner le destinataire [7]. Ainsi, une décision mentionnant les voies et délais de recours sans aucune indication sur la juridiction compétente est considérée comme irrégulière [8]. Toutefois, l’article R421-5 précité n’impose pas que le tribunal administratif territorialement compétent soit indiqué dans la notification de la décision [9] .
4 - L’absence d’indication des recours administratifs préalables obligatoires.
La notification d’une décision doit préciser l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire auprès d’une administration ou d’une commission afin d’être opposable au destinataire de l’acte. L’absence d’indication, dans l’acte administratif, d’un recours administratif préalable obligatoire a pour conséquence d’induire le requérant en erreur et de ne pas faire courir le délai. Aux termes de l’article L412-3 du Code des relations entre le public et l’administration, « La décision soumise à recours administratif préalable obligatoire est notifiée avec l’indication de cette obligation ainsi que des voies et délais selon lesquels ce recours peut être exercé ». Cette obligation s’impose également aux actes non couverts par le Code des relations entre le public et l’administration sur le fondement de l’article R421-5 du Code de justice administrative. Dans son arrêt du 19 mai 2004, le Conseil d’État a considéré qu’en l’absence de toute mention, dans la notification d’une décision attaquée, du caractère obligatoire de ce recours administratif préalable, le délai du recours contentieux ne court pas et ce dernier conserve la possibilité de former contre ces décisions un recours devant la commission devant recevoir son recours administratif préalable [10]. Dans son arrêt du 15 novembre 2006, le Conseil d’État a rappelé que « cette notification doit, s’agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire ainsi que l’autorité devant laquelle il doit être porté » [11]. Cette obligation s’impose également en matière d’accès aux documents administratifs où l’administration est obligée d’indiquer au demandeur l’obligation de saisine préalable de la commission d’accès aux documents administratifs. La haute juridiction a ainsi jugé que « la notification de la décision administrative de refus, ou l’accusé de réception de la demande l’ayant fait naître si elle est implicite, doit nécessairement mentionner l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire devant la commission d’accès aux documents administratifs, ainsi que les délais selon lesquels ce recours peut être exercé » [12].
5 - L’absence de mention des voies et délais de recours en cas de recours administratif.
L’obligation d’une notification régulière est exigée par la jurisprudence même lorsque le demandeur forme un recours hiérarchique. Dans ce cas, la réponse de l’autorité hiérarchique doit mentionner les voies et délais exigés par la jurisprudence, même dans l’hypothèse où la décision initiale comportait déjà les mentions exactes des voies et délais de recours. Dans ce cas, s’agissant des décisions soumises à l’obligation d’un accusé de réception, l’autorité hiérarchique doit délivrer au demandeur un accusé de réception comportant les mentions des voies et délais de recours dans l’éventualité d’une décision implicite de rejet ou rendre une décision explicite comportant la mention des voies et délais de recours. Dans un premier temps, le Conseil d’État avait jugé que lorsque la décision explicite de rejet comporte déjà l’indication des voies et délais de recours, l’absence de ces indications dans une décision implicite de rejet prise suite à un recours hiérarchique rendait les délais de recours opposable [13]. Cette jurisprudence a donc été abandonnée par la haute juridiction qui a estimé, dans un arrêt du 7 décembre 2015, que « les délais de recours contre une décision administrative prise en matière d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, soit dans sa notification si la décision est expresse, soit dans l’accusé de réception de la demande l’ayant fait naître si elle est implicite ; qu’il en va ainsi, y compris lorsque la décision, prise à la suite de l’exercice d’un recours hiérarchique qui n’est pas un préalable obligatoire au recours contentieux, ne se substitue pas à la décision qui a fait l’objet de ce recours » [14]. Dans sa décision du 27 décembre 2021, le Conseil d’État a jugé que « lorsque, à la suite d’une décision ayant rejeté une demande indemnitaire en mentionnant les voies et délais dans lesquels pouvait être introduite une action indemnitaire et ayant, ainsi, fait courir le délai de recours contentieux, le demandeur forme, avant l’expiration de ce délai, un recours gracieux contre cette décision, le délai de recours pour former une action indemnitaire, interrompu par le recours gracieux, ne recommence à courir qu’à compter, soit de la notification d’une nouvelle décision expresse de refus mentionnant les voies et délais d’un recours indemnitaire, soit, en cas de silence de l’administration, à compter de la naissance A... la décision implicite qui en résulte, à la condition que l’accusé de réception du recours gracieux ait mentionné la date à laquelle cette décision implicite était susceptible de naître, ainsi que les voies et délais de recours qui lui seraient applicables » [15].
Toutefois, pour les demandes non soumises à l’obligation d’accusé de réception, l’administration n’est pas tenue d’indiquer les voies et délais de recours dans ses décisions issues de recours gracieux ou hiérarchiques lorsque la décision initiale comportait la mention des voies et délais de recours. Ainsi, dans sa décision du 7 octobre 1988, la haute juridiction a considéré que la notification de l’arrêté comportait déjà les mentions des voies et délais de recours et malgré le fait que la notification de la décision rejetant explicitement le recours gracieux ne les comportait pas à nouveau, les délais de recours contentieux ont couru à l’encontre des requérants [16]. La Cour administrative d’appel de Lyon a également jugé, dans un arrêt du 13 juin 2017, que lorsque la décision initiale mentionne les voies et délais de recours, les délais de recours restent opposables au requérant même si la décision rejetant le recours gracieux ne les comporte pas [17].
6 - En cas de notification comportant des ambigüités.
Par ailleurs, la notification d’une décision doit comporter des informations assez précises de manière à ne pas induire en erreur le destinataire de l’acte sur les voies et délais de recours en évitant toute mention susceptible de créer des ambigüités sur la coordination entre les recours administratifs et contentieux. Il est de jurisprudence constante qu’un recours administratif a pour effet de conserver le délai de recours contentieux [18]. Ainsi, un recours administratif, qu’il soit gracieux ou hiérarchique, interrompt le délai de recours contentieux [19]. Toutefois, il existe de manière exceptionnelle des recours administratifs qui n’ont pas pour effet de proroger le délai du recours contentieux, comme c’est le cas en matière de décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l’égard d’un étranger [20]. Les informations contenues dans la notification doivent donc être suffisamment claires et précises afin de ne pas paraître ambigües pour l’intéressé. A cet égard, le Conseil d’État a jugé, dans sa décision du 4 décembre 2009, que « l’administration n’est tenue de faire figurer dans la notification de ses décisions que les délais et voies de recours contentieux ainsi que les délais de recours administratifs préalables obligatoires ; qu’il lui est loisible d’y ajouter la mention des recours gracieux et hiérarchiques facultatifs, à la condition toutefois qu’il n’en résulte pas des ambiguïtés de nature à induire en erreur les intéressés dans des conditions telles qu’ils pourraient se trouver privés du droit à un recours contentieux effectif » [21]. Dans un arrêt du 31 juillet 2015, le Conseil d’État a censuré une Cour administrative d’appel qui avait retenu qu’une notification qui rappelait la possibilité d’un recours contentieux dans le délai de deux mois était dénuée d’ambigüité alors qu’il lui revenait « d’apprécier si la mention facultative de la possibilité d’un recours hiérarchique auprès du préfet de région n’était pas de nature à induire en erreur l’intéressé dès lors, en particulier, qu’il n’était nullement précisé que ce second recours administratif ne pouvait conserver le délai de recours contentieux » [22]. Dans son arrêt du 30 janvier 2024, la Cour administrative d’appel de Nancy a censuré les modalités de notification d’une décision de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales radiant un membre de son affiliation en raison de ses ambigüités. Selon la Cour, le fait de mentionner sur une décision de rejet, prise sur un recours gracieux, les voies et délais de recours gracieux et contentieux sans préciser qu’un nouveau recours de ce type n’était pas de nature à proroger le délai de recours contentieux, est de nature à induire l’intéressé en erreur [23]. Toutefois, le Conseil d’État a jugé que « L’indication de la faculté pour le requérant de demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin qu’un conseil lui soit désigné d’office, conformément à ce que prévoient les dispositions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, n’est pas de nature à induire en erreur les intéressés » [24].
B - L’applicabilité d’un délai raisonnable d’un an comme conséquence de l’inopposabilité des délais de recours.
Le délai raisonnable est la sanction de la méconnaissance des règles de notifications prévues aux articles L112-6 du Code des relations entre public et l’administration et R421-5 du Code de justice administrative.
1 - La consécration du délai raisonnable.
Ce délai raisonnable a été consacré par le Conseil d’État dans son arrêt du 17 juillet 2016, dit arrêt Czabaj [25]. Il est d’une durée d’un an.
Avant cette décision, le délai accordé au requérant pour former son recours contentieux n’était pas limité dans le temps. Ainsi, dans son arrêt du 29 octobre 2001, le Conseil d’État a admis la recevabilité d’une requête déposée après plus d’une année de la notification de la décision administrative à l’intéressé. Il a motivé sa décision par le fait que la décision de rejet de l’administration « ne portait pas mention des voies et délais de recours dans lesquels cette décision pouvait être déférée devant le tribunal administratif compétent » [26].
Toutefois, avec l’arrêt Czabaj du 13 juillet 2016, le Conseil d’État a fixé le délai raisonnable à une année au-delà de laquelle aucun recours ne sera plus recevable en raison de la sécurité juridique. Ainsi, selon le Conseil d’État :
« 5. Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le Code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance,
6. Considérant que la règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ; qu’il appartient dès lors au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance » [27].
Toutefois, la jurisprudence CZABAJ d’un délai raisonnable d’un an n’est pas applicable aux recours formés avant ladite décision rendue le 13 juillet 2016. Le Conseil a justifié cette règle dans son arrêt du 16 février 2024 dans lequel il a jugé qu’il « résulte de l’arrêt Legros et autres c/ France (n° 72173/17) du 9 novembre 2023 de la Cour européenne des droits de l’homme que la règle énoncée au point précédent, règle jurisprudentielle issue de la décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux n° 387763 du 13 juillet 2016, ne saurait être opposée à un recours juridictionnel formé avant l’intervention de cette décision sans violation des droits garantis par les stipulations de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » [28]. Dès lors, le délai raisonnable d’un an ne peut pas être opposé aux requérants ayant formé leur recours avant l’intervention de l’arrêt CZABAJ du 13 juillet 2016. Par conséquent, le délai appliqué dans ces litiges dépasse le délai raisonnable d’un an.
Toutefois, le Conseil d’État a tenu à préciser le sort des décisions implicites de rejet applicables avant l’entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016 prévue le 1er janvier 2017. Avant l’entrée en vigueur de ce décret, l’article R421-3 du Code de justice administrative, dans sa version applicable, prévoyait, matière de plein contentieux, que l’intéressé n’était forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet. Ainsi, seule une décision explicite de rejet pouvait faire courir le délai de recours. Or, depuis l’entrée en vigueur du décret précité, le point relatif au recours de plein contentieux a été supprimé pour les décisions ne pouvant faire l’objet que d’une décision explicite de rejet. Par conséquent, la nouvelle règle qui s’applique aux décisions implicites de rejet en matière de recours de plein contentieux a été précisée par le Conseil d’État, dans son arrêt du 30 janvier 2019 dans lequel il a jugé qu’un « délai de recours de deux mois court, par suite, à compter du 1er janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette date » [29]. Toutefois, lorsque le délai de recours n’a pas couru faute d’accomplissement des formalités obligatoires de notifications, le délai raisonnable s’applique aux décisions antérieures au décret du 2 novembre 2016. Dans son arrêt du 6 juin 2020, il a considéré qu’en « ce qui concerne les décisions implicites de rejet relevant du plein contentieux nées avant le 1er janvier 2017, dont il est établi que le demandeur a eu connaissance avant cette date, mais pour lesquelles l’administration, alors qu’elle était soumise à cette obligation, n’a pas délivré d’accusé de réception ou a délivré un accusé de réception ne comportant pas les mentions requises, le délai de recours expire le 31 décembre 2017, sauf circonstances particulières invoquées par le requérant » [30].
Ce délai raisonnable d’un an sera plus tard consacré dans plusieurs autres domaines du contentieux administratif, comme le contentieux indemnitaire, de l’accès aux documents administratifs, des titres exécutoires, du droit des étrangers et des contrats administratifs, etc.
2 - L’extension du délai raisonnable au contentieux ayant un objet exclusivement pécuniaire.
Le délai raisonnable d’un an consacré par la jurisprudence CZABAJ va être étendu à d’autres domaines du contentieux administratif aussi bien qu’en matière de recours pour excès de pouvoirs qu’en matière de recours de plein contentieux. Il a été étendu aux demandes ayant un objet pécuniaire dans l’arrêt du Conseil d’État du 9 mars 2018. Dans cette affaire, une communauté de communes avait demandé au tribunal administratif de condamner l’État à réparer son préjudice dû à la minoration de ses dotations de compensation. La demande avait été jugée irrecevable par la Cour administrative d’appel. Le Conseil d’État a confirmé l’arrêt déclarant une partie des demandes irrecevables pour tardiveté en appliquant le délai raisonnable d’un an, car étant une « décision ayant un objet exclusivement pécuniaire [31] ». De même, la décision par laquelle l’administration rejette la demande d’un professeur des écoles par laquelle ce dernier sollicite le bénéfice de la prime spécifique d’installation constitue une décision qui a un objet exclusivement pécuniaire. Elle doit donc être contestée dans le délai raisonnable d’un an lorsque l’administration n’a pas respecté les obligations de notifications [32]. A cet égard, la Cour administrative d’appel de Nantes a précisé que « l’expiration du délai permettant d’introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l’objet est purement pécuniaire, avec toutes les conséquences pécuniaires qui en sont inséparables, fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée. Ainsi, toute demande ultérieure présentée devant le tribunal administratif qui, fondée sur la seule illégalité de cette décision, tend à l’octroi d’une indemnité correspondant aux montants non versés ou illégalement réclamés est irrecevable » [33]. Dans son arrêt du 18 février 2021, la Cour administrative d’appel de Versailles a jugé que la décision par laquelle l’administration rejette une réclamation relative à une rémunération d’heures supplémentaires faite par un professeur constitue une décision ayant un objet exclusivement pécuniaire et doit être contestée dans le délai raisonnable d’un an [34].
3 - L’extension du délai raisonnable au contentieux des titres exécutoires.
Le délai raisonnable d’un an a également été étendu au contentieux de contestation des titres exécutoires de l’administration dans l’arrêt du Conseil d’État du 9 mars 2018. Pour le Conseil, « S’agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance » [35]. Par une décision du 16 avril 2019, le Conseil d’État a confirmé le délai d’un an pour les titres exécutoires. Dans cette affaire, la société France Telecom contestait un titre exécutoire d’une communauté d’agglomération au titre d’une redevance d’occupation des infrastructures de télécommunication. Le titre exécutoire notifié à la société requérante comportait la mention des voies et délais de recours mais n’indiquait pas la juridiction compétente. Le Conseil a donc considéré la notification comme irrégulière et appliqué le délai raisonnable d’un an en jugeant que le délai raisonnable ne saurait excéder un an [36]. Dans une affaire rendue par le Conseil d’État le 23 décembre 2022, un requérant contestait la décision par laquelle l’administration a mis à sa charge un titre exécutoire d’un montant de 13 882,74 euros correspondant au remboursement d’un trop perçu de rémunération. L’absence d’indication, dans la notification du titre exécutoire, des voies et délais de recours a entrainé l’inopposabilité des délais de recours. Toutefois, le Conseil d’État a considéré que délai requérant disposait d’un délai raisonnable d’un an pour attaquer la décision [37].
4 - L’extension du délai raisonnable au contentieux des impôts.
Le délai raisonnable a également été étendue aux réclamations relatives aux impôts lorsque les mentions obligatoires de notifications n’ont pas été respectées par l’administration. Dans son arrêt du 31 mars 2017, le Conseil d’État a considéré que « l’avis d’imposition ou l’avis de mise en recouvrement par lequel l’administration porte les impositions à la connaissance du contribuable doit mentionner l’existence et le caractère obligatoire, à peine d’irrecevabilité d’un éventuel recours juridictionnel, de la réclamation prévue à l’article R190-1 du livre des procédures fiscales, ainsi que les délais de forclusion dans lesquels le contribuable doit présenter cette réclamation et, d’autre part, que le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours ou l’absence de preuve qu’une telle information a été fournie est de nature à faire obstacle à ce que les délais prévus par les articles R196-1 et R196-2 du livre des procédures fiscales lui soient opposables » et que « Dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d’un recours administratif, celui-ci doit être exercé, comme doit l’être le recours juridictionnel, dans un délai raisonnable. Le recours administratif préalable doit être présenté dans le délai prévu par les articles R196-1 ou R196-2 du livre des procédures fiscales, prolongé, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable, d’un an » [38].
5 - L’extension du délai raisonnable aux décisions implicites de rejet.
Par ailleurs, le délai raisonnable d’un an a également été appliqué aux décisions implicites de rejet pour les décisions soumises à l’obligation d’un accusé de réception prévu par le Code des relations entre le public et l’administration. Dans son arrêt du 18 mars 2019, le Conseil d’État a précisé qu’en l’absence d’un accusé de réception comportant les mentions prévues à l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 (actuel article L112-3 du Code des relations entre le public et l’administration) les délais de recours contre une décision implicite de rejet ne sont pas opposables à son destinataire. Il en conclut que « sont également applicables à la contestation d’une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu’il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision » [39].
6 - L’extension du délai raisonnable à l’accès aux documents administratifs.
L’application du délai raisonnable d’un an a aussi été étendu au contentieux relatif à l’accès aux documents administratifs. Dans son arrêt du 11 juillet 2016, le Conseil d’État avait reconnu l’inopposabilité des délais de recours lorsque l’administration ne mentionne pas dans son accusé de réception ou sa décision expresse l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire devant la Commission d’accès aux documents administratifs. Mais il n’avait pas fixé un délai limite imparti au requérant pour saisir la commission d’accès aux documents administratifs [40]. Cette situation s’explique par le fait la décision précitée est antérieure à la décision CZABAJ ayant consacré le délai raisonnable d’un an. Toutefois, le Conseil d’État a fini par étendre le délai raisonnable d’un an au contentieux de l’accès aux documents administratifs dans son arrêt du 11 mars 2024. Ainsi, pour le Conseil d’État :
« Il résulte des dispositions des articles L112-3, L112-6, L412-3, R311-12, R311-13, R311-15, et R343-3 à R343-5 du Code des relations entre le public et l’administration, et de celles des articles R421-1 et R421-5 du Code de justice administrative que le demandeur dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification de la confirmation du refus de communication de documents administratifs qu’il a sollicités pour en demander l’annulation au tribunal administratif compétent, sous réserve qu’il ait été informé tant de l’existence du recours administratif préalable obligatoire devant la CADA et des délais dans lesquels ce recours peut être exercé que des voies et délais de recours contentieux contre cette confirmation. En l’absence de cette information, le demandeur peut demander l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il en a eu connaissance. Sauf circonstance particulière, que ne constitue pas la notification de l’avis de la CADA, ce délai ne saurait excéder un an » [41].
Ce délai raisonnable dans l’accès aux documents administratifs en l’absence de respect des formalités obligatoires de notification avait été appliqué par les Cours administratives d’appels avant la décision du Conseil d’État précitée [42].
7 - L’extension du délai raisonnable en droit des étrangers.
Le contentieux du droit des étrangers jouit également de l’application du délai raisonnable d’un an lorsque l’administration manque à ses obligations de notification relatives à l’accusé de réception ou à la mention des voies et délais de recours dans sa décision. Les demandes faites par les étrangers sont soumises à une décision implicite de rejet d’après l’article R432-1 du Code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile aux termes duquel « Le silence gardé par l’autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet ». Pourtant, les demandes formulées par les étrangers sont considérées par le Conseil d’État comme des demandes au sens de l’article L110-1 du Code des relations entre le public et l’administration [43]. Dans son arrêt du 7 décembre 2017, le Conseil a précisé que l’absence d’accusé de réception sur un recours gracieux d’un étranger en matière de titre de séjour rendait les délais de recours inopposables au requérant [44]. Le Conseil d’État s’est seulement contenté de constater l’inopposabilité des délais de recours en raison de l’absence d’un accusé de réception sur la demande de l’étranger sans préciser le délai maximal dans lequel le recours de ce dernier demeure recevable. Toutefois, les Cours administratives d’appel ont fait cette précision manquante et indiqué un délai raisonnable d’un an. Ainsi, dans son arrêt du 2 mai 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a fait application du délai raisonnable sur une demande d’un titre de séjour mention carte résident. En l’espèce, suite à un recours gracieux d’un étranger adressé au préfet, ce dernier n’a pas accusé réception de la demande de l’étranger. La Cour a considéré que l’absence d’accusé de réception rend le délai de recours inopposable à l’étranger et admis la recevabilité de son recours dans le délai raisonnable [45]. La Cour administrative d’appel de Toulouse a fait application du délai raisonnable d’un an dans son arrêt du 12 septembre 2024. En l’espèce, un étranger à fait une demande d’admission exceptionnelle au séjour en vue d’obtenir un titre de séjour salarié. Sa demande a fait l’objet d’une décision implicite de rejet. Toutefois, l’absence d’accusé de réception prévue à l’article L112-3 du Code des relations entre le public et l’administration a poussé la Cour à considérer que le délai de recours n’était pas opposable à l’étranger. Elle a ainsi considéré que « le délai de recours de deux mois n’était pas opposable à Mme B, alors que le délai raisonnable d’un an mentionné au point 4 n’a commencé à courir qu’à compter du 15 juin 2023 » [46].
La règle du délai raisonnable est également applicable dans le contentieux des visas d’entrée et de séjour en France. La décision consulaire refusant le visa, ainsi que les décisions implicites ou explicites de la Commission de recours contre les refus de visas, doivent respecter les formalités de notifications prévues par la loi. Dans son arrêt du 12 avril 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes a rappelé ces règles, notamment celle de l’obligation d’un accusé de réception pour les recours obligatoires auprès de la Commission. Elle a considéré que « la décision des autorités consulaires ou l’accusé de réception du recours préalable formé à son encontre doit mentionner l’existence et le caractère obligatoire, à peine d’irrecevabilité d’un éventuel recours juridictionnel, du recours prévu à l’article D312-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que le délai de forclusion dans lequel la demandeuse doit présenter ce recours et, d’autre part, que le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressée sur les voies et les délais de recours ou l’absence de preuve qu’une telle information a été fournie est de nature à faire obstacle à ce que les délais prévus par les articles D312-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile lui soient opposables » [47]. Et d’ajouter que « si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le Code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable » et que « ces règles relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d’une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d’une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu’il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision » [48]. Dans un arrêt du 29 octobre 2024, la même Cour a également retenu l’inopposabilité des délais de recours pour les décisions de refus de visas des autorités consulaires lorsque la décision omet des indications obligatoires dans la notification. Ainsi, pour opposer le délai raisonnable d’un an dans une pareille situation, la Cour a estimé que « l’absence de mention sur la décision des autorités consulaires de l’existence et du caractère obligatoire, à peine d’irrecevabilité d’un éventuel recours juridictionnel, de la demande préalable prévue à l’article D312-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que des délais dans lesquels le demandeur doit présenter cette demande, prévus notamment par l’article D312-4 du même code, fait obstacle à ce que ces délais soient opposables au demandeur » [49].
8 - L’extension du délai raisonnable en matière de contestation d’un contrat administratif.
En outre, le délai raisonnable est également ouvert aux actions des tiers visant à contester, devant le juge administratif, les contrats et leurs clauses lorsqu’ils sont susceptibles de les léser dans leurs intérêts de façon suffisamment directe. Le délai de saisine du juge en recours de plein contentieux a été fixé par la décision Tarn-et-Garonne « dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées » [50]. Toutefois, il peut arriver que les formalités de publicités ne soient pas respectées, ce qui peut entrainer l’inopposabilité des délais de recours devant le juge du contrat. C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a fait application du délai raisonnable d’un an dans ses deux arrêts du 19 juillet 2023. Ainsi, pour le Conseil, « le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que la validité d’un contrat administratif puisse être contestée indéfiniment par les tiers au contrat. Dans le cas où, faute que tout ou partie des mesures de publicité appropriées mentionnées au point précédent aient été accomplies, le délai de recours contentieux de deux mois n’a pas commencé à courir, le recours en contestation de la validité du contrat ne peut être présenté au-delà d’un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c’est-à-dire de son objet et des parties contractantes. En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable » [51]. La même règle a été retenue par le Conseil dans un second arrêt rendu le même jour [52].
9 - La non-extension du délai raisonnable en matière de responsabilité administrative et aux décisions n’ayant pas un objet exclusivement pécuniaire.
Le délai raisonnable est inapplicable dans le contentieux de la responsabilité administrative. Dans ce contentieux, il y a un délai de principe de deux mois qui court à partir de la réception d’une décision explicite de rejet mentionnant les délais de recours ou à partir d’une décision implicite de rejet à condition que l’accusé de réception ait été transmis à l’intéressé et qu’il mentionne clairement les délais et voies de recours [53].
En cas de manquement à ces obligations, les délais de recours prévus à l’article R421-5 du Code de justice administrative ne sont pas opposable à l’intéressé. Toutefois, s’applique un nouveau délai limité à quatre ans inspiré de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics. Le Conseil d’État a consacré ce délai dans son arrêt du 17 juin 2019 :
« Il résulte, par ailleurs, du principe de sécurité juridique que le destinataire d’une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s’il entend obtenir l’annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique qui, s’ils doivent être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l’article L1142-28 du Code de la santé publique » [54].
La décision du Conseil d’État du 25 juin 2024 a été l’occasion de constater la différence d’application entre les deux délais, à savoir le délai raisonnable d’un an et le délai de quatre ans applicable à la prescription des créances contre l’administration. En l’espèce, dans cette affaire, le requérant demandait à la fois l’annulation de la décision de l’administration et sa condamnation à réparer son préjudice subi du fait de cette décision. S’agissant de la demande d’annulation de la décision de l’administration, le Conseil d’État a considéré que le recours administratif du requérant contenant les deux demandes a été adressé à l’administration au-delà du délai raisonnable d’un an et a déclaré son recours contentieux irrecevable. En revanche, s’agissant de la demande de condamnation de l’administration à réparer son préjudice, le Conseil a fait application de sa jurisprudence excluant le délai raisonnable d’un an au profit d’un délai de quatre ans applicable au contentieux de la responsabilité administrative. Ce délai est soumis aux règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics. Par conséquent, il a déclaré recevable la demande visant la condamnation de l’administration à réparer le préjudice subi du fait de sa décision [55]. Dans son arrêt du 29 juillet 2020, le Conseil d’État était saisi sur une demande d’une communauté de communes visant à engager la responsabilité d’une autre commune à réparer les préjudices qu’elle prétendait avoir subi du fait du refus de cette dernière de lui reverser la taxe locale d’équipement et la taxe d’aménagement qu’elle a prélevées auprès de titulaires de permis de construire. Le conseil devait déterminer si la demande était soumise à l’application du délai raisonnable ou du délai de 4 ans prévu par la loi du 31 décembre 1968. Le Conseil d’État a retenu l’application du délai de 4 ans prévue par la loi du 31 décembre 1968, car le recours tendait à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés [56].
Dans une affaire relative à une demande de paiement d’arriérés de salaires faite par un agent, le Conseil d’État a refusé à une telle demande la nature d’une décision à objet exclusivement pécuniaire. Pour exclure l’application du délai raisonnable dans une pareille situation, le Conseil d’État a jugé que « une demande tendant au versement des sommes impayées constitue la réclamation d’une créance de rémunération détenue par un agent public sur une personne publique, soumise comme telle aux règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics » [57]. Dans son arrêt du 21 octobre 2024, la société SNCF Réseau demandait au département de la Seine-Maritime le paiement de deux factures correspondant au solde du financement des travaux de la desserte ferroviaire de Port 2000. Pour exclure l’application du délai raisonnable d’un an, le Conseil a jugé que la décision du département refusant le paiement de « ces factures ne présentait pas le caractère d’une décision à objet exclusivement pécuniaire dont la légalité n’aurait pu être contestée devant le juge administratif, en l’absence de mention des voies et délais de recours, que dans un délai raisonnable » [58].
II - Les situations d’inapplicabilité la règle de l’inopposabilité des délais de recours.
Ces dérogations concernent, d’une part, la théorie de la connaissance acquise (A) et, d’autre part, les relations entre l’administration et certaines personnes physiques ou morales (B).
A - L’inapplicabilité aux actes dont le requérant a acquis la connaissance : la théorie de la connaissance acquise.
1 - La connaissance acquise lors de la formation d’un recours contentieux.
Lorsqu’un administré saisit le juge administratif d’un recours contentieux, malgré les manquements de l’administration sur les mentions obligatoires dans la notification, le juge considère que ce dernier a eu connaissance de la décision et fait application de la théorie de la connaissance acquise, laquelle a pour conséquence de rendre opposable au requérant les délais de recours. Le Conseil d’État avait toujours pour jurisprudence, qu’en cas de notification irrégulière, les délais de recours ne sont pas opposables au requérant malgré la formation d’un recours contentieux. Ainsi, dans son arrêt du 13 mars 1998, le Conseil a jugé que les délais de recours n’étaient pas opposables au requérant en raison de l’absence de mention des délais et voies de recours. Il concluait que « si la formation d’un recours administratif contre une décision établit que l’auteur de ce recours administratif a eu connaissance de la décision qu’il a contestée au plus tard à la date à laquelle il a formé ce recours, une telle circonstance est par elle-même sans incidence sur l’application des dispositions de l’article R104 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, selon lesquelles : ‘"Les délais de recours contentieux contre une décision déférée au tribunal ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision’" » [59]. Cette jurisprudence précitée a été étendue au contentieux du référé expertise. Dans son arrêt du 8 juillet 2002, le Conseil a jugé qu’un requérant est recevable dans son recours malgré la circonstance qu’il ait déjà sollicité, auprès du juge administratif, une demande de référé expertise, manifestant ainsi sa connaissance de la décision administrative. Le Conseil avait ainsi posé une règle selon laquelle « si la formation d’un recours juridictionnel, tendant à ce qu’une expertise soit ordonnée pour préciser les conditions dans lesquelles une décision administrative est intervenue, établit que l’auteur de ce recours a eu connaissance de ladite décision au plus tard à la date à laquelle il l’a formé, une telle circonstance est, par elle-même, sans incidence sur l’application des dispositions précitées relatives à la mention des voies et délais de recours » [60].
Toutefois, le Conseil d’État a fait évoluer sa jurisprudence dans son arrêt du 17 décembre 2010 dans lequel il a considéré que la formation, par le requérant, d’un recours contentieux visant l’annulation d’une décision administrative établit que ce dernier a eu connaissance de cette décision au plus tard à la date à laquelle il a introduit ce recours et que le délai de recours contentieux court à compter de la date d’introduction de la requête [61]. Dans un arrêt du 3 décembre 2012, le Conseil d’État a réitéré sa jurisprudence et considéré que « la formation d’un recours juridictionnel tendant à l’annulation du titre de pension ou à la révision de cette pension établit que l’auteur de ce recours a eu connaissance de la décision de liquidation de sa pension au plus tard à la date à laquelle il a formé ce recours » [62]. Il en résulte que le délai de recours commence à courir à compter du dépôt de la requête auprès du service du greffe de la juridiction et expire deux mois à partir de ce dépôt, lequel établit que ce dernier a eu connaissance de la décision. Dès lors, si le requérant entend former un second recours pour contester la même décision attaquée lors de sa première requête, il doit déposer cette seconde requête dans délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la première requête [63]. Cependant, lorsqu’un requérant forme un recours juridictionnel visant l’annulation d’une décision administrative, il est réputé avoir eu connaissance de cette décision au plus tard à la date à laquelle il a formé ce recours, mais dans une telle situation, les moyens nouveaux, qui ne sont pas d’ordre public, soulevés après le délai de deux mois après l’enregistrement de la requête, ont le caractère d’une prétention nouvelle tardivement présentée et son irrecevables [64].
Toutefois, lorsqu’un administré forme un recours contentieux auprès d’une juridiction incompétente, le Conseil d’État avait jugé dans un premier temps que le délai de recours ne courait pas : « si l’auteur d’un recours juridictionnel tendant à l’annulation d’une décision administrative doit être réputé avoir eu connaissance de la décision qu’il attaque au plus tard à la date à laquelle il a formé son recours, ni le recours devant une juridiction incompétente ni la notification d’une décision de rejet par une telle juridiction ne sont de nature à faire courir les délais de recours devant le juge administratif à l’encontre de la décision litigieuse » [65]. Cependant, le Conseil d’État a, plus tard, changé sa jurisprudence sur le délai dont dispose le requérant ayant saisi d’une requête une juridiction incompétente et indiqué un délai de deux mois à partir de la signification du jugement d’incompétence. Dans son arrêt du 5 juillet 2023, le Conseil a jugé que « Ce délai raisonnable est opposable au destinataire de la décision lorsqu’il saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, dès lors qu’il a introduit cette instance avant son expiration. Ce requérant est ensuite recevable à saisir la juridiction administrative jusqu’au terme d’un délai de deux mois à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s’est, de manière irrévocable, déclarée incompétente » [66].
2 - La connaissance acquise en cas de détention d’un document contenant les notifications.
En principe, l’absence de notification d’une décision administrative comportant la mention des voies et délais de recours entraine l’inopposabilité desdits délais à l’égard du requérant. Toutefois, il peut arriver que malgré l’absence de notification de la décision à l’intéressé, le juge considère qu’il a eu connaissance de la décision lorsque ce dernier joint dans sa demande une copie de la décision administrative comportant la mention des voies et délais de recours. En pareille circonstance, le juge administratif applique la théorie de la connaissance acquise. Ainsi, dans sa décision du 1er juillet 2009, le Conseil d’État a fait application de la théorie de la connaissance à l’égard d’un acquéreur évincé lors d’une préemption. En l’espèce, l’acquéreur évincé a saisi la commune pour solliciter la rétrocession des terrains préemptés en y joignant la copie de la décision de préemption contenant la mention des voies et délais de recours. Le Conseil d’État a jugé que l’acquéreur évincé avait connaissance de la décision de la commune le jour de la réception de son courrier par la commune, date à laquelle le délai de recours a commencé à courir [67]. Le Conseil d’État a également appliqué le même principe dans son arrêt du 27 juillet 2009 concernant un comptable qui a été radié de l’ordre des comptables publics par le Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables. En l’espèce, la décision de radiation ne lui avait pas été notifiée à son adresse, mais le requérant a effectué une demande de réinscription au conseil régional de l’ordre qui lui a communiqué à la fois sa décision et l’ancienne décision qu’il n’avait pas reçue. Le Conseil d’État a fait application de la théorie de la connaissance acquise en motivant sa décision par le fait que le requérant devait être réputé avoir eu connaissance de la décision et déclaré son recours contentieux tardif [68]. Toutefois, lorsque le requérant n’a pas reçu notification de la décision administrative et qu’il fournit, dans un recours administratif, la copie de la décision administrative ne contenant pas la mention des voies et délais de recours, il est réputé avoir pris connaissance de la décision le jour de la réception de son recours administratif par l’autorité administrative. En raison de l’absence de mention des voies et délais de recours, le délai raisonnable d’un an lui est applicable pour saisir le tribunal [69].
3 - La connaissance acquise dans d’autres circonstances.
La connaissance acquise d’une décision administrative non notifiée à son destinataire peut être retenue dans d’autres circonstances malgré la règle de l’inopposabilité des délais de recours. Dans son arrêt du 24 septembre 2018, le Conseil d’État a retenu la connaissance acquise à l’égard d’un requérant qui contestait un permis de construire et dont la demande a été déclarée tardive, et donc irrecevable. Le Conseil d’État a justifié l’application de la connaissance acquise par le fait que le requérant qui vit avec ses parents ne pouvait ignorer les recours déposés dans le passé par ses parents contre le même permis de construire [70]. Dans son arrêt du 7 août 2008, le Conseil d’État a également retenu la connaissance acquise pour une décision qui n’a pas été notifiée au requérant mais dont il a pu prendre connaissance par le biais d’une autre décision mentionnant cette dernière. Le juge a ainsi considéré que « si la circonstance que soit portée à la connaissance d’un tiers une décision individuelle impliquant nécessairement qu’une autre décision l’ait précédée est de nature à faire courir, à l’égard de ce tiers, le délai de recours contentieux contre cette dernière décision alors même qu’il n’en aurait pas eu directement connaissance, ce délai se trouve toutefois prorogé dans l’hypothèse où le tiers concerné forme auprès de l’administration une demande tendant à obtenir communication de la décision en question » [71]. Toutefois, la connaissance acquise n’a pas été retenue par le juge administratif pour un arrêté non notifié aux destinataires mais qui est mentionné dans les visas d’un acte administratif ultérieur dont les requérants ont eu connaissance [72].
4 - L’inapplicabilité de la connaissance acquise aux actes réglementaires.
Le champ d’application de la théorie de la connaissance acquise a été progressivement réduit par le Conseil d’État dans sa jurisprudence. Ainsi, les actes réglementaires ne sont pas concernés par cette théorie à laquelle ils sont exclus. Dans son arrêt du 19 février 1993, le Conseil d’État a jugé que le délai de recours contre un acte réglementaire ne court qu’à compter de sa publication, même si le requérant avait eu connaissance de cette décision [73]. Dans son arrêt du 31 décembre 2024 rendu par la Cour administrative d’appel de Toulouse, des associations et syndicats demandaient l’annulation des décisions par lesquelles un préfet a rendu obligatoire l’utilisation d’un téléservice. Cette demande avait été rejetée en première instance pour tardivité. Pour annuler le jugement de première instance, la Cour a estimé que « Les décisions par lesquelles le préfet de l’Hérault a, en février et mars 2020, rendu obligatoire, pour les étrangers, l’utilisation d’un téléservice pour obtenir un rendez-vous en préfecture en vue de déposer une demande de titre de séjour ou d’accomplir toute autre démarche en matière de séjour et de circulation des étrangers ont le caractère d’actes réglementaires dès lors qu’elles ont trait à l’organisation du service. Ces actes réglementaires, dont le contenu a seulement été révélé par les différentes captures d’écran produites par les appelantes, n’ont fait l’objet d’aucune publication, notamment au moyen d’un arrêté publié au recueil des actes administratifs de l’État, de sorte que le délai de recours de deux mois, institué par les dispositions précitées de l’article R421-1 du Code de justice administrative, n’était, en l’espèce, pas opposable contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Montpellier » [74]. Ainsi, pour la Cour, malgré le fait que les requérants aient eu connaissance de la décision, « cette circonstance n’est pas davantage de nature à suppléer à l’absence de publication de ces actes réglementaires, la connaissance acquise ne trouvant pas à s’appliquer à l’égard de tels actes lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’une publication » [75].
5 - L’inapplicabilité de la connaissance acquise aux acte soumis à l’obligation d’une décision expresse de rejet.
Bien que la formation d’un recours contentieux soit souvent considérée comme la preuve que l’auteur du recours a eu connaissance de la décision attaquée, il existe certains actes dont le délai ne peut courir qu’à partir de la notification d’une décision expresse. En effet, aux termes de l’article R421-3 du Code de justice administrative, l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet, d’une part, « dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux » et, d’autre part, « dans le cas où la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction administrative ».
Le recours de plein contentieux faisait partie des domaines soumis à l’obligation d’une décision expresse de rejet avant la modification de l’article R421-3 du Code de justice administrative par le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016. Ainsi, sous l’empire de cette disposition, la Cour administrative d’appel de Lyon avait refusé la connaissance acquise à une décision relative à un recours de plein contentieux malgré le fait que le requérant avait déjà effectué un recours contentieux rejeté par ordonnance. La Cour a donc considéré que « la connaissance de la décision qu’implique ce recours est, par elle-même, sans incidence sur l’application des dispositions précitées dont il résulte qu’aucun délai ne court en l’absence de décision explicite de rejet » [76].
Par ailleurs, s’agissant du recours pour excès de pouvoirs, lorsque la décision ne peut être prise que par une décision ou un avis des assemblées locales ou d’organismes collégiaux, seule une décision expresse de rejet fait courir le délai de recours. En l’absence de respect de cette exigence, aucun délai de recours ne peut être opposé au requérant même s’il est réputé avoir eu connaissance de la décision. Dans un arrêt du 17 novembre 2017, le Conseil d’État a admis la recevabilité d’un recours contre une décision prise par un organe collégial au motif que « seule la notification d’une décision expresse de rejet de la demande d’inscription est susceptible de faire courir le délai de recours contentieux de deux mois » [77]. Dans un arrêt du 23 mai 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé un jugement ayant déclaré le requérant irrecevable de son recours contentieux jugé tardif. En effet, la Cour s’est fondée sur l’article R421-3 du Code de justice administrative rendant obligatoire une décision explicite de rejet en matière de recours pour excès de pouvoirs et jugé que « le délai du recours contentieux ne pouvait courir qu’à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet. Aucune décision expresse n’ayant été prise sur la demande de la requérante, c’est à tort que le tribunal a rejeté son recours comme tardif et, par suite, irrecevable » [78].
B - L’inapplicabilité de la règle de l’inopposabilité dans les relations entre l’administration et certaines personnes physiques ou morales.
1 - L’inapplicabilité de la règle de l’inopposabilité aux relations entre l’administration et les agents publics en ce qui concerne l’accusé de réception.
Les agents publics dérogent à la règle de l’inopposabilité des délais de recours pour motifs de défaut d’accusé de réception. L’article L100-1 du Code des relations entre le public et l’administration précise que « Le présent code régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables. Sauf dispositions contraires du présent code, celui-ci est applicable aux relations entre l’administration et ses agents ». Ainsi, les dispositions contraires du Code des relations entre le public et l’administration sont prévues par l’article L112-2 du même code aux termes duquel « Les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables aux relations entre l’administration et ses agents ».
Il résulte de cette disposition que les règles relatives à l’obligation de délivrance d’un accusé de réception aux demandes faites à l’administration ne s’appliquent pas aux relations entre l’administration et ses agents. Par conséquent, la règle de l’obligation de délivrance d’un accusé de réception prévue par le Code des relations entre le public et l’administration s’applique au public. La notion de public a été définie par l’article L100-3 du même code comme « a) Toute personne physique ; b) Toute personne morale de droit privé, à l’exception de celles qui sont chargées d’une mission de service public lorsqu’est en cause l’exercice de cette mission ».
Le Conseil d’État a confirmé, dans sa jurisprudence, que l’inopposabilité des délais de recours en raison de l’obligation de l’accusé de réception ne s’applique pas aux relations entre l’administration et ses agents. Ainsi, dans son arrêt du 3 décembre 2018, il a jugé qu’en « cas de naissance d’une décision implicite de rejet du fait du silence gardé par l’administration pendant la période de deux mois suivant la réception d’une demande, le délai de deux mois pour se pourvoir contre une telle décision implicite court dès sa naissance à l’encontre d’un agent public, alors même que l’administration n’a pas accusé réception de la demande de cet agent, les dispositions de l’article L112-3 du Code des relations entre le public et l’administration n’étant pas applicables aux agents publics » [79]. Le Conseil d’État a continué à réaffirmer l’inapplication de la règle de l’obligation de l’accusé de réception aux demandes faites à l’administration par ses agents publics dans son arrêt du 15 mai 2023 [80].
Cette règle de l’inopposabilité des délais de recours s’applique même en cas de décision implicite de rejet d’une demande de communication de documents administratifs, domaine pourtant connu pour être régi par l’obligation d’un recours administratif préalable obligatoire devant la Commission d’accès aux documents administratifs. Il est de jurisprudence constante que l’absence d’indication, dans une notification, des recours administratifs obligatoires a pour conséquence de rendre le délai de recours inopposable à l’intéressé. Pourtant, en ce qui concerne les décisions implicites des agents publics rejetant leur demande de communication d’un document administratif, l’absence de délivrance d’un accusé de réception n’entraine pas l’inopposabilité des délais de recours [81]. Ainsi, dans son arrêt du 16 juin 2023, le Conseil d’État a validé la décision d’une Cour administrative d’appel de déclarer irrecevable pour tardiveté une requête dirigée contre une décision implicite de rejet d’une demande de communication de documents administratifs malgré l’absence d’accusé de réception de sa demande par l’administration. Cette décision est motivée par le fait que « en sa qualité d’agent public, l’absence d’accusé de réception de sa demande d’accès aux documents administratifs n’était pas de nature à rendre les délais de recours inopposables » [82].
En revanche, la règle de l’inopposabilité des délais de recours pour motif d’absence d’accusé de réception s’applique à d’autres personnes proches des agents publics, telles que les syndicats et leurs ayant droits. Il en résulte que les recours effectués par ces derniers à l’administration doivent faire l’objet d’un accusé de réception comportant la mention des voies et délais de recours, ou à défaut, faire l’objet d’une décision explicite de rejet comportant les mêmes mentions. Dans son arrêt du 6 juin 2017, la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé que « que si les dispositions des articles 19 à 24 de la loi du 12 avril 2000 ne s’appliquent pas, en vertu de l’article 18 de la même loi, aux relations entre les autorités administratives et leurs agents, elles s’appliquent, en revanche, d’une part, aux relations entre les autorités administratives et les personnes physiques autres que leurs agents et, d’autre part, aux relations entre les autorités administratives et les personnes morales dont font partie les organismes syndicaux représentant les personnels employés par ces autorités » [83]. S’agissant des membres de la famille d’un agent public, le Conseil d’État a considéré, dans sa décision du 10 décembre 2021, que « Le litige entre l’administration et les membres de la famille d’un fonctionnaire aux fins de réparation des préjudices propres, qu’ils estiment avoir subis du fait de l’accident de service de leur conjoint, père ou mère, ne saurait être regardé comme un litige entre l’administration et l’un de ses agents au sens et pour l’application de l’article L112-2 du Code des relations entre le public et l’administration. Les dispositions précitées de l’article L112-6 leur sont par suite applicables » [84].
Toutefois, malgré l’opposabilité des délais de recours à l’égard des décisions implicites de rejet non assorties d’un accusé de réception, les notifications des décisions explicites aux agents publics doivent respecter les mentions de notifications obligatoires. L’absence d’indication des voies et délais de recours dans une décision explicite de rejet a pour conséquence de rendre les délais de recours inopposables aux agents publics sur le fondement de l’article R421-5 du Code de justice administrative. Dans son arrêt du 13 juillet 2021, le Conseil d’État a, sur le fondement de l’article R421-5 du Code de justice administrative, retenu l’inopposabilité des délais de recours contre une décision notifiée à un agent public au motif que cette décision ne comportait pas la mention des voies et délais de recours [85]. De même, dans une décision du 28 avril 2023, le Conseil d’État a considéré que les conclusions d’un agent public contre une décision administrative n’étaient pas tardives, car la notification de la décision qui lui a été faite sur la boite professionnelle ne contenait pas les mentions prévues par l’article R421-5 du Code de justice administrative [86].
Par ailleurs, l’inopposabilité des délais de recours contre les décisions explicites notifiées à un agent public sur le fondement de l’article R421-5 du Code de justice administrative, entraine l’application du délai raisonnable d’un an consacré par l’arrêt CZABAJ. Dans son arrêt du 29 décembre 2023, le Conseil d’État a approuvé la décision d’une Cour administrative d’appel d’appliquer le délai raisonnable d’un an en raison du non-respect, par l’administration, des conditions de notification d’une décision explicite prévues par l’article R421-5 du Code de justice administrative [87].
Toutefois, lorsqu’un agent public attaque une décision de l’administration au-delà du délai raisonnable d’un an, sa requête sera déclarée irrecevable pour tardiveté [88]. En cas de manquement aux obligations de notifications prévues à l’article R421-5 du Code de justice administrative, l’agent public est tenu de former sa requête dans le délai d’un an à partir du jour où il a eu connaissance de la décision. En cas de saisine du tribunal dans un délai supérieur à un an, le tribunal peut rejeter la requête comme manifestement irrecevable [89].
2 - L’inapplicabilité de la règle de l’inopposabilité aux relations entre l’administration et les personnes publiques et certaines personnes privées en ce qui concerne l’accusé de réception.
Le fondement juridique de l’inapplication de l’obligation d’accusé de réception entre, d’une part, les administrations et, d’autre part, l’administration et certaines personnes privées chargées d’une mission de service public administratif peut être recherché dans l’article L100-1 du Code des relations entre le public et l’administration qui dispose que « Le présent code régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables. Sauf dispositions contraires du présent code, celui-ci est applicable aux relations entre l’administration et ses agents ». Les dispositions relatives à l’accusé de réception ne s’appliquent donc pas aux relations entre administrations. La notion d’administration a été définie par l’article L100-3 du même code qui précise qu’on entend par administration, « les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ».
S’agissant des relations entre le représentant de l’État et les collectivités territoriales, le Conseil d’État a précisé, dans son arrêt du 1er juillet 2005, que l’obligation d’accuser réception des demandes ne s’applique pas entre ces derniers. Le raisonnement du Conseil est le suivant : « Considérant que le législateur, qui a eu pour objectif d’améliorer et d’accélérer le traitement des demandes adressées par les usagers des administrations, n’a pas entendu régir par ces dispositions les relations entre les représentants de l’Etat dans les départements et les régions et les collectivités territoriales dans le cadre du contrôle de légalité ; qu’il en résulte que ces dispositions ne sont pas applicables aux demandes adressées par le représentant de l’Etat aux collectivités territoriales dans ce cadre » [90]. Le Conseil d’État a également rappelé, dans son arrêt du 16 janvier 2006, l’inapplicabilité de la règle d’accusé de réception aux demandes faites entre une collectivité territoriale et l’État. Il s’agissait d’un recours administratif d’une commune qui a été rejeté implicitement par l’État et pour lequel aucun accusé de réception n’avait été délivré à la commune. La requête étant enregistrée après le délai de deux mois à partir de la naissance de la décision implicite de rejet, le Conseil a jugé que « le législateur, qui a eu pour objectif d’améliorer et d’accélérer le traitement des demandes adressées par les usagers aux administrations, n’a pas entendu régir, par ces dispositions, les relations contentieuses entre l’Etat et les collectivités territoriales » [91]. Le Conseil d’État a, dans son arrêt du 7 février 2007, jugé irrecevable pour tardiveté la requête de la Région Rhône-Alpes déposée après le délai de deux mois à partir de la naissance de la décision implicite de rejet de sa demande, et considéré inapplicables les dispositions de l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 sur l’accusé de réception [92].
Lorsque le représentant de l’État fait un recours auprès d’une commune incompétente, cette circonstance n’a pas pour effet de conserver le délai de recours malgré l’absence d’accusé de réception au recours du préfet, car les dispositions sur l’accusé de réception ne sont pas applicables aux demandes adressées par le représentant de l’Etat aux collectivités territoriales [93]. Dans son arrêt du 10 novembre 2011, le Conseil d’État a déclaré irrecevable pour tardiveté la requête d’une région visant à l’abrogation d’un arrêté, ainsi que d’une décision implicite ayant rejeté la demande de la région, car elle a été déposée plus de deux mois après la naissance de la décision implicite de rejet. L’absence d’accusé de réception n’ayant pas eu pour effet de conserver le délai [94]. L’obligation d’accuser réception des demandes ne s’applique pas non plus aux relations entre collectivités locales. En effet, la Cour administrative d’appel de Nantes a rappelé, dans son arrêt du 29 mars 2019, que « une collectivité territoriale ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions à l’encontre d’une décision émise par une autre collectivité territoriale » [95].
Par ailleurs, les établissements publics industriels et commerciaux, bien que n’entrant pas dans la catégorie d’administration visée par l’article L100-3 du Code des relations entre le public et l’administration, demeurent quand même exclus des bénéficiaires d’un accusé de réception. En d’autres termes, l’administration n’est pas tenue d’accuser réception des demandes formulées par un EPIC. Dans son arrêt du 24 octobre 2023, la Cour administrative d’appel de Paris a jugé retenu ce principe : « Toutefois, il résulte des dispositions de l’article L100-1 du même code que ces dispositions ne sont pas applicables à la RATP, établissement public industriel et commercial, qui ne relève ni de la catégorie "administration", ni de la catégorie "public", au sens de l’article L100-3 dudit code et pour l’application de celui-ci. Si elle se prévaut de sa qualité de tiers à l’égard des travaux publics menés par la ville de Paris, cette circonstance, qui permet de déterminer le régime de responsabilité dont relève sa demande, est sans incidence sur l’application des règles définies par le Code des relations entre le public et l’administration. Par suite, contrairement à ce que soutient la requérante, la ville de Paris n’était pas tenue, pour que soit opposable le délai de recours contentieux, d’accuser réception de sa demande préalable indemnitaire en mentionnant les délais et les voies de recours à l’encontre de la décision prise sur cette demande » [96].
3 - L’inapplicabilité de la règle de l’inopposabilité des délais de recours aux tiers.
La règle de l’inopposabilité des délais de recours pour défaut d’accusé de réception ou de notification indiquant les voies et délais de recours ne s’applique pas aux recours administratifs formés par les tiers. N’étant pas les destinataires de l’acte administratif, leur recours établit qu’ils ont eu connaissance de l’acte et l’administration n’est pas tenue d’accuser réception de leur demande [97].
Dans son arrêt du 15 juillet 2004, le Conseil d’État affirmé l’inapplication de la règle de l’accusé de réception prévue à l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 (actuel article L112-3 du Code des relations entre le public et l’administration) et celle de l’inopposabilité des délais de recours prévue à l’article R421-5 du Code de justice administrative aux recours effectués par les tiers contre une décision administrative :
« Aux termes du premier alinéa de l’article 18 de la loi du 12 avril 2000, qui détermine le champ d’application des dispositions du chapitre II du titre II de cette loi relatives au régime des décisions prises par les autorités administratives : sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives. En assimilant les recours gracieux ou hiérarchiques à des demandes au sens du présent chapitre, soumises aux dispositions de l’article 19 de la même loi prescrivant aux autorités administratives d’accuser réception de toute demande dans des conditions dont le non-respect entraîne l’inopposabilité des délais de recours, le législateur a entendu viser, conformément à sa volonté de protéger les droits des citoyens dans leurs relations avec les autorités administratives, les recours formés par les personnes contestant une décision prise à leur égard par une autorité administrative. Il n’a, en revanche, pas entendu porter atteinte à la stabilité de la situation s’attachant, pour le bénéficiaire d’une autorisation administrative, à l’expiration du délai de recours normalement applicable à cette autorisation. Il en résulte que l’intervention de ces dispositions législatives demeure sans incidence sur les règles applicables aux recours administratifs, gracieux ou hiérarchiques, formés par des tiers à l’encontre d’autorisations individuelles créant des droits au profit de leurs bénéficiaires.
Ne sont pas non plus applicables à la détermination du délai imparti aux tiers pour saisir la juridiction compétente à la suite d’une décision rejetant de tels recours gracieux ou hiérarchiques, les dispositions de l’article R421-5 du Code de justice administrative selon lesquelles les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision » [98].
Dans sa décision du 11 avril 2008, le Conseil d’État a réaffirmé la non application de l’article R421-5 du Code de justice administrative pour les recours effectués par les tiers. Ainsi, pour le Conseil, les dispositions de l’article R421-5 du Code de justice administrative, aux termes desquelles « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision », ne sont pas applicables aux recours administratifs ou contentieux formés par des tiers contre de telles décisions » [99]. Dans son arrêt du 8 juin 2016, le Conseil devait se prononcer sur l’inopposabilité des délais de recours sur un recours des tiers contre une délibération d’un conseil municipal relatif à un plan local d’urbanisme en l’absence d’accusé de réception. Le Conseil d’État a jugé que « lorsque la publication d’un acte suffit à faire courir à l’égard des tiers, indépendamment de toute notification, le délai de recours contre cet acte, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que, en cas de recours gracieux formé par ces tiers contre l’acte en cause, le délai de recours contentieux recommence à courir à leur égard à compter de l’intervention de la décision explicite ou implicite de rejet du recours gracieux, même en l’absence de délivrance d’un accusé de réception mentionnant les voies et délais de recours » [100].
4 - La situation particulière d’exclusion des tiers en matière d’autorisation d’urbanisme.
La contestation d’une autorisation d’urbanisme par les tiers obéit à un régime juridique particulier. En effet, une autorisation d’urbanisme peut, d’une part, être contestée au moment de l’affichage du permis de construire, de la déclaration préalable ou du permis d’aménager par le bénéficiaire. D’autre part, elle peut être contestée à la fin des travaux à partir de la réception de la déclaration d’achèvement des travaux.
S’agissant de la contestation de l’autorisation à partir de l’affichage, elle est régie par l’article R600-2 du Code de l’urbanisme aux termes duquel « Le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R424-15 ». Pour faire courir le délai de recours, le bénéficiaire de l’autorisation doit procéder à l’affichage du permis devant le lieu où les travaux doivent être effectués et indiquer les voies et délais de recours [101]. En l’absence de tout affichage, les délais mentionnés aux articles R600-2 et R600-3 du Code de l’urbanisme ne courent pas, et donc seule la formation par un tiers d’un recours administratif ou contentieux contre le permis de construire est susceptible de faire courir à son égard le délai de recours contentieux [102]. L’affichage doit également mentionner des inscriptions obligatoires qui indiquent aux tiers l’obligation de notifier le recours administratif au bénéficiaire du permis, et de notifier le recours contentieux à la fois au bénéficiaire du permis et à l’autorité administrative ayant délivré l’autorisation d’urbanisme. L’absence de respect de l’indication sur l’affichage de l’obligation de notification des recours, selon le Conseil d’État, « n’empêche pas le déclenchement du délai de recours contentieux mentionné à l’article R600-2 du Code de l’urbanisme, elle a pour effet de rendre inopposable l’irrecevabilité prévue à l’article R600-1 du même code » [103]. L’absence d’affichage ou d’inscription des mentions obligatoires a pour conséquences de rendre le délai inopposable aux tiers qui peuvent former leur recours dans un délai raisonnable d’un an. A cet égard, le Conseil d’État a jugé, dans son arrêt du 9 novembre 2018, que « dans le cas où l’affichage du permis ou de la déclaration, par ailleurs conforme aux prescriptions de l’article R424-15 du Code de l’urbanisme, n’a pas fait courir le délai de recours de deux mois prévu à l’article R600-2, faute de mentionner ce délai conformément à l’article A424-17, un recours contentieux doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter du premier jour de la période continue de deux mois d’affichage sur le terrain ; qu’en règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable » [104].
Toutefois, lorsqu’il est établi que les formalités de publicités de l’autorisation d’urbanisme n’ont pas été respectées et que le délai de recours ne court pas, la connaissance acquise peut être appliquée au tiers qui a formé un recours administratif contre ladite autorisation. L’administration n’est pas tenue d’accuser réception du recours administratif du tiers. Ainsi, le Conseil d’État a jugé dans son arrêt du 15 juillet 2004 que « Les dispositions de l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 et celles de l’article R421-5 du Code de justice administrative ne pouvant, ainsi qu’il a été dit plus haut, trouver à s’appliquer en pareille hypothèse, il s’ensuit, d’une part, qu’en cas de naissance d’une décision implicite de rejet du recours administratif formé par un tiers contre un permis de construire, résultant du silence gardé par l’administration pendant le délai de deux mois prévu à l’article R421-2 du Code de justice administrative, le nouveau délai ouvert à l’auteur de ce recours pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, qu’il ait été ou non accusé réception de ce recours, et, d’autre part, que, dans le cas où une décision expresse de rejet est notifiée à l’auteur du recours administratif avant l’expiration du délai au terme duquel une décision implicite est susceptible de naître, le nouveau délai pour se pourvoir court à compter de cette notification, même si celle-ci ne comporte pas la mention des voies et délais de recours » [105]. De même, l’exercice d’un recours contentieux rend applicable la théorie de la connaissance acquise à l’égard du tiers malgré le non-respect des mentions obligatoires de l’affichage. Dans son arrêt du 15 avril 2016, le Conseil d’État a jugé que « l’exercice par un tiers d’un recours administratif ou contentieux contre un permis de construire montre qu’il a connaissance de cette décision et a, en conséquence, pour effet de faire courir à son égard le délai de recours contentieux, alors même que la publicité concernant ce permis n’aurait pas satisfait aux exigences prévues par l’article A424-17 du Code de l’urbanisme » [106]. La Cour administrative d’appel de Marseille a appliqué la connaissance acquise à une société immobilière du fait de sa présence, lors de l’assemblée générale d’une association syndicale libre, dans laquelle les membres donnaient pouvoirs à l’association pour intenter un recours contre un permis de construire [107].
Concernant le délai de recours ouvert à partir de la réception de la déclaration d’achèvement des travaux, il est prévu à l’article R600-3 du Code de l’urbanisme aux termes duquel « aucune action en vue de l’annulation d’un permis de construire ou d’aménager ou d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable n’est recevable à l’expiration d’un délai de six mois à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement. Sauf preuve contraire, la date de cet achèvement est celle de la réception de la déclaration d’achèvement mentionnée à l’article R462-1 ». Ce délai n’est valable que lorsqu’il est établi que les obligations d’affichages n’ont pas été respectées entrainant ainsi l’absence de commencement du délai de recours. A cet égard, le Conseil d’État a jugé, dans son arrêt du 3 juillet 2020, que « les dispositions particulières du nouvel article R600-3 du Code de l’urbanisme fixent à six mois après la date de l’achèvement des travaux, déterminée conformément aux dispositions de l’article R462-1 du Code de l’urbanisme, le délai au-delà duquel, dans le cas où l’affichage du permis ou de la déclaration n’a pas fait courir le délai de recours de deux mois fixé par l’article R600-2 du Code de l’urbanisme, aucun recours contentieux dirigé contre un permis de construire ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à une déclaration préalable ne peut plus être exercé » [108]. Par conséquent, pour être recevable, les tiers doivent déposer leur requête dans le délai de six mois à partir de la réception de la déclaration d’achèvement. Le tiers peut être forclos pour le délai de six mois prévu à l’article R600-3 du Code de l’urbanisme tout en étant recevable de son recours sur le fondement de l’article R600-2 du même Code grâce au délai raisonnable d’un an appliqué aux recours ouverts en cas d’affichage non conforme faisant courir le délai de recours. C’est ce qu’a affirmé le Conseil d’État dans son arrêt du 17 décembre 2018 qu’il « résulte en outre de l’article R600-3 du Code de l’urbanisme qu’un recours présenté postérieurement à l’expiration du délai qu’il prévoit, qui court à compter de la date d’achèvement des travaux, n’est pas recevable, alors même que le délai raisonnable mentionné ci-dessus n’aurait pas encore expiré » [109].